Cet article complète celui posté sur notre site le 25 novembre 2018

Propagande et désinformation ont connu avec la Première Guerre mondiale un passage à l’ère industrielle.

L’effet final recherché

L’usage intensif de la propagande et de la désinformation durant la Grande Guerre a tenté de répondre à quatre objectifs majeurs :

  • Fédérer la population. A cet égard, l’épisode et la mise en scène de la réquisition des taxis de la Marne par le général Gallieni pour permettre de mener la contre-offensive face à la percée allemande de début septembre 1914 est un cas d’école. On sait aujourd’hui que le transport de troupes sur la ligne de front permis par cette réquisition ne fut pas d’une importance capitale dans la réussite de la contre-offensive. En revanche, cette dernière créa un sentiment d’urgence partagé au sein de la population civile française et fit comprendre au plus grand nombre que la victoire ne serait pas possible si « l’arrière » ne tenait pas lui aussi. Dans le même ordre d’idée, la reconstitution des batailles mise en scène par la section cinématographique des armées créée au printemps 1915 participe de cette mobilisation générale des esprits.
  • Maintenir le moral des populations civiles. Durement éprouvées par la Guerre, les populations civiles souffrent de privations nombreuses la première d’entre elle étant l’absence, temporaire ou définitive, d’un ou de plusieurs proches partis combattre l’ennemi. Dans ce cadre de souffrances psychologiques et physiques quotidiennes, les gouvernements comprennent que le maintien du moral des civils est un enjeu crucial pour la cohésion de la Nation. Les Révolutions russes de 1917 ne font que renforcer cette vigilance qui mute en véritable hantise pour le gouvernement français devant le risque insurrectionnel qui se fait jour dans les tranchées avec les mutineries de 1917.
  • Démoraliser l’ennemi. L’un des autres objectifs majeurs de la propagande et de la désinformation est de casser le moral de l’ennemi tant dans les rangs des soldats que dans celui des civils. Ainsi, par exemple, certaines batailles en viennent à revêtir une importance symbolique hors du commun, une dimension sacrée, la première d’entre elles étant bien évidemment Verdun. Les pertes et reprise successives des différents forts qui entourent la ville dont notamment celui de Douaumont rythme la propagande à l’œuvre dans les journaux et affiches de l’époque. Jean Renoir se fait l’écho de cet état de fait dans son chef d’œuvre La Grande illusion où l’on voit les affiches contant les événements survenus à Verdun rythmées le quotidien des prisonniers voire engendrées chez ces derniers une fronde incarnée par une Marseillaise chantée à plein poumons devant les responsables d’un camp de prisonniers à l’annonce de la reprise du Fort de Douaumont par les troupe françaises.
  • Entraîner les neutres. Dernier objectif majeur de l’usage de la propagande et de la désinformation : faire basculer les indécis, emporter leur adhésion afin de réduire à la part congrue le nombre de personnes pouvant émettre de potentielles critiques de manière nuancée vis-à-vis de certaines décisions prises et de ne pas laisser une zone d’exercice incontrôlée pour la propagande ennemie. Car la conquête du libre arbitre de chacun est bien l’objectif majeur recherché par la propagande et la désinformation et pour soumettre ce dernier les propagandistes ne reculèrent devant rien durant la Grande Guerre. L’égalité des forces en présence fut si longtemps prégnante que convaincre les esprits devient vite un préambule à la victoire militaire.

Quelle portée réelle?

On peut s’interroger sur la réelle portée de la propagande et de la désinformation durant la Première Guerre mondiale et de la réception de ces dernières au sein des populations. Difficile de mesurer cet impact en effet tant il généra des réactions différentes chez les uns et les autres. Reste qu’il y eut un véritable rejet du « bourrage » de crânes tant du côté français qu’allemand. Ceux qui furent indubitablement les plus réceptifs à ces dernières furent indubitablement les américains qui demeurèrent longtemps dans la neutralité d’où les efforts importants déployés notamment par les Britanniques pour les faire basculer du côté des alliés.

Notons enfin que côté allemand, un ancien caporal demeurera profondément marqué par l’importance de la propagande et de ses effets lors de la Grande Guerre au point d’en faire, une fois parvenu à la tête d’un parti politique (le NSDAP), une véritable obsession et de créer, une fois parvenu à la tête de l’Allemagne, un ministère à part entière qui sera dirigé par le sinistre Docteur Goebbels dès 1933 et ce jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. On ne compte plus les méfaits engendrés par la propagande hitlérienne de l’incendie du Reichstag, aux nuits dites de cristal et des longs couteaux (pour ne citer que quelques exemples parmi les plus sinistres), sans parler de la brutalité féroce dont les nazis firent preuve dans leur stigmatisation du peuple juif orchestrée de façon minutieuse et perverse par le ministère de la propagande, stigmatisation et harcèlement continues qui ne furent que le préambule à l’expression de la cruauté sans limite qui allait s’abattre notamment sur tous les juifs d’Europe et allait aboutir à la création des camps de concentration et d’extermination. Ainsi convient-il de ne jamais oublier que la violence des mots n’est jamais neutre et qu’il ne faut jamais sous-estimer ses potentiels effets…

Illustration telle que reproduite sur le site: http://numelyo.bm-lyon.fr/f_view/BML:BML_02AFF01000AffM0382