(Par Murielle Delaporte) – SERIE MCO AÉRONAUTIQUE : APPRENDRE À « VOLER EN ESCADRILLE » (VI)
Cette sixième brève de notre série résume la présentation des panélistes de la Conférence inaugurale sur la transformation du MCO aéronautique1.
L’ordre de bataille de l’industrie privée face à la réforme du MCO aéronautique
Avec :
- Bruno CHEVALIER, directeur général du soutien militaire chez Dassault Aviation
- Jean-Noël STOCK, vice-président du soutien client et services aviation militaire chez Thales
- Alain ROLLAND, directeur du centre de soutien militaire chez Airbus Helicopters
- Didier DESNOYER, directeur de la division moteurs militaires chez Safran
- Philippe ROCHET, chief operating officer de Sabena Technics
Chacun des représentants des cinq acteurs privés majeurs dans le domaine du MCO aéronautique s’exprimant dans le cadre de ce panel particulièrement complet s’est accordé pour accueillir la clarté de la réforme en cours et la dynamique porteuse de restructurations qu’elle a engendrée au profit d’une « Equipe France » davantage soudée.
Bruno CHEVALIER a ainsi rappelé que les industriels, interviewés dans le cadre du rapport CHABBERT en septembre dernier, avaient décidé de se rassembler sous la houlette du GIFAS afin de définir une position commune finalement adoptée par Monique LEGRAND-LARROCHE sous la forme des grandes recommandations suivantes :
- Améliorer le pilotage du MCO aéronautique selon une « organisation matricielle » ;
- Renforcer la continuité DGA –DMAé – DSAé en évitant l’organisation en silos ;
- Ouvrir à l’externalisation jusque « là où cela s’avère possible (…) dans le respect des combattants (…) pour apporter des solutions et non prendre la place » ;
- Adopter des contrats globaux et inciter les industriels à se regrouper selon une logique de verticalisation, permettant une visibilité sur le long terme particulièrement cruciale pour les sous-traitants de ces derniers (à noter que le DGSN de Dassault Aviation raisonne sur cinq à dix ans plutôt que sur cinq à six comme le suggère la DMAé) ;
- Répondre aux défis passés avec les solutions de demain, en profitant de la numérisation pour « fluidifier les échanges entre combattants, donneurs d’ordre et supply chain ».
Jean-Noël STOCK a, lui aussi, souligné l’effet miroir de la réforme de la DMAé par la fédération de « One Team, One Thales » destinée à réduire le nombre d’interfaces et « proposer une offre Thales globale ». Il a mis l’accent sur le fait qu’en tant qu’équipementier, la responsabilité de la fiabilité des produits incombe à Thales, qui se heurte à un changement de paradigme avec l’introduction de la maintenance prédictive dans le domaine électronique : « on casse l’idée selon laquelle on ne répare un équipement électronique que lorsqu’il est cassé ». Une connaissance intime des produits est nécessaire pour assurer un engagement de disponibilité du tout premier composant à la composition de stocks. L’autre défi concerne le casse-tête des obsolescences, où Thales doit revoir sa stratégie de pérennité des produits, dans la mesure où « contrairement au secteur commercial, les avionneurs ne vont pas changer tous les trois ans…».
Pour Alain ROLLAND, il ne faut pas oublier que la disponibilité des rechanges est la clé de la disponibilité et qu’il ne faut donc pas dissocier la partie technique de la partie logistique. Un point évoqué par d’autres participants qui semble faire l’unanimité. Il a également souligné qu’il était vain de raisonner selon un modèle unique, et au contraire s’adapter à chaque plateforme. Si « faire bouger les lignes » constitue un véritable défi dans la conduite du changement, le directeur du centre soutien militaire chez Airbus Helicopters a salué l’initiative du GIFAS de créer des plateformes d’échange permettant d’améliorer le partage de données entre les différents acteurs. Parmi les innovations, il a souligné notamment, côté contractuel, le développement de la co-traitance avec les PME et les ETI afin de davantage les intégrer. Côté technologique, il a par ailleurs cité la digitalisation de l’hélicoptère commercial H60 comme moteur du futur, l’analyse du Big Data devant permettre de mieux comprendre et d’anticiper le comportement de la machine, d’améliorer le plan de maintenance et la conception de la machine.
