Par Mickael Laustriat* – Pour se préparer aux combats urbains, Israël a construit deux villes arabes postiches où ses troupes s’entraînent.

Les opérations militaires de la Coalition au Moyen-Orient en témoignent : les affrontements se déroulent de plus en plus dans un environnement urbain. Les villes sont devenues les champs de bataille d’aujourd’hui. Pour s’adapter à cette évolution, Israël a construit deux répliques de villes arabes afin que ses troupes puissent s’entraîner dans des conditions proches de la réalité.

 

La première se trouve dans la base de Tze’élim, dans le Néguev. Sa création fait suite aux enseignements tirés de l’opération « Shalom HaGalil » (6 juin – 31 août 1982). Lors de leur entrée au Liban, les forces israéliennes, pourtant dotées d’un équipement sophistiqué, ne surent comment réagir quand l’OLP se replia dans des zones urbaines fortement peuplées. Faire intervenir l’infanterie se révéla vite coûteux en hommes et désastreux sur la scène diplomatique. Les responsables comprirent alors qu’il fallait s’entraîner au combat urbain, mais sans trop savoir comment. Onze ans plus tard, en octobre 1993, les Américains se trouvèrent confrontés au même problème lors de leur entrée à Mogadishu. Tirant les conclusions de différentes interventions (en Somalie, en Bosnie, à Sarajevo, à Panama City, Port-au-Prince ou à Mogadishu), leurs responsables ont conclu que l’impréparation aux combats urbains se payait très cher, autant humainement que politiquement. Leurs stratèges réalisèrent alors l’urgence de relever ce nouveau défi, et en 1997 le Congrès américain affecta 13 millions de dollars à la construction d’un site reproduisant l’environnement d’une ville. Celui-ci, érigé sur une dizaine d’hectares près de Fort Knox, entra en activité en 2000. S’inspirant de l’exemple américain, les Israéliens construisirent en 2005 dans le désert du Néguev ‒ avec l’aide des États-Unis ‒ un centre de formation à la guerre urbaine à la base militaire de Tze’elim, d’un coût de 45 millions de dollars. Surnommé « Baladia » (qui signifie « ville » en arabe), il s’étend sur 8 km2 et vise à enseigner aux soldats les techniques de guerre urbaine. Il consiste en une imitation d’une ville de style moyen-oriental avec plusieurs bâtiments à plusieurs étages. Il a été utilisé pour former diverses organisations militaires, y compris l’armée américaine et les forces de maintien de la paix de l’ONU.

Le second centre d’entraînement à la guerre urbaine se trouve au nord Israël, en Galilée, sur la base d’Eliakim. Construit en 2010, il reproduit l’environnement urbain d’un village libanais, plus étendu que ceux de Gaza. Le gouvernement israélien en a décidé la construction après qu’une commission d’enquête a conclu que l’armée avait été mal préparée à la Seconde guerre du Liban (2006), qui éclata après que le Hezbollah mène une attaque transfrontalière et capturé deux soldats israéliens. De nombreux responsables de l’armée reconnurent alors qu’ils avaient sous-estimé les capacités du Hezbollah. Ce conflit dura 24 jours, et causa 1200 pertes civiles au Liban. Douze ans après, en 2018, les nouvelles tensions avec cette même entité, installée à proximité de la frontière libanaise, justifient ce nouvel investissement, comme l’explique le colonel Kobi Valer, commandant de la base militaire Eliakim : « Nous essayons de placer les commandants et les soldats dans un environnement qui ressemble à la vraie guerre afin qu’ils puissent avoir le sentiment, quand ils iront au combat, d’être dans l’action comme s’ils l’avaient été auparavant. Tel est le but de la formation − se préparer à la réalité. »

Ces deux sites reproduisent de manière étonnamment réaliste l’environnement d’une petite ville arabe, qu’elle soit libanaise ou gazaoui : on y trouve des avenues, des mosquées (avec un haut-parleur qui annonce la prière 5 fois par jour), des commerces, des bâtiments publics où les soldats jouant le rôle d’assaillants peuvent simuler le tir de roquettes. Des emplacements sont prévus pour poster des tireurs embusqués et des mines à déclenchement télécommandé. Le scénario d’entraînement dans ces « fake cities » est conçu comme suit : un groupe de soldats a pour mission d’envahir un village. Leur « attaque » commence cinq kilomètres avant les premières maisons. Tout au long du chemin, ils doivent procéder à des contrôles et des arrestations. Arrivés à proximité de leur objectif, ils doivent ramper parce qu’un sniper leur tire dessus. L’ayant neutralisé, ils franchissent ensuite le mur des premières maisons, tandis qu’un « ennemi », à plat ventre sur un toit, les attend en haut d’un escalier. « Il y a dix ans, l’entraînement au combat urbain était réservé aux unités spéciales. A présent, c’est devenu la routine : tous ceux qui accomplissent leur service militaire y ont droit », explique le sergent Rafin Shakhat

La particularité de la base d’Eliakim ‒ première en son genre ‒ est qu’elle reproduit « au centimètre près » un village libanais contrôlé par le Hezbollah. Il a été construit à partir d’une collecte de renseignements effectuée pendant des années sur le mouvement chiite. Un responsable de Tsahal a déclaré : « Il s’agit d’un centre dernier cri qui va permettre à l’armée israélienne de matérialiser le combat tel qu’il pourrait l’être dans des conditions se rapprochant aux mieux de la réalité contre le Hezbollah en cas de nouveau conflit. Il s’agit de permettre aux combattants israéliens de ne pas être pris au dépourvu. En Syrie, le Hezbollah se bat au sol, avec des drones et toutes sortes de technologie, et c’est exactement dans cette optique que ce nouveau site a été conçu. » Il offre la possibilité aux bataillons et aux divisions, soit à plusieurs centaines de soldats, de s’entraîner au même moment, et parfois à balles réelles. Tsahal forme des compagnies spéciales au sein desquelles des soldats imitent les militants des groupes terroristes du Hezbollah et du Hamas dans le but de se former à les combattre. A l’intérieur de cette ville factice situé à la frontière libanaise, les soldats vont affronter d’autres soldats israéliens jouant le rôle de membres du Hezbollah, lesquels combattront selon les techniques propres au mouvement chiite, exigeant un apprentissage approfondi de leurs méthodes. Les techniques israéliennes de combat et celles du Hezbollah sont radicalement différentes et cette « opposition de style » devait être maîtrisée.

Pour les responsables israéliens, il s’agit d’une véritable « révolution dans la stratégie militaire ». Pendant longtemps, les armées se sont tenues à l’écart des zones urbaines, se contentant d’y conduire des opérations par air ou par des tirs terrestres à longue portée, très coûteux en pertes collatérales. Le combat urbain est la nouvelle donne des conflits actuels. Aucune force opérationnelle ne peut plus faire l’économie de ne pas s’y préparer.

*Michael Laustriat est journaliste et  l’auteur en particulier de l’article “Wissam Daoud, démineur dans l’armée irakienne”, que vous pouvez retrouver dans dans notre numéro 35/36 (>>> http://www.sldmag.com/fr/archives/issue/24/operationnels-slds-35-36-ete-2017)

Photos d’illustration >>> Entraînement au camp de TSE’ELIM (courtesy)