Sécurité/survie – Par Murielle Delaporte –Entretien avec Cathy Robin, Directrice d’Axon France

« L’histoire de la violence est aussi ancienne que l’histoire de l’humanité. Nous sommes en train d’en rédiger un nouveau chapitre … », écrit le président directeur général de société américaine AXON, Rick Smith, auteur d’un livre paru en 2019 et intitulé « The End of Killing : How Our Newest Technologies Can Solve Humanity’s Oldest Problem »[1]. Pour Rick Smith, marqué par la mort par balles de deux de ses coéquipiers de football alors qu’il était encore lycéen, l’objectif est de rattraper le retard sur les quelques cinq cents ans d’avance dont bénéficient les armes à feu[2] en mettant au point toute une gamme de produits, et plus récemment de services[3], permettant aux forces de l’ordre, mais aussi à tous les primo-intervenants au sens large, de neutraliser une menace sans tuer le protagoniste responsable.

Un rêve d’idéaliste, proche pour certains de l’utopie, que l’entrepreneur, neurobiologiste de formation, entend mener à terme en abattant une à une les barrières technologiques, mais aussi psychologiques et culturelles. En ce qui concerne le défi d’ordre technologique, sa première compagnie TASER créée en 1993 est à l’origine de l’arme non létale éponyme, laquelle, après des débuts difficiles, s’avère aujourd’hui de plus en plus fiable et appréciée des forces de l’ordre comme en témoigne la flambée des ventes, dont la valeur est passée rien qu’entre 2000 et 2004 de 2 millions à 70 millions de dollars[4]. Aujourd’hui, une plus grande précision ou encore la capacité de transpercer certains vêtements continuent à faire l’objet de recherches vers toujours plus de fiabilité. Si les obstacles psychologiques et culturels tendent à s’estomper à mesure que cette dernière continue de croître, ils sont aussi associés à un problème résurgent au sein de la plupart des forces de l’ordre, à savoir d’une part un problème de confiance entre les forces et la population et d’autre part le peu d’heures disponibles à consacrer à la formation[5]. C’est là qu’intervient de nouveau AXON en ayant su développer en complémentarité des armements non létaux tout un écosystème de produits et services destinés à faciliter la vie des personnels, avec, comme défi et particularité, la transition vers l’intégration de plateformes et de logiciels et le développement de solutions clés en main incrémentales.

C’est cette évolution d’une société à l’ambition humanitaire et planétaire que nous raconte Cathy Robin, directrice d’AXON France depuis 2016 après un parcours professionnel remarqué chez SAGEM et LG, dans l’entretien relaté ci-dessous. Une évolution que l’on pourrait résumer comme étant le développement d’un écosystème basé sur le tryptique « armes non létales – partage de données – formation » au service de la désescalade de la violence.

 

  1. Le Taser au service de la dissuasion

Même si la France a une culture moins « armée » qu’aux Etats-Unis, une partie des forces de l’ordre est armée et le PIE Taser (pistolet à impulsion électrique) est autorisé en tant qu’arme de catégorie B : la police et la gendarmerie nationales en sont ainsi équipées depuis 2005 comme arme collective de dissuasion et de tir.

Son fonctionnement est très simple et comporte trois temps dans un cycle de cinq secondes : un éblouissement laser, suivi d’un crépitement, puis d’un tir conduisant à une incapacité neuro-musculaire se traduisant par une crampe paralysante devant faire tomber l’adversaire ou lui faire lâcher son arme.  Cent-sept pays et six millions d’utilisateurs (entraînement compris) ont adopté cette arme non létale, dont on estime qu’elle a sauvé plus de deux cent mille vies depuis son lancement en 1993.

Si le Taser est donc déjà en lui-même une révolution et une force de dissuasion minimalisant le risque de pertes humaines, c’est surtout son mariage avec un ensemble de toutes nouvelles technologies développées par AXON qui en fait un outil de plus en plus prisé par les forces de l’ordre et les primo-intervenants[6].

 

  1. L’alliance « taser/caméra piéton/logiciel d’exploitation de preuves » au service de la confiance

Le développement des caméras piétons s’est accru au cours de ces dernières années avec AXON comme premier fournisseur mondial : la société équipe notamment la police de Londres avec vingt deux mille caméras et quarante-cinq licences du logiciel en mode SAS « evidence.com », lequel permet un partage sécurisé de données numériques via un cloud pouvant servir de preuves au sein des enceintes judiciaires et rapprochant les deux mondes de la police et de la justice. D’après un témoignage des policiers anglais – dont la culture est à l’heure actuelle davantage qu’en France celle d’une police de proximité -, le retour est extrêmement positif non seulement comme simple outil de dissuasion, mais aussi parce que l’un des effets est de permettre aux policiers de se consacrer à leur cœur de métier en passant moins de temps en travail administratif de rentrées de données, mais aussi de transport de ces données confidentielles, pour leur permettre d’être davantage sur le terrain ou – cercle vertueux par excellence – de s’entraîner davantage[7].

