(Par Murielle Delaporte ) – Donald Trump, The Good, the Bad and the Ugly
Le retour de la Dissuasion (première partie) : une stratégie régionale pour résoudre le dilemne afghan
Cette série d’articles s’efforce d’analyser la politique étrangère et de sécurité mise en œuvre par l’administration Trump en la re-situant autant que faire se peut dans un contexte historique et institutionnel et en la rendant la plus indemne possible des tendances idéologiques ambiantes.
En effet, suivre le « Reality Show » permanent qu’est malheureusement devenue la couverture médiatique tant nationale qu’internationale de la politique américaine, et de la politique en général, relève plus de l’archéologie que de l’analyse, tant il faut disséquer une à une les couches d’informations et de désinformations, de « fake» et « real news » hélas largement abreuvées de toutes parts, y compris par les tristement célèbres tweets du « POTUS » ( « President of the United States ») lui-même. Interpréter Donald Trump fait donc penser au titre du célèbre western spaghetti de Sergio Leone sorti en 1966 sous le titre français « Le Bon, la Brute et le Truand » … « The Good, the Bad and The Ugly » in English …
Actualité oblige, ce premier article fait suite au discours du Président Trump sur l’engagement militaire en Afghanistan, prononcé le 21 août sur la base de Fort Myer à Arlington en Virginie, et met en avant les changements de stratégie annoncés dans ce cadre en se basant sur le contenu de ce discours.
C’est dans le double contexte brulant des évènements de Charlottesville et de Barcelone que Donald Trump a donc prononcé un discours décrivant, après des mois de débats au sein de ses équipes, la teneur d’une stratégie victorieuse en Afghanistan.
Pour cette raison, et contrastant avec le style, ton et contenu de ses propos tenus au moment des échauffourées de Charlottesville, il a commencé par souligner l’importance d’un peuple uni pour faire face aux menaces pesant sur la paix (« Nous ne pouvons pas continuer à jouer un rôle en faveur de la paix dans le monde si nous ne sommes pas en paix les uns avec les autres. »), en premier lieu le terrorisme. Il est de fait intéressant de noter la convergence et résurgence actuelles de tensions nationales ravivant des plaies historiques anciennes et susceptibles de déstabiliser différents pays.
Un seul objectif : combattre les terroristes
Il n’est de secret pour personne que Donald Trump, avant d’arriver à la Maison blanche, s’était régulièrement opposé à la politique Obama en Afghanistan et était partisan d’un retrait de façon à investir dans la reconstruction des Etats-Unis et non celle de l’Afghanistan[i]. Or, sur ce point, sa position demeure inchangée : plus question de faire du « nation-building » et d’essayer de reconstruire d’autres pays à l’image des Etats-Unis, tel qu’avait été le rêve des conseillers de Georges Bush, puis d’Obama. L’objectif du gouvernement actuel est plus simple et plus limité et s’inscrit dans la défense des intérêts nationaux américains chers au Président Trump et la nouvelle « Realpolitik » aux relents de Guerre froide qui caractérise Washington depuis quelques mois. Il s’agit de combattre le terrorisme sous toutes ses formes et empêcher l’Afghanistan de re-devenir un sanctuaire non seulement d’Al Qaida, mais aussi d’ISIS : « Nos troupes se battront pour gagner. (…) A partir de maintenant, la victoire aura une définition claire. Attaquer nos ennemis, oblitérer ISIS, écraser Al Qaida, empêcher les Talibans de reprendre l’Afghanistan et stopper toute attaque terroriste massive contre les Etats-Unis avant qu’elle n’émerge. »
Donald Trump a finalement accepté le plan d’action soumis par ses conseillers militaires (pour la plupart des anciens d’Afghanistan) et l’accroissement du nombre de troupes déployées en Afghanistan (on parle de 4000 hommes, en plus des 8400 actuellement déployés), mais après avoir apparemment pesé longtemps le pour et le contre et défini ce qu’une victoire, à l’issue de ce qui est aujourd’hui la plus longue guerre menée par les Etats-Unis (16 ans), signifierait concrètement. Sa décision se base sur la conclusion qu’un désengagement aggraverait encore une situation s’étant profondément dégradée au cours de ces dernières années et représentant un danger direct pour les Etats-Unis.
