A l’heure où les informations continuent d’abonder grâce à un travail de fourmi remarquable effectué par la police et la gendarmerie françaises, la nébuleuse s’éclaircit un peu et les débats porteurs de réflexion de fond s’amoncellent :

  1. Des anciens réseaux réactivés et connus des services de sécurité

Les trois hommes – les frères Kouachi et Amehdi Coulibaly – auteurs de l’attentat contre Charlie Hebdo mercredi, de la fusillade de Montrouge jeudi et des deux prises d’otage aujourd’hui étaient connus des services de police et sont issus des anciens réseaux terroristes (filière des Buttes-Chaumont connue pour envoyer des combattants en Irak) impliqués comme le souligne l’ancien patron de la police anti-terroriste, Roger Marion, dans une tentative d’évasion des responsables des attentats de 95.

La différence est la méthode utilisée, les cibles et les moyens : on est passé selon l’expression d’un commentateur du journal de 13h sur TF1 d’un « terrorisme aveugle planifié à un terrorisme de basse intensité destiné à frapper l’opinion publique en sélectionnant des cibles symboliques». Ces trois hommes, dont l’un d’entre eux a revendiqué son action au nom d’ « Al Qaida au Yemen » (AQPA), ont cependant reçu une formation militaire intense depuis lors, et la méthode est un mélange d’action militaire lourdement armée et de grand banditisme.

La question qui se pose encore est de savoir le degré de planification de la succession de ces actes, mais Frédéric Gallois, ancien patron du GIGN, souligne bien que ce scenario de prise d’otages multiple est typique du grand banditisme  pour faire en sorte que les forces de police et de gendarmerie ne puissent se regrouper en un seul endroit. On peut donc penser à une planification ayant des objectifs précis, mais s’adaptant aux cibles d’opportunité rencontrées.

  1. Une traque bien menée

Les interrogations se succèdent quant au travail de la police et de la gendarmerie au regard des évènements actuels, même si chacun rend hommage à la traque menée cette nuit :

  • Si ces hommes étaient connus et de surcroît sur la liste noire du FBI, comment ont-ils pu agir et passer entre les mailles du filet comme Mohammed Merah en 2012 ? La premiere réponse est simple : il est facile dans ce domaine de la sécurité de montrer du doigt les opérations qui échouent puisque l’on ne peut ni expliquer, ni mettre en valeur celles qui réussissent et sur lesquelles nos forces de l’ordre travaillent en permanence. De fait d’après un commentateur, le scenario de Vincennes d’aujourd’hui est le même qu’en 2012, mais plusieurs attentats avaient alors pu être déjoués. Comme le soulignent d’autre part nombre d’experts, tels le juge Travidic, la surveillance d’un individu requiert la mobilisation de cinq à six personnes, il n’est donc pas possible de surveiller en permanence des centaines et des centaines d’individus soupçonnés ; par ailleurs agir préventivement et les arrêter trop tôt engendrent leur libération faute de preuve suffisante ; c’est ce qui s’est passé pour l’un des frères Kouachi apparemment. Il s’agit donc là d’un vrai défi et débat quant aux moyens requis face à l’émergence de cette nouvelle forme de terrorisme indigène.
  • Pourquoi avoir concentré tous les moyens RAID et GIGN sur un seul endroit ? La réponse de Frédéric Gallois est de montrer la synergie de ces deux entités et le bien-fondé aujourd’hui vérifié des exercices menés en commun pour faire face à ce genre de situation (Voir sur ce sujet de l’entraînement, notre interview d’Amaury de Hauteclocque, alors commandant de la FIPN, publiée dans Soutien Logistique Défense # 6 en 2011 >> http://www.sldmag.com/fr/archives/article/83/fipn-vers-un-nouvel-esprit-de-corps ).
  1. « Des larmes de rage » : unité nationale et prise de conscience collective

Le mouvement spontané de soutien tant en France qu’à l’étranger témoigne d’une véritable mobilisation de l’opinion publique. Une jeune femme bordelaise interviewée espérait que les « Charlie » allaient devenir « un mouvement, une génération, une prise de conscience ».  Ce pourrait bien être le cas, alors que certains comparent l’attentat contre Charlie Hebdo à un 11 septembre français, le premier contre les valeurs de liberté et d’expression qui ont construit la France, le second contre la puissance économique américaine.  Si l’échelle de grandeur est bien-sûr différente en nombre de victimes, l’impact, la symbolique et l’ambiance s’avèrent similaires. La France vient de démontrer son attachement profond à son identité première, celle de la Liberté, et sa réaction est la même que le peuple américain voici quatorze ans.  Le courage politique doit être au rendez-vous dans la durée et à la hauteur des attentes de toutes les démocraties.

Quant à l’unité nationale souhaitée par le gouvernement français, on peut regretter quelques fausses notes politiciennes, dans la mesure où cette unité ne devrait pas être exclusive. On peut ne pas avoir été d’accord avec les dessins des satiristes de Charlie Hebdo, il n’en reste pas moins que l’acte qui les a touchés est intolérable, et personne ne se trompe de débat. L’oubli des différences idéologiques devrait donc de la même façon faire loi au sein de la classe politique, comme elle le fait au sein d’une population française qui verse des « larmes de rage », selon l’expression si émouvante d’un participant à la minute de silence qui s’est tenu hier sur le parvis de Notre Dame comme partout en France ….

 

***  Les citations viennent du journal télévisé et édition spéciale de 13h sur TF1 (http://www.tf1.fr/jt-13h/)