Les chiffres suivants diffusés en 2018 par AXON parlent d’eux-mêmes :

« Des AIE [armes à impulsion électrique] ont été utilisés dans près de 3,2 millions de cas concrets. Les AIE TASER fonctionnent comme des ordinateurs : ils collectent et sauvegardent toutes les informations pertinentes après chaque utilisation afin d’assurer un niveau de transparence et de responsabilité des usagers supérieur à celui de tous les autres outils de coercition actuellement disponibles. De plus, les systèmes d’enregistrement audio-visuel Axon Cam et Axon Cam HD renforcent la qualité des preuves et le sens des responsabilités.

Sur ces 3,2 millions de cas concrets d’utilisation d’appareils TASER, 5,4% des personnes ont pu échapper à des blessures graves ou à la mort, (selon une étude publiée dans le Journal of Trauma, dans 5,4% des cas, l’utilisation d’un AIE TASER a manifestement permis d’éviter l’utilisation d’une force létale par les services de police). Un rapport du ministère de la Justice des Etats-Unis (Une évaluation multimodale des résultats du recours à la force par la police : rapport final à l Institut national de la justice, 2010) a permis d établir les conclusions suivantes : « Sur 12 services (…), les risques de blessure du suspect ont diminué de près de 60% en cas d’utilisation d un AIE. (…) L’utilisation des AIE a fortement réduit les risques de blessures par rapport aux autres modes de coercition en cas de résistance.» »[8]

Le document liste également les effets positifs et dissuasifs suivants :

  • « Diminution de 75% des plaintes pour usage de la force après une étude d un an.
  • Diminution de 59% dans l’usage de la force par les agents équipés de caméras Axon Flex durant une période d’essai d’un an.
  • Diminution de 53,4% des incidents en réponse à une resistance.
  • 9 prévenus sur 10 plaident coupables lorsqu’une vidéo ‘ arrestation pour une conduite en état d‘ivresse est disponible, soit près de 20% de plus que dans les cas sans vidéo, d’où une diminution du temps de comparution global. »

En France, le secteur pénitencier, mais aussi les sapeur-pompiers ou encore les agents de sécurité de la SNCF et de la RATP et quelques éléments des forces armées[9] ont expérimenté les caméras d’enregistrement de preuves. Même s’il existe encore un certain nombre de freins juridiques, ces outils sont considérés particulièrement utiles grâce à leur traçabilité, fiabilité, mais aussi leur interopérabilité entre polices et agences permettant de recouper les informations ou encore la possibilité d’associer toutes sortes de capteurs (notamment les drones que développe également la société américaine avec AXON Air).

En d’autres termes, il est clair que l’association de ces nouvelles technologies est un vecteur de confiance. Mais à quoi sert une nouvelle technologie si les opérateurs finaux ne sont pas en mesure d’en optimiser leur utilisation ?  C’est l’objet du troisième et dernier maillon de l’écosystème AXON.

 

  1. La réalité virtuelle au secours de la formation

Tout le monde sait à quel point l’entraînement et le développement d’automatismes sont importants en situation extrême de stress ou lors d’un contexte d’intervention compliqué. Le manque de moyens, lequel induit par effet ricochet le manque de personnel,  et donc le manque de temps disponible, est une des sources du problème.

Avoir recours en partie à la simulation et à la réalité virtuelle pour « former les formateurs » et gagner du temps à un coût particulièrement abordable s’avère être une des solutions préconisées par Rick Smith et ses équipes.

L’un des produits proposés est le casque VR (pour « Virtual Reality ») qui propose des scénarios d’entraînement réalistes face à des situations et des individus requérant un jugement et une réaction rapides. Basé sur l’analyse comportementale, ce type de système aide l’opérateur à bien distinguer un autiste, d’un suicidaire ou d’un schizophrénique et à réagir de la façon la plus adaptée possible dans chaque cas de figure.

Développer des réflexes et privilégier bien-sûr le dialogue à toute solution létale font partie des objectifs de cet outil d’aide à la décision du policier, gendarme, sapeur-pompier ou autre intervenant confronté à une situation menaçante via un entraînement didactique et pédagogique privilégiant l’immersion en situation (3D) et des scénarios à tiroir (options).