« Lessons learned »
Ce constat est bien-sûr issu de la débâcle ayant succédé au retrait américain d’Irak en 2011, lequel a favorisé la création de l’Etat Islamique. A cela s’ajoute le risque nucléaire élevé dans cette partie du monde, et Donald Trump est maintenant convaincu que les Etats-Unis continuent d’avoir un rôle militaire à jouer, mais pas à n’importe quel prix, ni sous n’importe quelles conditions. Là encore, les enseignements passés et récents ont influé sur sa décision, puisque la stratégie militaire actuellement menée par la Coalition contre l’E.I. a inversé le rapport de forces sur le terrain en Syrie et en Irak. D’après Brett McGurk, envoyé spécial américain auprès de la Coalition anti-ISIS, environ un tiers du territoire reconquis par ces deux pays depuis 2014 l’a été au cours de ces derniers six mois[ii]. Les conditions énoncées sont donc les suivantes :
- Jamais sans alliés : un net rapprochement avec l’Inde
Il s’agit en fait d’insérer la question afghane dans une stratégie régionale globale consistant à poursuivre une action dans le cadre d’une coalition interalliés et surtout à redistribuer les cartes auprès des voisins proches, à savoir l’Inde et le Pakistan : plus question de soutenir inconditionnellement le Pakistan, dont le double-jeu envers les terroristes est bien connu. Pour ce faire, la stratégie ne sera pas uniquement militaire, mais diplomatique et (surtout) économique, le levier de l’aide et des sanctions étant au programme. Comme pour la question syrienne, l’équation russe devra là aussi être adressée.
- Jamais sans moyens : la fin de la « microgestion du champ de bataille à partir de Washington D.C. »
Le second enseignement pour Donald Trump et ses conseillers est qu’il ne sert à rien d’envoyer des hommes sur le terrain s’ils n’ont pas les moyens d’intervenir : l’amélioration des équipements, mais aussi l’assouplissement des règles d’engagement (ROE pour « Rules of engagement ») facilitant notamment un appui aérien si nécessaire, font partie du changement de stratégie annoncé. (« Les terroristes (…) doivent savoir qu’ils n’ont plus d’endroits où se cacher (…). La rétribution sera rapide et forte, tandis que nous levons les restrictions et accroissons la délégation d’autorité [en faveur des combattants] sur le terrain.»)
L’opposition, avec en tête Nancy Pelosi, chef du parti démocrate à la Chambre des représentants, met en avant le risque d’un conflit sans fin, sans limite et sans porte de sortie (« an open-ended commitment with no exit strategy ») et c’est là que se trouve la différence essentielle entre les deux gouvernements Obama et Trump, ce dernier ayant toujours argué du fait que, d’un point de vue tactique, il est contre-productif et inefficace militairement parlant d’annoncer à chaque instant ce que l’on va faire, comment on va le faire et avec quels moyens on va le faire.
En d’autres termes, il s’agit de restaurer l’élément de surprise, un concept que Donald Trump connaît bien…
Voir le discours officiel >>>
—
[i] Le Service de recherche du Congrès (Congressional Research Service) estime à plus de 800 milliards de dollars le coût de l’engagement américain en Afghanistan depuis 2001.
[ii] Cité dans www.militarytimes.com (https://www.militarytimes.com/news/pentagon-congress/2017/08/22/mattis-isis-militants-caught-in-iraq-syria-military-vise/)
Photo >>> Un Marine dans la province d’Helmand en 2010 © Reuters/Finbarr O’Reilly (telle que publiée dans >>> http://www.salon.com/2010/11/17/afghan_war_2014_new_2011/)
Voir par exemple sur ce sujet >>>
http://www.latimes.com/politics/la-na-pol-trump-afghanistan-20170821-story.html
http://www.cnn.com/2017/08/21/politics/trump-afghanistan-speech/index.html
Trump prepares the US for open-ended war in Afghanistan