Par Murielle Delaporte – Une synthèse de l’audition de Sébastien Lecornu devant la Commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat le 28 février 2023 sur le thème : Loi de programmation militaire et guerre en Ukraine

Alors que la prochaine loi de programmation militaire est déjà débattue et fixée à 413 milliards d’Euros, le ministre des Armées Sébastien Lecornu en a déroulé les priorités le 28 février devant les Sénateurs de la Commission des forces armées et a répondu aux nombreuses questions pointues de ces derniers dans un esprit d’ouverture et de conciliation, reflet de l’esprit d’unité nationale qu’inspirent les évènements en Ukraine.

En voici quelques unes des grandes lignes :

  1. La France « sous voûte nucléaire »

Pour le ministre des Armées, il incombe au gouvernement une « responsabilité générationnelle de modernisation de la composante nucléaire » et de la dissuasion.

Faisant écho à certaines critiques il a estimé que cette singularité française – qui permet d’éviter toute comparaison de l’état des forces militaires de la France avec l’Ukraine ou toute autre nation -, n’est en rien une « ligne Maginot » de par son efficacité. La dissuasion nucléaire française participe à celle de l’OTAN et en renforce par ailleurs la crédibilité, a souligné le ministre en réponse aux questions des parlementaires.

Les moyens conventionnels qui la sous-tendent doivent cependant être accrus.

  1. Dix secteurs de modernisation prioritaires
  • Le renseignement – essentiel pour la dissuasion, la lutte anti-terroriste et l’anticipation dans un contexte stratégique tendu – va bénéficier d’une augmentation budgétaire de 60% au profit de ses trois directions majeures : la DRSD, la DRM (dont le ministre a souligné le «grand bond en avant » et dont les budgets devraient doubler) et la DGSE.
  • Les drones (qui incluent les munitions rodeuses) doivent être l’objet de toutes les attentions en termes de financement et d’innovation, car il ne s’agit plus seulement de combler un retard, mais de faire un saut technologique pour être au rendez-vous des défis à l’horizon 2030-2035.
  • La défense sol-air ne doit plus être le parent pauvre de la défense, étant indissociable de la dissuasion.
  • Une nouvelle « copie Outre-mer » est en cours de rédaction sur tous les plans Terre, Air, Mer, sans oublier les enjeux spatiaux.
  • Le domaine cyber et la cybercriminalité, sujets à la fois techniques et doctrinaux, posent la question du degré de subsidiarité en raison de leur impact régalien, afin de pouvoir entraver et contre-attaquer au nom de la « légitime défense cyber ». L’enjeu actuel est la création de ressources humaines en raison de l’absence de filières suffisantes (notamment dans les grandes écoles telles Polytechnique).
  • La protection des fonds marins aujourd’hui remise en cause : il s’agit là de mettre fin au déni d’accès.
  • L’espace non seulement côté lanceurs, mais aussi en ce concerne « ce que l’on y envoie ».
  • Les forces spéciales dont le ministre a salué le courage au combat et déploré les lacunes capacitaires en termes de soutien et de transport (notamment en matière d’hélicoptères).
  • Les munitions, un des éléments centraux de la remontée en puissance des capacités industrielles de défense vers l’économie de guerre, font l’objet de nouvelles commandes et de relocalisations, dont la filière poudre à Bergerac.
  • Le soutien dans son ensemble doit continuer à être renforcé au-delà de l’actuelle « LPM de réparation » avec un accent particulier sur le Service de santé des Armées et ses hôpitaux militaires de campagne. Le budget alloué à l’entretien programmé des matériels devrait faire un bond de 40% pour passer de 35 à 49 milliards d’Euros.

 

  1. Grande première depuis des années : les dépenses liées à l’Ukraine (hors maintien en condition opérationnelle) seront sorties de la future LPM pour gagner en transparence.
  2. La présence des forces militaires françaises en Afrique fait actuellement l’objet d’une remise à jour et d’une étude à la demande du Président Macron, reflet de la volonté des pays hôtes, de leur montée en puissance et de l’expression de nouveaux besoins. La situation de chaque pays partenaire (Gabon, Côte d’Ivoire, Sénégal, Tchad, Niger, Djibouti) est différente avec des relations bilatérales basées soit sur des missions de formation exclusivement, soit sur des missions de formation et d’intervention (comme au Tchad et en Côte d’Ivoire). L’idée est d’«être présents différemment » à la demande des pays souverains avec lesquels la France est alliée, a rappelé le ministre en s’érigeant contre les critiques fustigeant un « départ de la France » de l’Afrique.
  3. Le financement de la BITD est un défi et de nombreuses initiatives sont en cours, parmi lesquelles la sensibilisation des institutions bancaires au financement des PME dont la demande est trop souvent rejetée en raison de leur appartenance au secteur de l’armement.
  4. La question du SNU est indissociable de la politique RH du ministère des Armées avec un problème non pas de recrutement, mais de fidélisation. Sébastien Lecornu a souligné la transformation actuelle du format des armées avec bientôt un militaire de réserve pour deux militaires d’active. Un défi à relever avec l’impératif de pouvoir entraîner, équiper et motiver les réservistes.
  5. L’aide militaire française à l’Ukraine repose sur deux piliers : l’artillerie d’une part (notamment avec une offre complète Caesar), la défense sol-air (avec un taux de succès reconnu des systèmes Crotale) d’autre part. Rien n’est tabou, mais la pression envers la France et les pays alliés en général porte actuellement surtout sur les munitions et les obus.
  6. Une réaffirmation du rôle de la France dans l’OTAN : l’histoire est à rappeler face à l’ « anti-américanisme primaire » de certains milieux et à l’incompréhension potentielle d’une opinion publique peu habituée à cette rhétorique de cohésion transatlantique en en soulignant la dimension européenne. La France est non seulement le quatrième contributeur financier de l’OTAN, mais aussi – fait moins connu rappelé par le ministre – le second contributeur en termes de mise à disposition de matériels.

 

Photo issue de la vidéo reprenant l’audition du ministre des Armées dans son intégralité >>>