Didier DESNOYER place lui aussi beaucoup d’espoir dans le Big Data que sa compagnie, Safran, a expérimenté dans le cadre de la maintenance d’un monomoteur au profit d’un client étranger, ainsi que dans la réparation additive, laquelle « marche bien dans certains secteurs et permet de passer d’un délai de production d’une pièce de rechange de deux ans à trois mois ». Pour ce motoriste à la triple expérience dans le domaine de l’aviation commerciale, des hélicoptères et aujourd’hui de l’aviation civile, la constitution de stocks et une capacité de remontée en puissance rapide constituent l’une des spécificités du secteur militaire et un défi majeur pour l’industriel. Une autre spécificité de ce secteur est, pour lui, la difficulté de transmettre des informations à des unités projetées en milieu hostile (comment par exemple échanger des photos à distance permettant d’effectuer une endoscopie sur un moteur ?). Parmi les points communs aux trois secteurs, il a cité la nécessité de chaînes de responsabilité claires au sein desquels les intérêts devaient être communs au lieu d’être en opposition : « si je propose une solution de réparation d’une pièce, mais que quelqu’un dans la chaîne cherche à vendre ladite pièce, cela ne peut pas marcher et le résultat est une augmentation des coûts. » Il a enfin rappelé l’importance de la navigabilité et évoqué la longue expérience de Safran avec le tout premier contrat de disponibilité sur le M88 dès 2000. Facteur de succès de ce contrat et des suivants, la prise de conscience qu’une bonne partie des économies pouvait être réaliser au niveau du travail du mécanicien : « contrairement à ce que je pensais au départ, le schéma contraignant de faire travailler sur base personnels de l’armée de l’Air et personnels de Turboméca a marché, car ils ont appris les uns des autres », a-t-il reconnu.
Philippe ROCHER, chief operating officer de Sabena Technics, a dressé le portrait global de l’offre et de la demande aéronautique civile dans les vingt ans qui viennent, à savoir :
- Si l’Asie devrait prochainement dépasser les Etats-Unis en matière de trafic aérien, l’Europe est la seconde zone géographique en termes d’activité aéronautique et de MRO ;
- Ce sont 1000 aéronefs nouveaux par an qui sont mis en œuvre dans le monde, c’est-à-dire l’équivalent de deux compagnies de la taille d’Air France-KLM, ce qui représente un enjeu énorme en matière de MRO ;
- Toute nouvelle compagnie aérienne qui se crée externalise sa maintenance par le biais d’un nouveau modèle de contractualisation commerciale (« Full Support Contracts ») différenciant l’entretien des moteurs et la basse maintenance du reste ;
- Pour accompagner les besoins du secteur civil au niveau mondial, ce sont 600 000 pilotes qu’il faut recruter au cours des vingt prochaines années (trois fois plus qu’aujourd’hui) et 900 000 techniciens.
La France a ainsi besoin de former trois fois plus de techniciens, ce qu’Aérocampus rend en partie possible : Sabena Technics recrute ainsi 300 personnels par an, dont 80% sont des techniciens, la moitié d’entre eux étant issus des écoles par alternance. Mais l’un des problèmes relevés par Philippe ROCHER tient à la longueur de la formation de technicien, laquelle est plus longue que celle d’un ingénieur. Dans la mesure où le diplôme de technicien dépend de l’Union européenne, il faut en effet compter un total de six ans pour pouvoir recruter un mécanicien aéronautique.
Forte de son savoir-faire « 100% MRO / 100% MCO » permettant d’assurer une disponibilité supérieure à 80% sur une flotte de 40 aéronefs « âgés de 20 à 60 ans » et relevant pour moitié du ministère des Armées et pour moitié du ministère de l’Intérieur, la société Sabena Technics se positionne sur la « digitalisation du métier de technicien aéronautique ».
PHOTO © geopolitics, telle que publiée dans : www.magzter.com
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1 Cette série – dont le titre fait référence à une expression utilisée par l’un des participants, Frédéric Sutter – reprend les actes du séminaire qui s’est tenu pendant deux jours sur la BA 106 de Bordeaux-Mérignac les 26 et 27 septembre 2018.
Composition de la conférence inaugurale sur la transformation du MCO aéronautique
(Modérateur Général (2S) LAURENT)
Avec :
- Général de corps aérien Bruno PACCAGNINI, sous-chef Performance de l’Etat-major des armées ;
- Ingénieur général de l’armement hors classe Monique LEGRAND-LARROCHE, directrice de la DMAé à l’EMA ;
- Patrick PUYHABILIER, chef du Service MCO- DGA ;
- Ingénieur général de l’armement Jean-Marc REBERT, directeur central du SIAé ;
- Bruno CHEVALIER, directeur général du soutien militaire chez Dassault Aviation ;
- Jean-Noël STOCK, vice-président, soutien client et services aviation militaire chez Thales ;
- Alain ROLLAND, directeur centre soutien militaire chez Airbus hélicoptères ;
- Didier DESNOYER, directeur division moteurs militaires chez Safran ;
- Philippe ROCHET, président de Sabena Technics.