(Par Jean-Baptiste Dartaguiette, étudiant, Diplôme universitaire DU « Arès – Défense & Industrie », université de Bordeaux) – Défense & Environnement: Deux notions sans lien direct ? En apparence seulement….
Convenons que l’environnement a été un facteur essentiel dans l’élaboration de toute stratégie ou tactique par les principaux acteurs de la défense que sont les militaires. L’importance accordée à la précision des données des cartes géographiques en ont témoigné de tous temps. Convenons également que le devenir de l’environnement dans lequel les opérations militaires se déroulent n’ont pas été le souci premier du stratège ou du tacticien.
L’environnement se définit comme un ensemble de conditions naturelles physique, chimique, biologique et culturel dans lesquels les organismes vivants, l’homme, se développent. C’est une notion polysémique, dont on perçoit le caractère évolutif, transgénérationnel et multidimensionnel. (…)
Le facteur environnemental a pris de l’ampleur à la fin du XXème siècle lorsque les Etats ont pris conscience de l’importance des enjeux environnementaux pour un développement durable de la planète et se sont engagés dans des négociations internationales sur le climat à partir de la Conférence de Rio en 1992 suivie de la publication du premier rapport d’évaluation du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), et nous avons tous en tête les récentes COP 21 (Paris, 2015) et 22 (Marrakech, 2016).
Le principe environnemental est ainsi devenu un élément qui concerne tous les secteurs de fonctionnement d’une société, et la Défense n’échappe pas à la règle. Pour preuve, la prise en compte des « Risques environnementaux » dans les états-majors militaires à l’exemple des départements « Hygiène Sécurité Environnement, HSE » des entreprises civiles. Désormais, le secteur de la Défense se doit de prendre en compte la gestion environnementale dans toutes ses entreprises et il est pénalement responsable de tout problème qui résulterait d’un manquement à ses obligations.
Vers un « Droit International Environnemental »
L’époque où les théoriciens ont cru que les richesses naturelles étaient inépuisables et donc qu’une croissance économique pour le développement humain prévalait sur la santé environnementale est révolue. A l’évidence, l’emprise humaine sur la planète se traduit par de nombreux effets majeurs : bouleversements climatiques, érosion de la biodiversité, perturbation des cycles du carbone, du phosphore et de l’eau… Aujourd’hui, les experts mettent en lumière le risque d’un épuisement généralisé de « l’hospitalité terrestre »1. Il est désormais admis que l’Environnement est un bien commun qu’il faut gérer sans risquer d’hypothéquer l’avenir ; par conséquent, le rapport de l’Homme à la nature doit être réglementé. Tout développement initié par l’Homme doit être « durable », c’est-à-dire que toute action doit veiller à ne pas dénaturer et fragiliser le cadre environnemental dans lequel elle s’exerce.
L’Etat français, pour sa part, a créé le Code de l’environnement en 2000, première étape de la mise en place d’une série de règlements sur la gestion de l’environnement. En 2001, sous l’impulsion du Président Chirac, l’environnement comme élément constitutif des droits de l’homme a été intégré dans le préambule de la Constitution de 1958. On se souvient plus récemment des négociations sur le « Grenelle de l’environnement » qui ont abouti à une série de lois en 2009 et 2010.
Il est permis de penser que le corpus législatif international portant sur l’Environnement évoluera vers la notion de « droit international environnemental », à l’instar de la codification de la guerre qui a donné naissance au droit international humanitaire qui s’impose à toutes forces armées.
D’ores et déjà, les actes législatifs nationaux et internationaux en vigueur portant sur l’Environnement et le développement durable imposent des règles dans tous les secteurs d’activité.
Défense et Environnement : deux notions qui se sont toujours côtoyées
Avec une série de lois régissant l’impact des activités humaines sur l’écosystème terrestre, nous sommes entrés dans une nouvelle phase de l’anthropocène2. Ces lois s’appliquent à tous les secteurs d’activité, dont la Défense.
Ainsi, en France, la Défense vient de mettre en oeuvre des mesures de protection de l’environnement que l’on surnomme « défense verte » ou bien encore « écologie de la guerre ». Des mesures dont on perçoit l’importance quand on sait que plus de 10% des émissions annuelles de carbone à l’échelle globale proviennent des activités militaires comme le rappelle Ben Cramer, journaliste spécialiste de géopolitique et d’environnement, dans son ouvrage « Guerre et paix… et écologie »3. L’impact des activités militaires pour la planète est désormais un sujet de débat.
Les faits divers relatant la découverte d’une bombe non explosée sur une plage de Normandie, ou d’une mine déterrée dans un champ labouré dans le Nord de la France nous rappellent régulièrement que l’action de guerre laisse des traces sur le long terme. Des conflits plus récents ont laissé derrière eux des terrains pollués dont la dépollution est délicate, fastidieuse et coûteuse.
