Par Richard Weitz directeur du Centre d’analyse politico-militaire de l’Hudson Institute, Washington, D.C.

Sen. Dick Lugar, R-Ind., right, former Sen. Sam Nunn, D-Ga., center, and Defense Secretary Leon Panetta, left, listen as President Barack Obama, not pictured, speaks at the Nunn-Lugar Cooperative Threat Reduction (CTR) symposium being held at the National Defense University at Fort McNair in Washington, Monday, Dec. 3, 2012.(AP Photo/Charles Dharapak)

Crédit photo : Les Sénateurs Lugar et Nunn et le secrétaire de la défense, Leon Panetta, écoutent le Président Obama lors d’un symposium sur la CTR organisé par la National Defense University, , (photo : Charles Dharapak, Associated Press, Washington, D.C., 3 décembre 2012

 

7 décembre 2012 – La volonté russe de mettre fin à sa participation aux accords coopératifs de réduction des menaces, connus sous le nom du programme Nunn-Lugar ou programme CTR (Cooperative Threat Reduction), tels qu’il sont définis à l’heure actuelle, ne devrait pas être considérée comme un revers important, et offre des opportunités en vue d’atteindre d’autres objectifs de non-prolifération. Le programme s’est déjà largement détaché de sa mission d’origine, et il devrait continuer à s’en éloigner. Parallèlement, une transition réussie des Américains aux Russes du programme CTR est aussi un objectif important. Mieux coordonner tous les programmes et institutions de réduction des menaces d’armes de destruction massive (ADM) et obtenir un plus grand soutien de la Chine et des autres pays non-occidentaux  représentent également d’autres défis majeurs.

Le programme CTR apparaît comme un exemple d’une des collaborations les plus réussies de temps de paix en matière de sécurité entre des puissances militaires majeures, qui plus est entre d’anciennes puissances ennemies. Parmi ses nombreux succès, le programme CTR a aidé à démanteler les armes stratégiques des anciennes républiques soviétiques, à renforcer la sécurité et la sûreté de leurs ADM et autres matériels pouvant servir à la fabrication d’AMD autant pendant le stockage que pendant le transport, à réunir et contrôler les ADM , à empêcher le trafic d’AMD et de leurs composants au travers des frontières, et à rediriger les anciens spécialistes en armements et entreprises militaires soviétiques vers le domaine civil.

Personne ne sait si le gouvernement russe prévoit de mettre fin au programme CTR  après que l’accord cadre général – lequel constitue la base juridique de nombreuses agences russes et américaines pour négocier divers projets – soit terminé, ou si les officiels russes cherchent à obtenir des changements majeurs. Les représentants officiels russes ont par ailleurs évoqué l’idée que le programme CTR pourrait continuer en Russie sous l’égide du Partenariat mondial contre la prolifération des armes de destruction massive. Cette initiative inclut une vingtaine de nations participantes travaillant sur des projets d’élimination et de non-prolifération des ADM dans de nombreux pays, y compris en Russie.

Jusqu’à présent, ces accords-cadres qui ont été renouvelés en 1999 et 2006, contenaient diverses dispositions sur les dettes, visas, taxes qui agaçaient le côté russe.   Ainsi, par exemple, la disposition sur les dettes rend la Russie responsable pour tout accident susceptible d’avoir lieu dans le cadre des projets financés par Nunn-Lugar, même si le personnel en cause n’est pas russe. De plus, les officiels russes s’inquiètent que Washington puisse avoir accès à des secrets russes.

La fin du programme Nunn-Lugar serait particulièrement déroutante car, en dépit de la détérioration des relations entre la Russie et l ‘Occident au cours de ces vingt dernières années (voir par exemple le gel quasi-complet des échanges stratégiques après la guerre contre la Géorgie en août 2008), la coopération entre la Russie et les Etats-Unis sur le programme de réduction des menaces communes n’a jamais été interrompue.

Une modification du programme CTR pourrait se révéler problématique tant que la disposition et la capacité russes à maintenir des mesures de sécurité aux normes sur les sites d’ADM, financés précédemment par des financements américains et d’autres pays, restent incertaines.  Garantir le financement du programme CTR sera un objectif important pour ces prochaines années et tout n’est pas perdu, en ce sens que le programme CTR pourrait être adapté et trouver une utilité nouvelle à l’avenir.

La vision originelle de l’initiative Nunn-Lugar (le Soviet Nuclear Threat Reduction Act de 1991) était d’assister les anciennes républiques de l’Union Soviétique, devenues indépendantes, dans l’application des traités soviéto-américains adoptés précédemment sur le contrôle des armes nucléaires, tel que le traité START 1. Les responsables américains du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif voyaient de nombreux avantages dans la destruction des systèmes d’armement spécialement conçus pour attaquer les Etats-Unis. Les décideurs politiques russes étaient quant à eux, ouverts au principe de recevoir une aide extérieure pour détruire des armements vétustes, non voulus, et potentiellement dangereux. Les responsables politiques russes et américains voulaient aussi éliminer la présence d’ADM en Biélorussie, au Kazakhstan et en Ukraine. Le programme CTR a été un succès quant au démantèlement intégral des arsenaux d’armes nucléaires dans ces pays-là, et a permis de sécuriser les armes nucléaires russes.

