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A la mémoire du caporal Georges Petit, mort pour la France en Indochine

Dernière période de la présence française en Algérie, la guerre que l’on appellera pudiquement « événements » durera sept années et verra s’affronter deux écoles dans sa conduite : une approche populo-centrée symbolisée par les sections administratives spécialisées (SAS)[1] aujourd’hui incarnée par la théorie de Galula (dont l’influence ne peut être considérée comme déterminante durant la guerre d’Algérie[2]) et une approche résolument plus offensive[3] théorisée par le colonel Trinquier, dans son ouvrage La Guerre moderne. Ce dernier fut l’adjoint du général Massu lors de la bataille d’Alger et son influence fut déterminante notamment durant cet épisode crucial des « événements ».

Ces deux courants portent en eux tous les antagonismes hérités du passé. En effet, la politique de la France en Algérie n’a jamais été d’un seul tenant ; l’armée et ses cadres ont traduit ces antagonismes dans un contexte de guerre révolutionnaire où l’adhésion de la population fut au cœur de tous les enjeux pour ne pas dire qu’il fut l’enjeu principal et l’élément clef de la victoire.

Mais avant d’analyser plus avant ces deux courants de pensée, intéressons-nous plus avant au contexte historique militaire des années 1950. Car on ne peut pas bien comprendre la guerre d’Algérie sans envisager le traumatisme que représenta la guerre d’Indochine pour toute une génération de soldats français. En effet, du caporal au général, tous les vétérans de l’Indochine reviendront profondément marqués par ce conflit d’un genre nouveau basé sur la doctrine de la guerre révolutionnaire. Certains iront même jusqu’à parler de « mal jaune » en référence à une forme de nostalgie mêlée de culpabilité, engendrée par le sentiment d’avoir dû abandonner contre leur volonté des populations locales « ralliées », c’est-à-dire ayant choisi le camp de la France, et qui furent in fine livrées au Viet Minh, lorsque l’armée française reçut l’ordre de se retirer notamment de ses postes avancées[4]. Cette blessure connaîtra son acmé avec l’épisode de Dien Bien Phu et les conditions dans lesquelles les prisonniers de guerre français furent traités suite à cette bataille[5].

L’autre élément militaire majeur qui marquera la génération de cadres qui servira en Algérie fut la déroute du canal de Suez de 1956. Contrainte de se retirer sous la pression conjointe des Etats-Unis et de l’URSS, l’armée française, malgré le succès militaire de l’opération, vivra ce fiasco diplomatique comme une profonde humiliation. Pour les peuples colonisés, cet épisode signera la fin de la toute-puissance française. Pour la grande majorité des soldats de métier de l’armée française, cette déroute fut la défaite de trop. La conséquence directe de cette dernière fut de renforcer la détermination de nombreux militaires, notamment les troupes d’élite de la Légion étrangère et des régiments parachutistes, dans leur volonté de ne pas perdre le combat qui se menait en Algérie, de ne pas revivre le traumatisme indochinois et de casser la spirale de la défaite.

