Irlande du Nord 1969-2007, un conflit au cœur des enjeux de sécurité globale

La création de l’UDR et l’Opération Demetrius

Le 1er avril 1970, alors que la RUC est délégitimée et qu’il est fait appel à l’armée britannique pour rétablir l’ordre en Irlande du Nord, une nouvelle unité militaire est créée : l’Ulster Defence Regiment (UDR) notamment dans le but de remplacer la réserve de la RUC, les B-Specials. Placés sous le contrôle de l’armée régulière, l’UDR va rapidement occuper une place centrale dans le conflit nord-irlandais. En 1972, l’UDR comptera 11 bataillons, composés majoritairement de réservistes qui se voient confier des missions de gardes et de contrôles de personnes et de véhicules, jamais des missions de maintien de l’ordre ou de contrôle des émeutes. Une des raisons d’être implicite de l’UDR est de freiner la prolifération de milices loyalistes en Ulster d’où son recrutement ciblé chez les anciens B-Specials notamment. A savoir qu’à cette époque, les extrémistes protestants ont regroupés la plupart de leurs milices au sein de l’UDA (Ulster Defence Association), pendant de l’IRA catholique. Tout comme la RUC, l’UDR sera rapidement vu comme une force au service des protestants, le pourcentage de catholiques servant dans ses rangs ne dépassant pas les 2% !

C’est dans ce contexte de récente création de l’UDR et du rétablissement de l’internement administratif sans jugement en vertu du Special Powers Act du 9 août 1971 que va être mise en place le même jour l’Opération Demetrius dont l’effet final recherché consistera en l’arrestation des principaux leaders des groupes paramilitaires tels que ceux de la PIRA, la branche armée de l’IRA. Cette opération conduira dès le premier mois à l’arrestation de plus de 500 personnes et à l’internement de plus de 230 suspects sans jugement ni procès. Cette opération, véritable réplique dans son organisation de la Bataille d’Alger (usage du quadrillage, arrestations ciblées et sommaires, recherche du recueil de l’information, contrôle permanent des populations au sein de certains quartiers…), va permettre d’identifier certains membres de la PIRA et de porter de sérieux coups durs à son organisation. Mais il n’en reste pas moins que la politique d’internement va avoir, sur le moyen terme, un effet désastreux et contre-productif pour l’armée britannique. En effet, il apparaît que les principaux leaders de la PIRA ou de l’OIRA ont fui l’Ulster et que grand nombre des détenus ne sont pas des membres actifs de l’IRA.

La politique de détention mise en œuvre est donc très rapidement perçue comme une politique d’internement arbitraire et injuste. De facto, l’Opération Demetrius a davantage encore mise à mal le lien de confiance entre l’armée britannique et la minorité catholique nord irlandaise. Inspirée des méthodes de contre-insurrection mises en œuvre en Malaisie par l’armée britannique, la stratégie de l’internement sans jugement a été contre-productive, permettant un recueil rapide du renseignement mais brisant le lien de confiance avec la population. Le Bloody Sunday va finir de consommer ce lien de confiance.

Le Bloody Sunday

Le 30 janvier 1972 lors d’une manifestation organisée par la NICRA à Derry pour protester contre la politique d’arrestation arbitraire menée par l’armée, un régiment de parachutistes britanniques ouvre le feu sur la foule faisant 13 morts et 14 blessés. Officiellement, l’armée britannique parlera d’une riposte aux coups de feu essuyés par les parachutistes par les membres de l’IRA, dans les faits, l’armée britannique, même si elle a bien essuyé des coups de feu de la part de l’IRA (avant ou après ouverture du feu de sa part rien n’a jamais été clairement tranché à ce niveau), aurait fait un usage disproportionnée de la force et aurait ouvert le feu de manière intense sans être sous le coup d’une menace caractérisée. Le nombre de cartouches tirées en direction de manifestants non armés témoigne d’une perte de sang froid de certaines sections déployées sur le terrain et n’étant pas formées au maintien de l’ordre.

