Par Murielle Delaporte –  Nous commencons ici une série de brèves cherchant à mettre en avant certains retours d’expérience quasi-instantanés apparaissant au fil de cette crise et qui démontrent la difficulté de désescalader, lorsque les tensions s’installent en conflits, dans l’environnement hybride que nous connaissons aujourd’hui.

La crise ukrainienne apporte chaque jour depuis maintenant des mois une liste « à la Prévert » d’actions, informations, désinformations. A titre d’exemple aujourd’hui on apprend en vrac dans le torrent informationnel qui nous inonde au quotidien que :

  • le Kremlin vient d’expulser le numéro deux de l’Ambassade des Etats-Unis à Moscou1 ;
  • le nombre de troupes russes massées à la frontière ukrainienne continue d’augmenter (de 7000 hommes) au lieu de décroître contrairement aux déclarations effectuées l’avant-veille2 ;
  • plusieurs écoles maternelles ont été l’objet de tirs de mortier à Lougansk et à Vrubivka en zone frontalière conduisant à une escalade de tensions dans la région du Donbass3 ;
  • Moscou a accusé l’Ukraine de génocide de la population russe du Donbass aux Nations Unies …

Quelle que soit l’issue du bras de fer qui oppose actuellement le Kremlin à l’Occident, ce qui diffère dans cette crise – et ce qui différencie cette néo-Guerre froide de la précédente – est la capacité décuplée à voir en direct ce qui se passe, grâce en particulier aux nouveaux moyens spatiaux.

Les moyens d’observation et d’écoute aujourd’hui disponibles changent la nature de l’anticipation, la bataille des images et la comparaison des renseignements en temps de crise aigüe semblant devoir générer des réactions/décisions quasiment en instantané. Certes, les siècles passés ont démontré que les rumeurs de guerre circulaient déjà rapidement sans moyen satellitaire, mais il semble que l’on ait changé de cadence4 et que le brouillard de la guerre ne cesse de s’épaissir et de se complexifier en dépit de cette visibilité pourtant accrue…

La trilogie anticipation (via un renseignement transféré au bon moment à la bonne personne) / gestion de crise (via une prise de décision d’autant plus difficile que, contrairement à Moscou, l’Occident doit composer et donner l’impression d’un front uni, alors qu’il existe autant de nuances et de prises de position que de nations concernées) / désescalade (via un subtil équililbre entre mesures de confiance et dissuasion) se heurte à l’accélération du temps que prodigue l’innovation technologique – en particulier en matière de connectivité –  de ces dernieres années.

La stratégie Biden consistant à essayer de couper l’herbe sous le pied de Vladimir Poutine en dévoilant publiquement et au fur et à mesure les intentions guerrières de ce dernier – provocations, vidéos de désinformation, etc – peut etre interprétée dans une logique visant à maîtriser une telle accélération de la spirale décisionnelle. La réussite de cette approche un peu nouvelle n’a hélas cependant rien de certain …

 

 

Notes

 Pour abonnés >>> https://www.latimes.com/politics/story/2022-02-17/nato-and-def-sec-austin-talk-russia? ; https://www.washingtonpost.com/world/2022/02/17/ukraine-russia-putin-nato-munich/
2 https://www.defenseone.com/threats/2022/02/it-was-false-russia-still-mobilizing-war-official-says/362109/
Pour abonnés >>> https://www.wsj.com/articles/ukraine-pro-russia-separatists-trade-allegations-of-cease-fire-violations-11645091832
4 https://www.defenseone.com/threats/2022/02/satellite-images-and-experts-challenge-russian-withdrawal-claims/362045/

 

Illustration © Eugenius777