Galula et Trinquier furent de ces officiers profondément marqués en leurs chairs par leurs séjours en Asie, que ce soit en Indochine ou lors de séjour en qualité d’attaché militaire pour le premier. Ce qu’ils vivront et éprouveront transformera à jamais leur conception de l’art de la guerre. De même, leur conception de la conduite des hostilités s’en trouvera à jamais modifiée. Observateur des effets de la guerre révolutionnaire et subversive, ainsi que de l’influence des théories maoïstes, Galula et Trinquier comprendront que dans la guerre antisubversive ou contre-insurrectionnelle, la population civile n’est pas un élément stratégique parmi d’autres, mais qu’elle est bien au cœur de la menée des opérations. Reste que si la population constitue l’objectif principal de la guerre révolutionnaire pour ces deux auteurs, les moyens utilisés et les fins recherchés diffèrent notoirement quant au fait de parvenir à la conquérir. En effet, pour Trinquier, la guerre moderne se mène à partir de moyens coercitifs, à hauteur de ceux employés par l’ennemi, il s’agit de : « combattre le feu par le feu ». Trinquier participera activement à la Bataille d’Alger et mettra en place le dispositif de protection urbaine (DPU) qui, par la méthode du quadrillage appliquée à la Casbah, visera à faire en sorte que les responsables de la zone autonome d’Alger (ZAA) du Front de Libération nationale (FLN) ne se sentent plus « comme un poisson dans l’eau » au sein de cette dernière pour reprendre une expression chère à Mao-Tse-Tong. Les quatre régiments de parachutistes qui mèneront la Bataille d’Alger mèneront une guerre du renseignement, dans un contexte où la population d’Alger était terrorisée par les poseurs de bombes (cf: attentats de la Cafétéria et du Milk bar du 30 septembre 1956 qui marqueront durablement l’opinion), tout en faisant, à contre cœur et sans cadrage autre qu’une pression populaire et politique de recherche d’efficacité, un « métier de flic qu’on leur inflige » pour reprendre le mot de Bigeard. La suite est connue de tous : en deux mois, la ZAA disparaîtra et Alger sera purgée de tout réseau terroriste pour des années. Les militaires français ont ainsi remporté un certain nombre de victoires sur le terrain, en particulier le plan Challe lancé en 1959, lequel aura porté un coup très dur aux maquisards de la rébellion. Commencera alors une autre guerre – diplomatique, éthique, morale et d’opinion – qui posera sur la place publique la terrible question de la fin et des moyens dans la conduite de la guerre sur fond de respect de la dignité humaine… Cette question ancestrale demeure d’une saisissante actualité dans tous les conflits majeurs contemporains.

Aux antipodes des méthodes prônées par Trinquier, lointaines héritières de celles de la lutte anti guérilla menée par Murat, l’approche de Galula est plus englobante, car moins militaro-centrée et se présente comme une héritière de la pensée de Lyautey. De fait, Trinquier ne vise que l’éradication de la menace pensant que, ceci fait, la légitimité du pouvoir établi suffit à gagner le cœur et les esprits des populations.  Pour Galula au contraire, la soumission de l’ennemi est un objectif minimal ; il faut voir plus loin et savoir s’attirer le soutien de la population. C’est seulement à ce prix que les liens entre les insurgés et la population seront brisés. Il y a nécessité à faire adhérer la population, à « gagner les cœurs et les esprits », comme il est de coutume de dire depuis l’Afghanistan. A ce titre, la victoire à tout prix est, selon cette école de pensée, non seulement éthiquement intenable, mais fatalement improductive. Après le temps du conflit vient le temps de la reconstruction et la conduite des hostilités doit être conduite constamment avec le souci de préserver les potentialités du jour d’après…

Créées moins d’un an après le début du conflit et juste après l’envoi du contingent en Algérie en 1955, les sections administratives spécialisées (SAS), dont l’ambition fut des plus nobles, ont souffert d’un manque de moyens pour mener celle-ci à bien. En effet, entre la fermeture des bureaux arabes à la fin du dix-neuvième siècle et les SAS, l’armée n’eut plus vraiment les moyens d’accompagner le développement de nombreuses régions d’Algérie[6]. L’ambition des SAS à l’instar de celle des bureaux arabes était clairement politique, à savoir : renforcer le lien avec les populations évoluant en des territoires clairement sous-administrés et sous-équipés. Les SAS avaient pour ambition de convaincre plutôt que de contraindre. Outil d’une guerre antisubversive, ayant pour finalité de couper le Front de libération (FLN) de la population, les SAS ont pris à leur compte la conduite des affaires générales comme en témoigne le guide de l’officier des affaires algériennes publié en 1957. De fait, les SAS mèneront des actions dans le domaine administratif, civique, médical, scolaire et éducatif. On ne comptera pas moins de 700 SAS sur le territoire algérien, chacune regroupant sous sa responsabilité entre 10 000 et 20 000 personnes. Véritable outil de guerre du sens, les SAS ont mené un combat au sens global, très proche de ce que prône la théorie de Galula… Or les SAS étaient composées essentiellement d’appelés du contingent. Leur œuvre a de fait été saluée par le journal Le Monde qui les a qualifiées de « samaritains ».

