Par Manuella Benquey – Le Vaillant

12/04/2011 – « Comment l’Armée de Terre doit-elle se préparer aux engagements de demain ? » Tel était le thème des cinquièmes rencontres Terre-Défense, organisées par le think tank «Défense & Stratégie », qui se sont tenues à l’Assemblée Nationale le 1er mars dernier, lequel visait à réunir militaires, industriels et parlementaires.



VAB manoeuvrant au camp de la Courtine (Photo: Sandra Chenu Godefroy)


Comment se préparer à l’imprévisible ? Cet oxymore résume bien le défi auquel est confrontée l’Armée de Terre – comme bien sûr les deux autres armées – s’agissant de la prévision et de la planification des engagements futurs, objet de la première table ronde de la journée.

Face à l’instabilité croissante du monde et l’évolution de la conflictualité qui en découle – avec notamment le déplacement du centre de gravité mondial vers l’Asie et la poursuite de la globalisation, génératrice d’interdépendances et donc de fragilités accrues –, les différents intervenants n’ont eu de cesse de rappeler que les travaux de prospective conduits au sein du Ministère de la Défense devaient l’être avec la plus grande humilité.

Le Général Lafontaine, directeur du Centre Interarmées de Concepts, de Doctrines et d’Expérimentations (CICDE) l’a résumé ainsi :

Disposer d’un outil militaire suffisamment polyvalent est la seule réponse à la « surprise stratégique » toujours possible.

 

Il a ensuite identifié les principaux facteurs de tensions dans le monde aujourd’hui :

  • les déséquilibres démographiques ;
  • les déséquilibres de répartition des richesses ;
  • l’accès aux ressources énergétiques et « nourricières » (c’est à dire l’accès à l’eau et aux terres arables) ;
  • la montée des extrémismes conjuguée à la fragilité de certains Etats ;
  • la prolifération des armes de destruction massive ;
  • la criminalité organisée – pouvant s’attaquer aux Etats ;
  • le cyber-terrorisme ;
  • la diminution progressive du retard technologique par les Nations émergentes – ces dernières rattrapant petit à petit leur retard capacitaire du fait de la forte dualité de nombreux équipements militaires.

Le directeur du CICDE a rappelé que ces différents facteurs étaient intégrés à la mise en œuvre de la nouvelle stratégie pour l’action, telle que définie par le Livre Blanc Défense et Sécurité nationale de 2008.

Dans un deuxième temps, le Général Ollivier, commandant le Centre de Doctrine d’Emploi des Forces (CDEF), a exposé les conséquences des grandes tendances conjoncturelles sur l’emploi tactique des forces.

– Les restrictions budgétaires, en ce qu’elles induisent des effectifs contraints en volume et un rendement accru des matériels, constituent selon lui la première d’entre elles.

– Deuxième tendance identifiée : la sensibilité croissante aux pertes humaines, aussi bien au sein des troupes elles-mêmes, que les victimes civiles « collatérales », avec pour conséquence directe la nécessité de disposer de munitions d’extrême précision.

La judiciarisation croissante des opérations est encore un élément significatif de cette évolution pour le commandant du CDEF, celle-ci obligeant les chefs à une formation spécifique afin d’appréhender cette nouvelle dimension et à s’entourer sur le théâtre d’opérations de juristes.

Le Général Ollivier a enfin mentionné l’imbrication accrue des différents cadres d’intervention :

  • le cadre international – à l’instar de la coalition en Afghanistan – impliquant une coordination complexe ;
  • le cadre national, avec la nécessaire concertation interministérielle – principalement avec le Ministère des Affaires Etrangères – ;
  • le cadre interarmées ;
  • et même le cadre interarmes.

Dernier intervenant sur ce thème, le Général Charpentier, commandant les Forces Terrestres, a rappelé « le fait terrien de la guerre ». A l’instar de l’Afghanistan, où, même s’il s’inscrit au cœur de manœuvres globales et bénéficie de soutien aérien, le combat au sol demeure essentiel.

Toujours à propos du conflit afghan, le commandant des Forces Terrestres a précisé que le caractère asymétrique de ce dernier ne remettait en cause ni l’application des principes tactiques classiques, ni l’entraînement général des forces.

Il a par ailleurs déploré la dérive médiatique, qui fait, selon lui, prendre à l’émotion le pas sur la raison, ainsi que « l’intrusion du Droit », avec pour conséquence l’élargissement du champ de responsabilité des militaires, « lourd fardeau » à prendre en compte dans la formation des chefs.



Soldat en camp avant un déploiement en Afghanistan (Photo: Sandra Chenu Godefroy)


Définir et disposer des systèmes d’équipement aéroterrestres adaptés : tel était le sujet de la deuxième table ronde, au cours de laquelle clients et industriels ont exposés leur point de vue, parfois divergents.

L’Ingénieur Général de l’Armement Dufour, directeur du Service du Maintien en Condition Opérationnelle de la Délégation Générale pour l’Armement (DGA/SMCO), a tout d’abord fait part de sa vision sur la problématique des besoins capacitaires, ainsi caractérisée :

  • par l’exigence accrue de rendement des équipements du fait des contraintes budgétaires d’une part ;
  • par le défaut français, d’autre part, de penser que la technique prévaut et que le soutien n’est pas essentiel.