Défense et environnement ont donc été liés« pour le pire » … mais pas seulement. Il convient de noter que la Défense intervient aussi dans les actions de lutte contre les « risques environnementaux » (tempête Xynthia en 2010 ; tremblement de terre à Haïti en 2010 ; inondations dans le Var 2014…). En effet les armées sont régulièrement appelées à la rescousse des pouvoirs publics en raison des matériels spécifiques dont elle dispose, et de son expertise particulière dans certains domaines comme dans le NRBC (nucléaire, radiologique, biologique, chimique).
Les réparations suite à l’ouragan Katrina, qui en 2005 a affecté les Etats de la Nouvelle-Orléans et du Mississippi, ont coûté plusieurs milliards de dollars ; cet événement a été structurant pour les forces armées et a entraîné un réaménagement dans leur emploi face à de telles catastrophes naturelles.
Au travers de cette lutte contre les éléments, les acteurs de la Défense ont acquis une réelle perception de ce que représente la puissance de la nature qui s’impose en adversaire et considèrent le changement climatique comme un « multiplicateur » et un « amplificateur » de menaces (threat multiplier)4. Ils ont acquis par ailleurs une certaine expertise sur l’attitude qu’il convient d’adopter avec le milieu naturel dans lequel ils sont amenés à opérer. Cette expertise bénéficie pleinement aujourd’hui à la Défense dans ses rapports avec l’Environnement ; Défense et Environnement sont ainsi aussi liés « pour le meilleur ».
Défense et Environnement : source d’innovations
Du fait de l’expérience acquise dans ses missions de lutte contre les catastrophes naturelles, le ministère de la Défense a rapidement perçu la manière dont il pouvait intégrer le facteur environnemental dans ses actions quotidiennes, en temps de paix comme en opérations.
Les sites du ministère de la Défense, premier parc immobilier de l’Etat, occupent des espaces naturels importants, dont certains sont classés zones Natura 20005. La gestion de ces sites est soumise à des réglementations particulières d’un point de vue environnemental. La Défense s’est dotée d’un plan d’action environnement6 couvrant plusieurs objectifs :
- Intégrer la dimension environnementale dans les équipements de défense
- Démanteler les matériels militaires dans le respect de l’environnement
- Préserver la biodiversité des terrains militaires
- Mettre en oeuvre des infrastructures et des activités respectueuses de l’environnement.
Des programmes d’armement « éco-conçus » sont ainsi menés aujourd’hui avec des contraintes de limitation de bruit, de rejet de CO2, d’identification et de traçabilité des substances dangereuses. Ces objectifs font partis d’un programme cadre dénommé « développement durable » intégrant trois grands domaines: Environnemental, Économique et Social. La gestion matricielle de ces trois domaines favorise une meilleure coopération entre les acteurs des sociétés civile et militaire. Le facteur environnemental joue de ce fait un rôle de rapprochement entre la Défense et l’ensemble des autres secteurs de la société.
Les exemples d’une telle mutation ne sont plus rares au sein de nombreuses forces armées. Des bases militaires installées en Irak, en Afghanistan sont déjà équipées en termes d’énergies durables, chacune tenant compte des conditions climatiques et environnementales locales. En France, le Centre d’expertise du soutien du combattant et des forces (CESCOF) étudie des solutions reposant sur l’énergie renouvelable (voir photo tente de stationnement intégrant des panneaux photovoltaïques).
Il faut aussi noter que l’utilisation d’énergie durable répond à des considérations stratégiques. La recherche de solutions autonomes permet de réduire la dépendance à des sources d’énergie externes soumises à une plus grande vulnérabilité, car devant être acheminées.
La nécessité pour la Défense d’intégrer le facteur environnemental oblige à des efforts d’innovations. L’étude du recyclage des pneumatiques de roues des matériels militaires en produit d’isolation thermique et phonique, en est un exemple.
Des mesures encore insuffisantes
En 2015, 10 M € ont été alloués en France à la politique environnementale parmi les 39 Md € du budget de la Défense, selon la norme V1 de l’OTAN qui comprend les pensions, soit seulement 0.025 %. Un montant trop modeste au regard des enjeux environnementaux. Mais aussi au regard des potentiels de développement des capacités duales qu’offre le secteur environnemental et dont le ministère de la Défense pourrait bénéficier.
Photo © http://www.defense.gouv.fr/actualites/dossiers/environnement-durable-pour-la-defense/des-tentes-developpement-durable-pour-les-operations-exterieures
Notes
1 Paul Crutzen, Geology of mankind chez Nature, volume 415, du 3 Janvier 2002
2 Terme de chronologie géologique proposé pour caractériser l’époque de l’histoire de la Terre qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu un impact global significatif sur l’écosystème terrestre.
3 https://www.goodplanet.info/debat/2014/12/19/guerre-et-paix-et-ecologie/#sthash.afzOvs1M.dpuf
4 Jean-Michel Valantin, Guerres de l’Anthropocène : L’armée américaine s’adapte à la « longue urgence »
5 Le réseau Natura 2000 est un ensemble de sites naturels européens, terrestres et marins, identifiés pour la rareté ou la fragilité des espèces sauvages, animales ou végétales, et de leurs habitats.
6 http://www.defense.gouv.fr/sga/le-sga-en-action/developpement-durable/environnement