Demeure enfin la douloureuse question des Harkis, dont l’abandon demeure une tache pour la dignité et l’honneur de notre pays. Finalement, ce qui se produisit en Indochine quelques années plus tôt lorsque l’armée fut contrainte d’abandonner certains postes avancés en livrant les partisans à la vengeance du Vietminh et des communistes chinois se reproduisit en Algérie, d’où le tiraillement moral de certains officiers, qui eurent à obéir ou qui refusèrent d’appliquer des ordres dont ils connaissaient la conséquence pour les populations locales, lesquelles avaient choisi de soutenir le maintien de la France… La rébellion de soldat de métier élevé dans le culte de l’obéissance, comme le furent des hommes comme Hélie de Saint-Marc, ne peut se comprendre sans ce sentiment d’indignité et qui déboucha aussi pour partie sur la création de l’Organisation armée secrète (OAS)[7], qui allait faire parler d’elle une fois le divorce entre le général de Gaule et une partie de l’armée et de la population d’Alger consommée…

Il y a pour chaque soldat servant au sein de l’armée française d’aujourd’hui énormément à apprendre des 130 années de présence de l’armée française en Algérie. L’onde de choc de l’impact de cette période est encore vivace des deux côtés de la méditerranée et cette faille est habilement exploitée par l’ennemi commun d’aujourd’hui, à savoir Daech. De cette période, les leçons à tirer pour la conduite des opérations extérieures que nous menons actuellement notamment au sein de la bande sahélo-saharienne ne peuvent que nous interpeller, ainsi que nous le verrons.

Notes:

[1] Les SAS ont été créées par un arrêté du 26 septembre 1955 du Gouverneur général de l’Algérie d’alors, Jacques Soustelle, sous l’impulsion du général Parlange et s’inspirèrent de l’action des bureaux arabes.

[2] Galula ne sortira de l’anonymat qu’avec l’intérêt que lui portera notamment le général Petraeus, ancien directeur de la CIA qui commanda notamment la coalition en Irak dans les années 2007-2008.

[3] Lire à ce sujet la passionnante enquête de Marie-Dominique Robin, Escadrons de la mort, l’école française, Editions La Découverte, 2006. Ce livre a fait l’objet d’une adaptation sous la forme d’un documentaire tout aussi intéressant.

[4] Ce traumatisme est fort bien conté dans les ouvrages d’Hélie de Saint-Marc. Lire par exemple sur cette question : L’Aventure et l’Espérance, éditions Les Arènes, 2010

[5] Voir le film de Pierre Schoendoerffer, Dien Bien Phu, 1992.

[6] Ceci ne signifie pas que rien ne fut fait pour le développement de l’Algérie notamment (mais pas uniquement) sous l’impulsion de l’armée durant cette période, mais les disparités en termes de développement entre les grandes villes situées sur la côte et les provinces enfoncées dans les terres demeurèrent criantes par manque de volonté politique et de vision globale partagée pour l’avenir de l’Algérie.

[7] Sur ce sujet lire la somme de Georges Fleury, Histoire secrète de l’OAS, Grasset, 2002

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Illustration telle que reproduite sur: http://stalner-galerie.blogspot.fr/2009/02/double-portrait-de-david-galula-et.html

Photo de Galula telle que reproduite sur le site:  http://maisonducombattant.over-blog.com/pages/David_Galula_19191968-487697.html

Photo de Trinquier telle que reproduite sur: http://www.chemin-de-memoire-parachutistes.org/t213-trinquier-roger-colonel-1963-1965-1er-president-union-nationale-des-parachutistes