Note de synthèse – publiée ici sous la forme de huit brèves – et réalisée au sein de l’Université de Technologies de Troyes (UTT) sous la direction de Romain Petit,  Luca Buisson, Léa Dieppois et Silvère Raynaud – 

Conclusion : une stratégie maoïste bis repetita ?

Si l’histoire de l’ambiguïté de la relation entre les Ukrainiens et les Russes est séculaire, nous avons pu voir que depuis 2004, celle-ci est devenue le vecteur d’une conflictualité de plus en plus intense et généralisée. De l’empoisonnement présumé d’un président trop tourné vers l’Europe et sa déstabilisation jusqu’à l’utilisation du levier économique pour « mater » la volonté d’indépendance, l’influence russe s’est peu à peu muée en un pouvoir pénétrant la sécurité intérieure de l‘Ukraine pour ensuite, en un éclair, la fracturer. Sur ces brèches, au bénéfice de l’ombre, cette influence a ensuite prospéré tous azimuts. Ce mélange de peur et de séduction, cette volonté de se montrer civilisé et à la hauteur des conventions internationales, tout en jouissant de leur transgression pour en quelque sorte vampiriser un peuple frère, signe la profonde hybridité du conflit à l’œuvre.

Pris un à un, les faits décrits pourraient en effet dresser le portrait d’une Russie dont la volonté de puissance sait faire feu de tout bois, dirigée par un dictateur tiraillé entre une volonté de puissance délirante et la rationalité la plus froide. La Russie de Poutine apparaît ainsi sous les traits d’un état machiavélien à l’extrême, dominée par une raison d’Etat faisant fi de toute considération morale. Néanmoins, le trait semble trop dur pour ne pas nous alerter sur le risque d’un certain manichéisme, et la dénonciation des fictions que la Russie nous raconte et se raconte, doit nous conduire, en retour, à la prudence sur nos propres narrations qui, inconsciemment parfois, dominent certaines de nos analyses.

Il y a en effet comme moteur de cette Histoire actuelle une complexité qui ne peut être rendue que par une lecture s’inscrivant sur le temps long. Reste que le conflit en Ukraine qui aurait débuté selon nous depuis 2004 présente certaines similitudes avec la guerre populaire prolongée telle que théorisée par Mao Zedong82  :

  • Une première phase défensive stratégique, où il s’agit d’obtenir le soutien de la population grâce à des attaques contre la machine gouvernementale et par la propagande, pourrait ainsi être reconnue dans la période 2004-2014.
  • Puis, de 2014 à 2022, se serait déployée une seconde phase d’équilibre stratégique caractérisée par la montée en puissance des attaques sur le pouvoir militaire et la formation de poches de résistance et de sécession.
  • Enfin, on assisterait en 2022 à la dernière phase théorisée par Mao, celle d’offensive stratégique où le combat conventionnel et le déploiement massif de forces sont employés pour prendre les villes, déborder le gouvernement et contrôler le pays. Ainsi, selon cette lecture, l’actuelle invasion russe serait le fruit d’une détermination longuement mûrie, fruit des théories de guerres dites révolutionnaires et de l’approche indirecte chère à Liddell Hart, strategiste britannique du XXème siècle83

Notes de bas de page :

82 Tenenbaum Elie. (2015, octobre). Le piège de la guerre hybride. ifri.org. https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/fs63tenenbaum_1.pdf

83 Voir par exemple : https://www.cornellpress.cornell.edu/book/9780801420894/liddell-hart-and-the-weight-of-history/#bookTabs=1