Par Murielle Delaporte – Alors que les articles et déclarations sur l’imminence d’un départ annoncé du Mali s’intensifient à la veille du Sommet Union européenne – Union africaine qui doit se tenir à Bruxelles les 17 et 18 février[1], les bilans ne manqueront pas pour condamner un dispositif initié il y a presque dix ans avec l’opération Serval en 2013.

Pourtant, il semble que l’on puisse dégager au moins trois grandes constatations permettant de prendre du recul quant au sentiment d’échec qui pourrait être ressenti par rapport aux efforts anti-terroristes de la France au Sahel :

  1. La durée de l’opération Barkhane elle-même est un succès en soi étant donné son ambition à la fois plus globale (sécurité + développement) et plus large géographiquement (élargissement du Mali avec Serval et du Tchad avec Epervier[2] pour inclure la Mauritanie, le Burkina Faso et le Niger dans l’ensemble dit du G5-Sahel) : le défi des élongations sur une zone aussi étendue ne doit pas être sous-estimé ;
  2. Redéployer les dispositifs et les opérations militaires en Afrique en fonction de l’évolution et de la demande des pays africains n’est pas quelque chose de nouveau pour la France, laquelle ne va pas s’incruster si un pays ne veut plus de son aide au gré des changements politiques survenant fréquemment dans la région : si la France avait été sollicitée en 2013 par Bamako et accueillie en sauveur pendant Serval, les conditions réunies aujourd’hui sont hélas bien différentes avec comme l’explique Wassim Nasr, spécialiste du djihadisme, « un alignement d’intérêts entre la junte, les djihadistes et les Russes qui veulent tous le départ des Français »[3]. Rester dans ces conditions n’aurait aucun sens, d’autant que, vu le remplacement rapide par les mercenaires du groupe russe Wagner des forces françaises ayant quitté certaines emprises du nord Mali, le message a été reçu haut et fort et, comme l’a affirmé Florence Parly « il n’est pas possible de cohabiter avec des mercenaires »[4]. Ce processus de redéploiement devrait ainsi se caractériser par :
    • la poursuite du désengagement du nord du Mali : après Tombouctou, Kidal et Tessalit, les Français ne devraient pas tarder à quitter Gossi, Ménaka et même Gao ;
    • la réduction des effectifs pour revenir autour de 2500 personnels d’ici 2023, ce qui permettrait de dégager des effectifs pour d’autres missions et théâtres redevenus prioritaires. L’armée de l’Air et de l’Espace devrait cependant conserver à peu près les mêmes missions (ISR et frappes aériennes anti-terroristes) et les mêmes rotations notamment à partir de la BAP (base avancée projetée) de Niamey au Niger qui accueille depuis des années drones et chasseurs ;
    • le resserrement du dispositif autour du Niger justement, mais aussi des pays limitrophes, ainsi que vers les pays du Golfe de Guinée demandeurs d’un accroissement du soutien de la France dans la lutte anti-terroriste ;
    • le redéploiement également de la Task Force Takuba, ce qu’il ne faut pas là non plus considérer comme un échec, puisque la cause n’est pas endogène, mais comme l’embryon d’un effort européen novateur et pionnier que les pays participants souhaitent prolonger d’une autre manière et qui est susceptible d’être reproduit sur d’autres théâtres.
  3. La mission initiale de Barkhane – à savoir l’endiguement de la menace terroriste au Sahel, et par ricochets sur le sol national – n’a jamais failli : le bilan des opérations parle de lui-même[5] et la perte des cinquante-trois soldats français n’aura pas été vaine. Cette mission ne s’arrête pas pour autant et se poursuit sous la forme d’un nouveau dispositif[6] au sein duquel Niamey devient central, les forces armées ne devant jamais cesser de s’adapter à l’évolution de la menace d’une part, de leur environnement d’autre part.

Partir du Mali relève du bon sens consistant à éviter un enlisement ou un départ brusqué façon Afghanistan, mais la lutte anti-terroriste se poursuit au-delà des convulsions politiques auxquelles le continent africain est hélas habitué.

 

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Notes 

[1] https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220216-sommet-union-africaine-union-européenne-2022-deux-continents-des-priorités-différentes

[2] https://www.defense.gouv.fr/operations/missions-realisees/afrique/operations-epervier-1986-2014/dossier/les-elements-francais-au-tchad-eft

[3] https://www.france24.com/fr/afrique/20220215-avec-le-départ-de-barkhane-l-option-d-une-négociation-avec-les-jihadistes-relancée-au-mali

[4] https://www.senat.fr/questions/base/2021/qSEQ21092013G.html

[5] « Selon la Direction du renseignement militaire (DRM), citée dans le rapport des députées Françoise Dumas, Sereine Mauborgne et Nathalie Serre sur l’opération Barkhane en avril 2021, pas moins de 869 membres de l’EIGS ont été tués entre début 2020 et début 2021. Et le rythme n’a pas faibli depuis: 30 djihadistes éliminés début février dans le Liptako malien, 50 autres entre le 7 et le 10 février au Burkina Faso », écrit par exemple Vincent Lamigeon dans un article publié le 15 février 2022 dans Challenges >>> https://www.challenges.fr/monde/huit-ans-apres-son-lancement-le-vrai-bilan-de-barkhane_800890

Lire le rapport de l’Assemblee nationale en date d’avril 2021 >>> rapport sur l’Operation Barkhane de la commission de la defense nationale et des forces armees Assemblee nationale 14 avril 2021

[6] Voir par exemple >>> https://www.la-croix.com/Monde/Mali-mini-sommet-Paris-acter-fin-Barkhane-force-europeenne-Takuba-2022-02-16-1201200566 ; http://www.opex360.com/2022/02/15/m-le-drian-laisse-entendre-que-la-fin-de-la-presence-militaire-francaise-au-mali-est-proche/

 

Formation logistique des Forces armées maliennes par les forces francaises © Murielle Delaporte, 2015