Par Mickael Laustriat – Entretien avec un responsable israélien –  La guerre des tunnels qu’Israël est en train de livrer est d’une terrible complexité. Le Hamas a construit sous Gaza un immense réseau de galeries souterraines (le « métro »), véritable « ville sous la ville » où se cachent terroristes, armes et vivres, et où leurs otages sont sans doute retenus prisonniers. Comment vaincre un ennemi souterrain qu’on ne voit pas et qui a l’avantage du terrain?

Une critique qui revient depuis le 7 octobre dernier est le fait qu’Israël n’a pas semblé s’être préparé à cette guerre, or un domaine où l’armée israélienne n’a certes pas failli est sa préparation à une guerre d’une extrême difficulté puisque sous-terraine. Dès le début des années 2000, en prévision du conflit, l’armée israélienne a en effet demandé à une équipe de géologues de l’université de Tel-Aviv d’étudier la composition du terrain dans la ville de Gaza. Que des géologues mettent leurs compétences au service de la guerre n’est pas nouveau et a permis à Tsahal de se préparer du mieux possible à l’éventualité de batailles dans cette zone. Savoir que les strates sédimentaires reposent sur un socle de calcaires et de grès siliceux à Gaza a permis aux ingénieurs du génie de savoir exactement quels types d’explosif utiliser pour les obstruer ou les détruire si nécessaire.

Dans l’entretien ci-dessous, un responsable israélien dont l’identité ne peut être révélée pour d’évidentes raisons de sécurité nous aide à comprendre cette guerre de tunnels d’un genre hélas inédit.

 

Comment localiser les tunnels ?

Dans la structure d’un sol, les tunnels sont une « anomalie ». On peut localiser cette dernière en envoyant depuis la surface une onde dont le cheminement révélera les différentes résistances à sa propagation. En analysant son retour avec un profil de sous-sol standard, on peut conclure que telle irrégularité peut signaler l’existence d’un tunnel. Mais pour que cette détection soit fiable, il faut se trouver exactement au-dessus et à la verticale du tunnel.

Une autre approche consiste à chercher les signes de construction et d’activité à la surface du sol, comme la présence de tas de terre. Pour cela, on utilise des photos aériennes de très haute résolution qui examinent de petits changements dans le terrain à de courts intervalles de temps. Dans une zone bâtie, cette tâche s’avère très difficile, en ce sens que ces changements peuvent ne pas apparaître à cause de l’activité urbaine, ou être dissimulés dans des structures construites.

Peut-on cartographier ces tunnels ?

Il est très difficile de les cartographier avec précision. Les seules sources, obtenues depuis la surface du sol ou de l’espace, plus celles provenant de renseignement humain, ajoutées à d’autres informations hautement classifiées, permettent de dresser une ébauche de cartographie 3D. Actuellement, on part de l’hypothèse qu’un vaste réseau de tunnels à plusieurs étages et de plusieurs dizaines – voire plusieurs centaines – de kilomètres s’étend sous la bande de Gaza.

Ces tunnels sont-ils sophistiqués ?

Creuser ces tunnels n’a pas été très difficile pour les ouvriers du Hamas. La composition du sous-sol de Gaza est telle qu’il est relativement facile de creuser avec une simple pioche. Sa consistance est suffisamment stable pour ne pas s’effondrer. Jusque dans les années 2000, les tunnels étaient généralement creusés à une profondeur de quatre à douze mètres, puis ils le furent à des profondeurs supérieures à quinze mètres. La plupart de ces tunnels sont généralement larges d’un mètre et hauts de deux. Leurs parois sont cimentées avec un plafond bétonné en demi-cercle. Mais ce qu’il est intéressant de souligner est l’expertise acquise au fil des ans par le Hamas, qui, peu à peu, a commencé à creuser des tunnels plus profonds, plus larges et plus longs.

Pendant longtemps, Tsahala eu une perception assez simpliste des tunnels du Hamas. On les considérait tout bonnement comme un passage pour envoyer des terroristes en Israël. Maintenant, on réalise qu’ils représentent une infrastructure menaçante, associant des éléments logistiques, stratégiques et tactiques à des méthodes de combat en surface. Le Hamas a inséré tout son système défensif et offensif dans ce réseau clandestin de tunnels combinant guerre militaire, guérilla et terrorisme.