Un second objectif du programme CTR est devenu de plus en plus important au fil du démantèlement des armes soviétiques : Renforcer la sécurité quant aux armes russes de destruction massive pour éviter un trafic illicite par des terroristes ou autres organisations non-gouvernementales. Suite à la promulgation du National Defense Authorization Act en1997, les agences gouvernementales américaines ont fait preuve d’une attention particulière quant au renforcement des équipements et procédures de sécurité sur les sites de stockage d’armes nucléaires en Russie, et à l’aide apportée au gouvernement russe à réunir, sécuriser, et justifier ses sites d’armes nucléaires et matières fissiles.  Coopérer avec la Russie et d’autres pays pour mettre en place différents niveaux de protection contre les armes de destruction massive en transit, ainsi que sur leur lieu d’ origine, est une priorité récente. Les attentats du 11 Septembre ont démontré les capacités et la sinistre ingéniosité des groupes terroristes modernes, ce qui a contribué à renforcer la sécurité et de la sûreté des ADM russes, et des matériaux et technologies qui s’y rapportent.

Il est maintenant temps de faire évoluer le programme pour atteindre un autre objectif important, qui demande encore du travail: joindre les efforts russes et américains pour réduire les menaces de prolifération d’ADM pouvant provenir de pays tiers. Cette orientation du programme détient un potentiel considérable quant à une transformation des relations entre Moscou et Washington sur la question du nucléaire car cela va au-delà du modèle à sens unique donneur-receveur du programme CTR ; elle aboutirait à la mise en place d’un partenariat contre des menaces communes.

La Russie est manifestement intéressée par une coopération avec les Etats-Unis sur les menaces d’ADM à l’extérieur de la Russie. Peu après que Moscou ait annoncé que la Russie ne renouvèlerait pas sa participation au programme CTR, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Ryabkov a déclaré : «  Nous sommes intéressés par une coopération normale, égalitaire, mutuellement bénéfique dans ces domaines,  y compris la coopération dans des pays tiers ».

Cette nouvelle orientation qui va au-delà de la question russe contournerait aussi la principale plainte américaine, à savoir les accès restreints donnés aux officiels envoyés par le gouvernement américain sur des projets financés par les Etats-Unis en Russie. En plus de la compréhensible sensibilité russe en matière de sécurité, le programme CTR  diffère du modèle traditionnel de contrôle de l’armement, ce qui renforce les inquiétudes russes. Les anciens traités Soviéto-américains de contrôle des armements stratégiques de la Guerre froide mentionnent habituellement des programmes de vérification, des privilèges et obligations communes qui garantissent aux deux parties un accès à peu près équivalent dans le cadre d’inspection et de contrôle.

Le cadre actuel de l’accord bilatéral portant sur le programme CTR ne donne pas au personnel russe le même niveau d’accès aux installations et programmes américains d’élimination des armes nucléaires, car le gouvernement russe ne paie pas pour ces activités basées sur le territoire américain. En raison de ces craintes quant aux inégalités de traitement et des risques afférents, les officiels russes ont largement limité l’accès des Etats-Unis à certains sites russes d’ADM. Les menaces que représentent les ADM sont devenues à la fois plus complexes et plus mondialisée. Ce renouveau de l’énergie nucléaire à l’échelle mondiale, qui conduit de plus en plus de pays à développer des programmes nucléaires civils, engendre une multiplicité de machines et matériaux qui pourraient être utilisés à des fins armées. Les industries biologiques et chimiques deviennent aussi de plus en plus complexes et mondialisées, avec un grand nombre de nouveaux produits et technologies à double-usage.

La communauté internationale doit intégrer et mieux coordonner les nombreuses initiatives liées aux ADM pour les rendre plus efficaces et élargir leur portée. Le Partenariat mondial contre la prolifération des armes de destruction massive, l’Initiative de sécurité contre la prolifération (ISP), les Nations Unies (en particulier, la Résolution 1540 du Conseil de sécurité des Nations unies), l’Initiative mondiale de lutte contre le terrorisme nucléaire, la Convention sur l’interdiction des armes biologiques (CABT), la Convention sur l’interdiction des armes chimiques (CIAC), et plus récemment le Sommet sur la sécurité nucléaire font parties des initiatives les plus marquantes. Les Etats-Unis et la Russie jouent un rôle important dans toutes ces initiatives, mais les Etats européens et asiatiques sont aussi devenus des acteurs influents pour certaines d’entre elles. Maintenant, un des défis est d’inciter davantage de pays africains et latino-américains à soutenir ces résolutions. La Chine aussi doit jouer un plus grand rôle au vu de l’essor de son industrie nucléaire civile, dont la prolifération potentielle est crainte par de nombreux Etats. Les ressources chinoises, notamment financières, en constante augmentation, pourraient aussi être utilisées pour soutenir des projets et institutions liés au programme CTR.

Le Congrès américain avait confié aux autorités russes l’entière responsabilité pour le financement et le contrôle des systèmes de sécurité nucléaire en Russie même avant l’annonce de la Russie concernant la fin de sa participation au programme CTR.

Les Américains ont ainsi essayé de favoriser la pérennité du programme CTR en renforçant la capacité des russes à gérer ces projets sans aide directe des Etats-Unis.

Ils ont notamment formé des Russes qui participaient à la mise en place des projets CTR, ont soutenu l’utilisation de technologies russes et ont encouragé les Russes à accroître leurs connaissances en matière de sécurité nucléaire. En dépit de ces efforts, la disposition et la capacité du gouvernement russe à maintenir à niveau la sécurité sur les sites russes d’ADM dont le financement était précédemment assuré par les Etats Unis et d’autres pays étrangers, restent incertaines. S’assurer de la réussite d’une telle nationalisation des programmes CTR sera là encore un objectif important dans années qui vont suivre.