Par Laure Singla – La gestion raisonnée des risques sanitaires majeurs à l’aune du principe de sécurité juridique : plaidoyer pour une vision bio-responsable mondiale des risques sanitaires environnementaux et leur régulation

Laure Singla est commandant de réserve citoyenne dans l’armée de terre. Docteur en droit et spécialiste des questions en stratégie sécuritaire, elle a fondé et dirige le cabinet Juris Eco Conseil. Elle est également observateur international CIDCE près du Groupe de l’Environnement des Nations-Unies, expert près la Cour d’Appel de Montpellier – spécialités D-04.05 Stratégie et politique générale d’entreprise, D-05 conflits sociaux, E-03.01 Pollution Air, E-08 Transport aérien (usage usagers) -, membre CNEJE et médiateur Près les juridictions judiciaires et administratives.

Dans cette série de six articles, elle nous propose d’aborder la crise du Covid-19 sous l’angle juridique en mettant en avant les structures existantes et les aspects méritant d’être améliorés en vue de faire face à toute crise sécuritaire ultérieure. En voici la troisième partie.

État des dispositifs déployés découlant de l’identification retenue

La chronologie pandémique de ces deux derniers siècles rappelle que nous vivons avec le risque sanitaire permanent. Le risque pandémique majeur accidentel était prévisible depuis 2001, sans que pour autant les spécialistes, stratèges, experts civils et militaires des états n’aient soit été écoutés, soit n’aient suffisamment anticipé sa gestion pour pallier à des déviances économiques dangereuses. Le monde a donc peut-être joué à la roulette russe par souci de rentabilité et au détriment du principe de sécurité et de sûreté. Le constat de dispositifs existants en cas de pandémie sanitaire majeure accidentelle est simple et les dispositifs existants en cas de pandémie sanitaire majeure intentionnelle pourraient eux aussi avoir leurs limites.

Constat de dispositifs existants en cas de pandémie sanitaire majeure accidentelle
L’Organisation Mondiale de la Santé a établi les principales menaces infectieuses depuis le début du XXIème siècle et les mécanismes de collaboration pour les combattre au travers de trois outils internationaux de santé publique : l’Alliance Mondiale pour les Vaccins et la Vaccination (GAVI) crée en 2000, le Règlement Sanitaire International (RSI) en 2005 et le Cadre de préparation en cas de grippe pandémique (PIP Framework) en 2011 [1]. Elle dispose aussi d’un réseau mondial d’alerte et d’action en cas d’épidémie (GOARN), dispositif technique de collaboration inter-institutionnel pour identifier et confirmer rapidement les épidémies de portée internationale. Le Règlement sanitaire international est donc un accord juridiquement contraignant visant à protéger la communauté mondiale contre les risques pour la santé publique et les urgences de santé publique qui s’étendent au-delà des frontières. Le Cadre de préparation reste un plan d’amélioration des ripostes choisies en cas de grippe pandémique, lequel fut d’ailleurs utilisé notamment pour la gestion du virus H5N1.

Or, malgré l’existence de ces mécanismes, si on regarde les dispositifs existants en cas de pandémie sanitaire majeure accidentelle, le constat peut s’avérer déroutant, puisque malgré les outils internationaux précités, cette typologie de catastrophes n’aurait jamais fait l’objet de la moindre échelle pouvant mesurer l’intensité des phénomènes sanitaires comme celles existant pour les phénomènes naturels [2]. Elle n’aurait pas fait non plus l’objet de guides de conduites, manuels pour les professionnels de la santé similaires à ceux de médecine des catastrophes existant notamment en France depuis 1994 [3], ou encore au profit des médecins intégrés à certaines unités d’élite (type RAID [4]).

Elle n’aurait pas fait pas non plus l’objet d’exercices spécifiques pour la France – sauf sous le libellé général NRBC -, qui auraient pu permettre d’améliorer des planifications d’urgence dans le cadre des plans adaptés type ORSEC comme ceux prévus pour les catastrophes naturelles depuis 2004 [5]. Enfin, pour la France, elle n’aurait fait l’objet d’aucun avis de la Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion des Crises (DGSCGC), remplaçant depuis 2014 la Commission Centrale de Sécurité (CCS) [6].

Les mesures d’urgence adoptées sans véritable stratégie sécuritaire par chaque pays auront eu certes le mérite d’exister, mais font l’objet de critiques, la question se posant sur les raisons de cette absence, alors que les États disposent de moyens de riposte et de services spécialisés. Alors est-ce une faille systémique d’ampleur ? Les réponses sont de trois ordres :

  • La première réponse repose sur le caractère rare et sectorisé de cette typologie de risques qui, rappelons-le, a au cours de l’histoire récente été neutralisée par le biais de vaccins et d’éradication sectorielle. Ainsi que le stipule le douzième programme général de l’OMS, l’organisation ne mise que sur des activités de prévention, de préparation, d’intervention. Or le Covid-19 reste une exception, car d’un phénomène sectoriel, il s’est transformé rapidement en phénomène pandémique en grande partie par la faute de la généralisation du transport aérien et maritime.
  • La seconde réponse est économique. Peu se sont soucié du risque associé à une dépendance accrue envers la Chine, devenue au fil des années principal fournisseur mondial de médicaments et matériels. L’économie mondiale actuelle reste étroitement tributaire de la Chine et paie les conséquences de la paralysie de sa principale province logistique.
  • La troisième réponse, enfin, est stratégique. L’état sanitaire mondial n’a pas pris en compte l’existence de ce risque depuis dix-neuf ans, d’où l’inadéquation des moyens et de l’organisation mis en œuvre.

(A suivre)

Illustration © Ministère de l’Intérieur

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Notes de bas de page 

[1] https://www.who.int/csr/disease/fr/
[2] L’échelle de Beaufort (classification de l’intensité des vents) ; L’échelle de Fujita améliorée (classement de la force des tornades ) ; L’échelle de Saffir-Simpson (classification de l’intensité des cyclones) ; Échelle de Torro (classification de l’intensité des tornades) ; L’échelle de Mercalli (classification de l’intensité des séismes) ; L’échelle de Richter ( magnitude des séismes) ; L’échelle de Inès (outil de communication conçu pour faciliter l’information du public sur les événements nucléaires et radiologiques
[3] René Noto, Pierre Huguenard, Alain Larcan, Médecine de catastrophe, éditions Masson, 1994 ; Henri Julien, Manuel de médecine de catastrophes, éditions Lavoisier, 2017, 992 pages
[4] Matthieu Langlois, Frédéric Ploquin, Médecin du RAID: Vivre en état d’urgence, Editions Albin Michel, 2016
[5] Loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile
[6] https://www.interieur.gouv.fr/Le-ministere/Securite-civile/Documentation-technique/Les-sapeurs-pompiers/La-reglementation-incendie/La-commission-centrale-de-securite-CCS/Avis-de-la-commission-centrale-de-se-curite-CCS-en-2013