La clandestinité est intégrée à tous les aspects de la bataille, y compris les tirs, la concentration secrète des forces et probablement aussi le transport des prisonniers et des otages, et leur détention dans des conditions médicales sûres. Les tunnels ont permis au Hamas de renforcer son avantage asymétrique, et de contourner la toute-puissance de Tsahal, armée conventionnelle. Tout cela représente un terrible défi pour un traitement offensif classique.

Quel est le point faible de ces tunnels ?

Leurs entrées est le point le plus sensible et leur détection a été confiée à l’infanterie, ce qui s’avère cependant loin d’être facile. La plupart de ces entrées sont situées dans les halls d’immeubles, d’écoles, d’hôpitaux, de bâtiments officiels ou administratifs. Il est ainsi désormais prouvé que le Hamas traite sa population comme des boucliers humains. La majorité des tunnels partent de zones urbaines, parce qu’il est ainsi plus facile de se brancher aux canalisations électriques et au réseau de communications. Les terroristes qui ont été capturés ont fourni quelques renseignements sur le réseau de tunnels, mais ils sont très limités. Quant aux civils qui avaient pour charge de les creuser, certains ont dit qu’ils étaient conduits les yeux bandés sur les puits qui menaient aux lieux où ils creusaient.

Une bombe de grande puissance explosant sous terre pourrait-elle générer une onde sismique suffisamment forte pour les détruire ?

C’est difficile, parce que les tunnels sont renforcés par du béton. Pour amollir la structure, on pourrait faire venir de l’eau de l’extérieur, mais cela nécessitera de gros volumes et des semaines d’arrosage.

Un tunnel se compose en pratique de deux parties : le puits qui y conduit et le tunnel proprement dit. Détruire le puits est très facile. Par contre, pour détruire les tunnels, on envoie un robot qui va se charger d’étaler un gel explosif sur une certaine longueur, et on actionne le détonateur. Si les immeubles sous lesquels passent les tunnels peuvent parfois souffrir des conséquences de l’explosion, la fumée qui va s’échapper va permettre de localiser de nouveaux puits, souvent très loin du lieu de l’explosion. Un drone prend alors des photos, qui sont envoyées à la cartographie, et c’est ainsi qu’on parvient à « mapper » ou cartographier les tunnels.

Le problème que rencontre Tsahal est que la guerre des tunnels se poursuit bien évidemment en dehors des tunnels. Ainsi, lorsqu’un nouveau puits est localisé, l’expérience a montré que des snipers du Hamas, embusqués dans les appartements des immeubles environnants, peuvent causer de nombreuses pertes. L’infanterie se tient alors à deux cent mètres de l’ouverture du puits et envoie un drone pour essayer de localiser les snipers. Identifier dans quel immeuble, à quel étage, et à quelle fenêtre ils se trouvent, puis si l’immeuble est encore habité, il faudra prendre en compte l’éventualité de dégâts collatéraux, et peut-être même reporter ou annuler l’opération. Une fois le sniper localisé, l’information est transmise à un central opérationnel qui va – ou non – autoriser sa neutralisation, qui pourra être confiée à un char, voire même à un avion, qui ciblera avec précision l’emplacement du ou des snipers. Tsahal est à présent rodé pour effectuer toute cette chaîne d’opération, depuis l’envoi du drone jusqu’au tir sur cible en quelques minutes.

Peut-on avancer une date pour la fin de cette offensive ?

Là encore, c’est difficile parce qu’on évalue à plusieurs centaines de kilomètres le réseau de tunnels construits par le Hamas. Pour l’instant, nos soldats avancent pas à pas, sécurisant une zone puis une autre. Quand nos forces auront le contrôle entier du secteur nord de Gaza, elles pourront se redéployer vers le sud de l’enclave, parce que les tunnels arrivent jusque-là, et bien au-delà puisqu’ils passent même sous la frontière avec l’Egypte.

Un fait que nous connaissons depuis les années quatre-vingt, époque où les tunnels servaient à la contrebande et à la réunion de familles séparées par le tracé de la frontière décidée après les accords d’Oslo, en 1994…

 

Photos issues de la vidéo ci-jointe (voir lien url) au sein de laquelle le porte-parole de Tsahal  explique  les opérations actuellement menées dans les tunnels de Gaza >>> https://videoidf.azureedge.net/040fb06a-9e8a-4a8e-9d79-a7f80ffe6296

Cette vidéo a notamment été diffusée par les forces de défense israéliennes le 13 novembre dernier sur Youtube >>>