Murielle Delaporte – La DARPA – Defense Advanced Research Projects Agency ou Agence pour les projets de recherche avancée en matière de défense (homologue de l’Agence de l’innovation de défense récemment créée en France) – est réputée pour mener à terme nombre de programmes novateurs et ciblés de façon efficiente depuis sa création en 1958.
Forte de deux cent dix personnels et d’un budget de 3,45 milliards de dollars pour l’année fiscale 2020[1], l’organisation devrait, du point de vue de sa nouvelle directrice Victoria Coleman, être en mesure non seulement de maintenir le cap, mais d’aller encore plus loin, en dépit des réductions budgétaires anticipées dans le domaine de la défense.
Dans une interview réalisée par Rachel Cohen pour Air Force Magazine[2], l’ingénieur informatique – dont la carrière non conventionnelle inclut une expérience universitaire, dans des centres de recherche et en industrie (elle a travaillé comme consultante pour nombre de compagnies des deux côtés de l’Atlantique, telles Lockheed Martin et Airbus par exemple, et a dirigé la startup ATLAS AI P.B.C.) – explique sa vision pour la DARPA qu’elle dirige depuis le 24 septembre dernier. Une vision que l’on peut résumer de la façon suivante :
(1) Accélérer le temps
Dans cette interview, Coleman explique que son premier message à l’attention de ses employés est prendre en compte l’importance du temps et ce, à plusieurs niveaux :
- au niveau bien-sûr de la recherche de solutions permettant aux combattants de conserver un temps d’avance dans un environnement de combat toujours plus rapide. Pour les Aviateurs, ainsi que le rappelle souvent le général Lavigne, chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace française, la prise de décision à quelques dizaines de milliers de pieds au-dessus du sol doit se faire en l’espace de quelques secondes avec toujours davantage de données à traiter. « Si vous pouvez conférer un gain de temps à nos forces armées au travers de processus, d’outils, de technologies, de systèmes que nous pouvons mettre en œuvre , nous leur offrons le don du temps », déclare-t-elle ainsi. Cet objectif s’aligne sur celui de l’US Air Force d’arriver les premiers là ou l’ennemi ne l’attend pas, tel qu’exprimé dans le rapport sur la stratégie scientifique et technologique à l’horizon 2030 de cette dernière publiée en avril 2019[3].
- C’est ce même principe qu’elle souhaite de fait appliquer au sein de son organisation pour accélérer le temps de recherche, développement et déploiement, à la fois en mettant au point de nouvelles technologies basées sur l’intelligence artificielle permettant d’évaluer et d’anticiper les chances de réussite des projets envisagés, mais aussi au niveau des « process » en encourageant une mise sur le marché rapide par le biais de startups pour améliorer la transition de la DARPA vers les forces (« DARPA-To-Service transitions »).
(2) Défricher les secteurs de niche clés
Sans surprise, vue sa carrière, le secteur prioritaire pour Coleman en « urgence rouge » est la microélectronique en raison d’une dépendance envers la Chine dénoncée depuis des années, la DARPA ayant notamment créé en 2017 une initiative dédiée appelée « Electronics Resurgence Initiative » qu’elle souhaite poursuivre pour essayer de changer de paradigme en matière de fabrication des composants et rompre cette vulnérabilité en matière de souveraineté et de base industrielle et technologique de défense[4].
L’intelligence artificielle (« Third-Wave AI ») et l’interaction homme-machine au combat (« AlphaDogFight ») font aussi partie des priorités évoquées dans le cadre de cet entretien. Différents essais ont mis en avant le fait que l’intelligence artificielle était capable de gagner une bataille aérienne contre un pilote de F16, ne serait-ce qu’en raison des contraintes de vol et des procédures (TTPs) auxquelles les aviateurs doivent adhérer, mais aussi en raison d’une rapidité de décision supérieure 5].
Source : Rapport de l’USAF (Science and technology Strategy: Strengthening USAF Science And technology For 2030 And Beyond)
De nationalité grecque, Coleman incarne à la fois le rêve américain et l’esprit frondeur de la DARPA, ce que l’auteur de l’article décrit justement comme briser les repères ou casser le moule (« breaking the mold »). L’article conclut sur une citation de la nouvelle directrice de la DARPA : « il y a quelque chose de magique dans un pays qui offre des opportunités, telles celle de diriger la DARPA à des gens comme moi »…
Illustration © capture d’image d’un exercice de dogfight entre un humain et l’intelligence artificielle , au cours duquel le premier a perdu la bataille (https://www.airforcemag.com/artificial-intelligence-easily-beats-human-fighter-pilot-in-darpa-trial/
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Notes de bas de page :
[1] https://www.darpa.mil/news-events/2020-09-24
[2] https://www.airforcemag.com/meet-new-darpa-director-victoria-coleman/
[3] “The National Defense Strategy calls for building “a more lethal, resilient, and rapidly innovating Joint Force.” The 2030 Science and Technology Strategy aligns with this call, but it also requires transformational strategic capabilities that must be driven by scientific and technological advances.
Rather than reacting to others’ advances, the Air Force will set an unmatched pace. Instead of looking at where potential adversaries are heading, the Air Force scientific and technical enterprise will predict where adversaries cannot easily go and then ensure the Air Force gets there first.” (page iii). Lire le PDF >>> USAF Science and Technology Strategy
[4] Voir sur ce sujet l’article d’Air Force Magazine cité par l’auteur (https://www.airforcemag.com/microelectronics-bump-hypersonics-as-dods-top-tech-priority/) et la vidéo ci-dessous relatant une discussion entre Lt. Gen. (Retd) deptula et Mark Lewis, en charge de la modernisation de la recherche au sein du Pentagone.(en bas de page).
[5] Voir l’article cite par l’auteur >>> https://www.airforcemag.com/artificial-intelligence-easily-beats-human-fighter-pilot-in-darpa-trial/