Il y eut un avant et un après le Bloody Sunday dans le conflit nord irlandais. Après ces événements dramatiques, il n’y eut plus de manifestations du mouvement des droits civiques en Irlande du Nord mais une recrudescence des violences et une hausse de recrutement dans les rangs de l’IRA. Les membres de la NICRA et de nombreux observateurs étrangers comparèrent le Bloody Sunday aux massacres de Sharpeville et d’Amritsar, les références historiques prenant ici une dimension anticoloniale évidente. Par ailleurs, de nombreux artistes s’emparèrent du Bloody Sunday. Le groupe de pop musique à la renommée internationale U2 en fit un hymne planétaire et le réalisateur Paul Greengrass un film « coup de poing », extrêmement réaliste et d’autant plus saisissant pour cette même raison.

De plus, des manifestations antibritanniques fleurirent partout dans le monde, l’ambassade du Royaume-Uni fut brûlée à Dublin, les violences se multiplièrent sur le sol nord irlandais. Le gouvernement unioniste nord irlandais, le Stormont, ayant refusé le plan de paix proposé par l’administration britannique fut suspendu ce qui impliqua le passage en première ligne de l’armée britannique, Westminster assumant directement via la Direct Rule l’administration de l’Irlande du Nord.

La montée en puissance de la PIRA

Pour l’armée britannique, la mise en œuvre de la Direct Rule va signifier la mise en place d’un face à face avec l’IRA et plus précisément avec la PIRA qui durera plus de 20 ans. Pour l’Opération Banner et pour les forces armées britanniques, l’après Bloody Sunday signe le passage du maintien de l’ordre à la tentative d’endiguement d’une violence subie et à la lutte contre le terrorisme et la guérilla urbaine imposée par la PIRA. L’armée devient donc une cible « légitime » pour l’IRA, les britanniques étant désormais perçus comme des néo colonialistes par les rebelles républicains. A partir de mars 1972, le conflit bascule avec le recours récurrent aux attentats notamment dans les rangs de la PIRA, une des deux branches avec l’OIRA de l’IRA. La PIRA s’organise alors comme une véritable armée avec bataillons et brigades. Rien que sur Belfast 3 bataillons comprenant plus de 200 hommes sont mis sur pied. Le mode d’action des membres de la PIRA est largement laissé à l’initiative de ses membres qui mènent des actions de guérilla contre les représentants de la Couronne, les protestants, les unionistes voire certains catholiques modérés ou travaillant pour le gouvernement britannique.

Une véritable politique de harcèlement et de terreur se met en place notamment vis-à-vis des forces armées, cibles privilégiées dans un premier temps de la PIRA. Cette organisation paramilitaire va évoluer avec le double souci de gagner en autonomie et d’échapper ainsi aux actions de contre-insurrection mises en œuvre par l’armée britannique. Ainsi, les brigades laissent-elles peu à peu la place à une organisation en cellules chargées soit du soutien des combattants soit des actions opérationnelles. Ces dernières cellules, véritables précurseurs des cellules terroristes islamistes contemporaines, comptent un nombre très restreint de membres dont l’identité n’est elle-même connue que d’un nombre très restreint d’individus afin de renforcer l’anonymat des terroristes et leur « invisibilité ».

 

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Eléments bibliographiques :

Jean Guiffan, La Question d’Irlande, Editions complexe, 2006

Paul Brennan, The Conflict in Northern Ireland, Longman University, 2005

Gérard Challiand, Les Guerres irrégulières, Paris, Gallimard, 2008

Aaron Edwards, The Northern Ireland Trubles, Operation Banner, 1969-2007, Osprey Publishing, 2011

Christian Casteran Guerre civile en Ireland mercure de France 1970

 

Illustration telle que reproduite sur le site: https://www.ouest-france.fr/europe/irlande/irlande-du-nord-40-ans-apres-que-reste-t-il-du-bloody-sunday-212616