Le Général Verna, directeur Central de la Structure Intégrée du Maintien en Condition Opérationnelle des Matériels Terrestres (SIMMT), a ensuite dressé le panorama de la situation au sein de l’Armée de Terre s’agissant de ses matériels et leur maintien en condition opérationnelle (MCO).

Pour l’exercice budgétaire 2009, le coût du MCO (hors aéronefs de l’Aviation Légère de l’Armée de Terre) s’élève alors à un peu plus de 6 % du budget annuel, soit environ 1,3 milliards d’euros – charges sociales incluses. L’entretien programmé des matériels (EPM) a donc représenté en moyenne 2 % de leur prix d’acquisition,  le taux annuel d’EPM du Char Leclerc étant quant à lui de 4 % – soit pour information 368 000 €.

Pour l’exercice budgétaire 2009, le coût du MCO (hors aéronefs de l’Aviation Légère de l’Armée de Terre) s’élève alors à un peu plus de 6 % du budget annuel, soit environ 1,3 milliards d’euros – charges sociales incluses. L’entretien programmé des matériels (EPM) a donc représenté en moyenne 2 % de leur prix d’acquisition.

Le Général Verna a également rappelé que, du fait de son obsolescence, 31 % du parc de l’Armée de Terre avait une valeur nulle. 80 % des crédits d’EPM sont affectés à 30 % des matériels. La disponibilité technique opérationnelle (DTO) de ces derniers est de 80 % – depuis 2003 – et atteint même 95 % lors de la conduite d’opérations extérieures (OPEX). Au regard de la double spécificité des matériels eux-mêmes et de leurs conditions d’emploi, le directeur de la SIMMT a estimé le coût du MCO des matériels de l’Armée de Terre « relativement correct ».

S’agissant des systèmes d’équipement aéroterrestres, les représentants des industries de Défense ont appelé de leurs vœux certaines évolutions :

  • la promotion des contrats de partenariat public / privé ;
  • la possibilité de vendre davantage d’occasions récentes à l’export ;
  • le développement des contrats d’externalisation ;
  • l’assouplissement du Code des Marchés Publics et des programmes d’armement eux-mêmes.

L’ Ingénieur Général Dufour, directeur du DGA/SMCO, a centré son propos sur la nécessité, désormais absolue compte tenu des objectifs de maîtrise des coûts, de prévoir dès le lancement d’un programme d’armement le coût engendré par son soutien.

Le Général Verna a enfin appelé les industriels à proposer une « performance moyenne » moins coûteuse, plutôt que sans cesse accroître la performance opérationnelle des équipements et aussi la possibilité de faire évoluer ces derniers en cours de contrats afin de répondre au mieux aux besoins opérationnels, et plus particulièrement après un retour d’expérience d’OPEX.



Véhicule Blindé Léger lors du défilé du 14 juillet 2011 (Photo: Sandra Chenu Godefroy)


S’exprimant sur la question de la préparation aux engagements futurs, le Général Irastorza, Chef d’Etat-Major de l’Armée de Terre (CEMAT) a, quant à lui, résumé le défi actuel auquel est confrontée l’Armée de Terre : “concilier les engagements opérationnels du moment avec une réorganisation fonctionnelle et structurelle de grande ampleur engageant durablement l’avenir et difficile à percevoir de l’extérieur”.

Avec 31 000 hommes projetés – relèves incluses – en 2010 et 1 800 véhicules majeurs en opérations, dont mille blindés, six cents véhicules de l’avant blindés et une cinquantaine d’hélicoptères, le CEMAT  a qualifié de « très raisonnable » le coût relatif de l’armée de Terre.

Concernant les équipements, il a affirmé la nécessité de développer ces derniers « plus basiques et adaptables dans la durée », pour répondre à la fois aux exigences des théâtres d’opération, mais aussi pouvoir tirer parti des dernières évolutions technologiques – dans les domaines de la motorisation, de l’optronique, des systèmes d’information, etc. S’agissant de l’équipement du combattant, il a également rappelé la nécessité des séries courtes, “là encore pour tirer le meilleur profit des dernières évolutions”, mais également pour satisfaire les jeunes soldats, “sensibles aux effets de mode et très attentifs à leurs équipements individuels, facteur clef du moral”.

Dans le domaine du MCO et de l’emploi des équipements, le CEMAT a appelé à « donner la priorité absolue aux OPEX, dans un contexte de maîtrise des coûts et d’enveloppe durablement contrainte ».

Rappelant qu’en 1914, il était possible de “placer un fantassin tous les cinquante centimètres entre Nice et Dunkerque, et (que) désormais nous le pouvons entre la porte Maillot et la porte de la Villette”, mais aussi “qu’il y a désormais dans notre artillerie treize fois moins de canons que du seul côté français à Verdun, trois fois moins qu’aux Invalides aujourd’hui“, le Général Irastorza a exhorté “ceux qui devront porter la responsabilité des engagements de demain” à être “certains que le point de départ de toute nouvelle évolution, de toute réflexion sur les engagements de demain, sera bien connu”.


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Liens externes

Lien vers l’intervention in extenso du CEMAT
Site web du Think Tank Défense et Stratégie