(Par Murielle Delaporte ) – Série Donald Trump, The Good, the Bad and the Ugly (III)

Quelle que soit l’opinion que l’on puisse avoir de la « diplomatie de Donald Trump » (expression perçue par nombre de critiques comme un oxymore), il existe, au-delà de l’image brouillonne, impulsive, voire explosive que le Président américain semble se complaire à vouloir donner, une ligne directrice dans la politique de sécurité et de défense menée par Washington depuis près d’un an et demi.

La fondation de cette dernière repose en effet sur une tradition diplomatique très ancrée dans l’histoire américaine, à savoir la volonté de toujours négocier dans une position de force. Or pour ce faire il faut avoir quelque chose à offrir. Pour Donald Trump et son nouveau Conseiller à la sécurité nationale John Bolton[1], l’accord de Vienne conclu par l’administration précédente ne permettait pas d’influer sur le comportement de Téhéran, puisque le levier économique n’existait plus.

En se désengageant du JCPOA « Joint Comprehensive Plan of Action », le gouvernement Trump espère « reprendre la main » pour obtenir satisfaction sur les trois points d’achoppement majeurs de cet accord de son point de vue, c’est-à-dire :

  • un accord vérifiable quant à la réalité des efforts iraniens dans le domaine nucléaire et autorisant une inspection fiable ;
  • un prolongement de cet accord au-delà de 2030 ;
  • l’inclusion d’une interdiction de développer des missiles balistiques de longue portée.

Sortir de l’accord de Vienne permet d’agiter de nouveau le spectre des sanctions et de faire pression économiquement sur Téhéran, exactement comme Washington vient de le faire au cours de ces dernier mois vis-à-vis de Pyong-Yang. C’est aussi le même raisonnement qui justifie le développement d’armes nucléaires non-stratégiques, lequel permet aux Etats-Unis de discuter d’égal à égal avec la Russie, qui a un train d’avance dans ce domaine. Rien de bien différent qu’en 1979 au moment de ce que l’on appelait à l’époque la « dual-track decision » ou double décision de modernisation des forces nucléaires de théâtre[2] d’un côté et de négociations de l’autre.

Il faut aussi garder à l’esprit que depuis le début de son mandat, Donald Trump a d’un point de vue militaire deux objectifs prioritaires et liés : la lutte anti-terroriste et la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive. Si l’on examine sa stratégie sous ce prisme, ses initiatives ne peuvent être dissociées les unes des autres en répondant à une logique de dissuasion et de « paix par la force » (« Peace through strength »).

La Déclaration de Panmunjon du 27 avril dernier et l’espoir d’un dénouement heureux de la crise nord-coréenne confortent Donald Trump et ses proches conseillers, John Bolton (NSC), Michael Pompeo (Département d’Etat) et le Général Mattis (Pentagone), dans l’idée que la pression économique[3], mais aussi militaire, a contribué au revirement du dirigeant nord-coréen Kim Jong-Un. Parallèlement, le retrait de l’accord de Vienne est un message très clair à l’attention du dictateur coréen, à savoir que le chantage et la prolifération nucléaires sont une impasse et que tout accord signé devra être réel et vérifiable. En échange de perspectives de développement économiques très concrètes (telles que par exemple les propositions sud-coréennes en particulier en matière de transport), la dénucléarisation de la péninsule coréenne est dans la balance. Savoir si le prochain Sommet organisé le 12 juin à Singapour entre les deux Corées et les Etats-Unis aboutira à un armistice historique a minima, ou ira plus loin avec un retrait partiel ou total des forces américaines relève pour le moment de la spéculation. Mais ce qui est certain est que les symboles de bonne volonté ne manquent pas entre les parties concernées (planification de la fin des exercices militaires traditionnellement menés par les forces américaines et sud-coréennes prévue en conséquence par exemple).

En matière de lutte anti-terroriste, l’arrêt du soutien de l’Iran à des organisations telles que le Hamas et le Hezbollah fait partie de la stratégie d’ensemble de Washington dans la région aux côtés, comme chacun sait, de son allié majeur, l’Arabie Saoudite.

Les objectifs de Donald Trump s’avèrent ainsi similaires à ceux du Président Macron, qui, lors de sa visite à Washington, avait énuméré « quatre sujets fondamentaux : bloquer l’activité nucléaire de [l’Iran] jusqu’en 2025, la bloquer encore au-delà à plus long terme, stopper les activités balistiques de l’Iran dans la région, pacifier la région »[4].

Restent que le style et la méthodologie diffèrent fondamentalement entre les deux chefs d’état…

 

Notes 

[1] John Bolton cite de fait Dean Acheson sur ce point lors d’une conférence de presse sur l’Iran le 8 mai 2018 : « the lesson that America learned, painfully, a long time ago, but that Dean Acheson once said, is we negotiate from positions of strength… »

[2] Cf : https://www.cvce.eu/content/publication/2014/11/11/7d068b4c-63b6-4248-9167-fe9085a0032b/publishable_fr.pdf

[3] Sous pression des sanctions américaines, mais aussi chinoises, le prix du gaz a triplé et les exportations nord-coréennes ont chuté de 2,7 milliards de dollars (cf : Victor Cha and Katrin Fraser Katz, The Right Way to Coerce North Korea, Foreign Affairs, May/June 2018, page 90),

[4] Cité dans >>> https://www.nouvelobs.com/monde/20180424.OBS5677/amabilites-et-discordes-ce-qu-il-faut-retenir-de-la-conference-de-presse-de-trump-et-macron.html

 

Photo © Adnan Abidi /Reuters, telle que publiée dans >>>  https://www.challenges.fr/monde/rohani-rejette-toute-renegociation-de-l-accord-de-vienne_583026