Par Linda Verhaeghe – L’armée de Terre face au risque d’affrontement majeur

« Gagner la guerre avant la guerre ». Citant le général Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées, le général Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre, est revenu sur l’engagement de l’armée de Terre et sur les défis des années à venir, tant en termes de contexte opérationnel que de modernisation de ses capacités en conséquence, à l’occasion d’une rencontre avec la presse, le 31 janvier 2022.

Alors que la conception traditionnelle d’un environnement géostratégique marqué par des phases de paix, de crise ou de guerre, s’est peu à peu effacée pour désormais laisser place à une situation de compétition permanente pouvant engendrer la contestation et conduire jusqu’à l’affrontement (de façon successive, voire conjointe), pour l’armée de Terre, il s’agit non seulement de se préparer à un conflit de haute intensité, mais aussi à un « risque d’affrontement majeur tel qu’on le croyait disparu sur notre continent », a déclaré le général Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre.

Selon lui, ce sont dans cette perspective « trois domaines dans lesquels l’armée de Terre doit poursuivre et renforcer sa préparation de manière renouvelée dans les prochaines années » :

  • Tout d’abord une approche « prévention » visant à empêcher qu’une situation de compétition évolue en contestation. Il s’agit ainsi de consacrer un investissement croissant dans les actions d’accompagnement des partenaires, en particulier grâce au levier que constituent les forces prépositionnées.
  • Le second domaine concerne la « solidarité stratégique » avec les armées alliées. Au travers de coalitions préétablies (dans le cadre de l’OTAN ou de l’Union européenne), ou ad hoc, il porte notamment l’ambition de se mettre en capacité de déployer un poste de commandement de corps d’armée, ainsi que les éléments organiques nécessaires, pour une division de 25 000 hommes.
  • Quant au troisième domaine, celui-ci concerne la protection des Français sur le territoire national, métropolitain et ultra-marin, et vise aussi bien à faire face aux différents risques identifiés, qu’il s’agisse de la menace terroriste, de la contribution à la réponse aux crises (à l’image de l’opération Résilience dans le cadre de la gestion du Covid), ou de l’occurence redevenue possible d’un engagement majeur contre un ennemi puissant, sur tous les terrains et sous toutes ses formes (actions hybrides, sabotage, influence, cyber,…).

De ces défis pour l’armée de Terre découle le plan « Supériorité opérationnelle », venant répondre à ce durcissement des conflits et à l’incertitude grandissante des opérations, qu’elles soient actuelles ou envisagées. Elaboré sous quatre axes structurants – ressources humaines, capacités, entraînement et fonctionnement opérationnel -, ce plan, déclinés sous formes de projets, est essentiel en ce sens que, comme l’a rappelé le général Hervé Gomart, major-général de l’armée de Terre, également présent lors de cette rencontre, « les conflits commencent et se terminent au sol » :

  1. D’un point de vue humain, le projet « forces morales » vise au-delà de l’esprit guerrier animant le soldat à mieux prendre en compte d’autres aspects, d’ordre physiologiques, psychologiques, cognitifs, mais aussi familiaux. Dans le champ des blessures psychiques, plus spécifiquement, le dispositif Athos est en passe d’être élargi dès le printemps prochain avec une troisième maison dédiée aux soldats nécessitant un accompagnement psychosocial et socio-professionnel. Ce nouveau lieu d’accueil sera inauguré dans les Alpes dès le printemps prochain et viendra donc s’ajouter aux deux précédents, respectivement situées près de Toulon et de Bordeaux et ouvertes en 2020.
  2. En matière capacitaire, l’armée de Terre poursuit la modernisation progressive de ses matériels dans le cadre du programme Scorpion. Après les premiers véhicules blindés multi-rôles Griffon d’ores et déjà reçus deux ans auparavant, ce sont les premiers engins blindés de reconnaissance et de combat Jaguar qui ont été livrés par Nexter en décembre 2021. A ce jour, l’armée de Terre a réceptionné environ 10 % des véhicules programmés du segment « médian ». La modernisation complète de ce segment est prévue d’ici 2030. Le segment « lourd », avec en particulier le remplacement de l’emblématique char Leclerc, interviendra cependant plus tard, entre 2030 et 2040. Existe par ailleurs une volonté d’acquisition d’une capacité composée d’unités de petits robots terrestres. « La dynamique est positive et les retours du groupement tactique interarmes de l’opération Barkhane sont bons », a affirmé le général Hervé Gomart, ajoutant que le programme Scorpion implique une variété d’équipements de pointe, mais aussi de la connectivité. « Les armées françaises sont aux côtés des armées américaines les seules à être entrées dans l’ère du combat collaboratif, avec des objets physiques, des véhicules et des hommes interconnectés », a-il précisé. Par ailleurs, toutes les unités sont en cours d’acquisition de drones, avec comme objectif d’atteindre 3 000 systèmes de tous types au sein de l’armée de Terre d’ici 2023.
  3. Les projets ne manquent pas non plus pour l’axe relatif à l’entraînement et à la préparation opérationnelle, avec davantage de moyens et d’infrastructures, et pour principal enjeu de faire reconnaître le besoin de doter tous les régiments de centres équipés de systèmes de simulation, d’ici dix ans. L’an prochain, à l’initiative de l’armée de Terre, se déroulera en outre un premier exercice majeur de niveau division, semblable à l’exercice Warfighter, baptisé Orion.
  4. Enfin, le dernier axe « fonctionnement opérationnel » prévoit de continuer d’augmenter le niveau de réactivité de l’armée de Terre, via davantage de cohérence entre les domaines organiques, opérationnels et de soutien.

Dans le cadre des questions posées à l’issue de la présentation,  le bilan de l’opération Barkhane après neuf ans d’intervention au Sahel fut abordé sous l’angle de la transformation du dispositif impliquant une réduction des effectifs en particulier de l’armée de Terre : si la satisfaction remontée par les soldats tient en partie à son niveau d’engagement opérationnel, à ce jour, cela se traduit par une moyenne globale de 140 jours hors du domicile pour les militaires de l’ensemble de l’armée de Terre, ce qui est un peu trop élevé. Ainsi, un engagement moins important, qu’il faudrait voir passer à 120 jours par an, permettrait de réinvestir ces ressources dans la préparation opérationnelle en garnison, ou de les réengager dans d’autres types de déploiement comme par exemple la perspective d’un bataillon en Roumanie. En ce qui concerne plus précisément l’expérience Takuba, ce type de coalition permet d’apprendre la responsabilité qui incombe aux nations-cadres : établir une direction commune, entraîner l’agrément des différents contributeurs, le traduire en objectifs militaires concrets, gérer sa mise en œuvre en déterminant qui prend en charge quelle fonction. Par ailleurs, si le groupe Wagner ne constitue pas un adversaire pour l’armée de Terre, son action dans cette partie du monde est considérée par les Chefs de l’armée de terre particulièrement destructrice et déstabilisatrice, que ce soit au Sahel et en particulier au Mali, mais aussi en Centrafrique. Et ce, contrairement aux armées françaises dont l’action est constructrice et visible au quotidien : nos unités ont participé à la professionnalisation des bataillons maliens, lesquels, désormais sont déployés dans des affectations tournantes ou programmées dans les zones d’opérations, ont fait d’énormes progrès tactiques.

 

Photo 1 © Armée de Terre, issue de Vision stratégique du CEMAT « Supériorite opérationnelle 2030 », page 5

Photo 2 ©  Linda Verhaeghe, 31 janvier 2022