En bref, et en conclusion,  la société AXON, bien que dédiée à l’innovation technologique, n’a pas oublié de mettre l’humain dans la boucle et d’alimenter le cercle vertueux de la confiance, condition sine qua non de la réussite à terme de l’objectif du zéro mort ou d’un rapport de forces 2.0 de son fondateur….

 


Illustration © Police Federation of England and Wales HQ, image extraite de la vidéo suivante >>>Above and Beyond: New X2 Taser and Axon connected ecosystem, 2017

Photos du diaporama © axon.com  

 

Notes de bas de page

[1] https://www.axonrick.com/

[2] https://www.policefoundation.org/the-end-of-killing-a-conversation-with-axon-ceo-and-author-rick-smith/

[3] Axon propose notamment un service d’abonnement permettant la mise à jour permanente des logiciels achetés par leurs clients. Dans une interview donnée à Forbes l’an dernier, Rick Smith décrit ainsi l’avantage à long terme de s’appuyer sur un système de données davantage issues de capteurs que d’entrées manuelles (« sensor-driven rather than human-driven »), tel que proposé par sa compagnie :  « The big bet we made was that we could use this internet-enabled delivery model to create a whole ecosystem of both hardware and software devices that would enable us to deliver capabilities much more rapidly to our customers. Because they would not have to worry about installing software, we could dramatically accelerate their pace of tech adoption. That approach has worked out beautifully, and our customers love it. Once they get on our subscription plans, we upgrade their cameras every two and a half years, and we upgrade their software monthly. As we roll out new software capabilities, they can buy new services from us, which integrates seamlessly with what they are already using. This dramatically decreases the time and energy it takes for them to deploy new capabilities.
10 years ago, police agencies were largely driven by forms on paper. If they did have video cameras, they were recorded on VHS tapes. All of our customers now have cloud-connected audio and video sensors, and we are launching a whole host of software platforms where our real long-term advantage is that our data systems will be primarily sensor-driven rather than human-driven. » (https://www.forbes.com/sites/peterhigh/2019/10/14/rick-smith-the-man-who-plans-to-make-bullets-obsolete/?)

[4] Forbes, ibid

[5] Voir notamment le rapport récent sur l’entraînement des forces de l’ordre aux Etats-Unis >>> lire en version PDF ce document du department of Justice américain intitulé National-Survey-on-Officer-Safety-Training

[6] Cathy Robin détaillait cette mise en connexion des systèmes de la façon suivante dans une interview réalisée en mai dernier, suite à la question suivante : « Le dernier TASER que vous produisez est connecté au réseau Axon, ce qui déclenche, en parallèle et si on tire avec ce dernier, les caméras de votre réseau ?  Réponse :  Ce n’est même pas quand on tire, c’est quand on met en route le PIE TASER. Le TASER est équipé d’un micrologiciel qui enregistre chacune de ses actions : le rayon laser, la marque de dissuasion (un bouton qui fait le bruit caractéristique, mais qui ne tire pas) et le tir. Et donc le simple fait d’allumer un TASER avec des caméras Axon à proximité déclenche automatiquement l’enregistrement vidéo. Ce qui est encore mieux, c’est que la mémoire tampon – les caméras ayant 12 heures d’autonomie – permet d’avoir le contexte de ce qui s’est dit et de ce qui s’est passé juste avant qu’on mette en route le TASER. Cela permet de comprendre la situation dans son ensemble. Nous sommes les seuls à le faire aujourd’hui. Il y a un pont entre la partie caméra et la partie TASER. » (https://www.clubic.com/technologies-d-avenir/actualite-893376-taser-cameras-pietons-axon-uvre-protection-forces-ordre-interview.html_)

[7] Dans un article de Cathy Robin publié par le Journal du Net en mars dernier, celle-ci explique : « Qu’il s’agisse des caméras piétons, des caméras embarquées ou des caméras de salles d’auditions, le plus important est finalement de gérer au mieux les images et sons qui sont captés. C’est pourquoi les logiciels de gestion de ces vidéos sont un incontournable. En effet, il ne s’agit pas seulement de capter et stocker les images, il est nécessaire de pouvoir les traiter, les analyser, les anonymiser, et faciliter leur partage entre les différents postes, mais également entre les différents services : des policiers aux juristes, tout en assurant une parfaite traçabilité. Il existe des logiciels qui permettraient aux forces de l’ordre de ne plus avoir recours ni aux supports physiques (DVD…), ni de devoir se déplacer pour récupérer ces vidéos, et donc passer plus de temps sur le terrain. La gestion et le partage des preuves deviennent plus simples et efficaces. »(https://www.journaldunet.com/solutions/dsi/1489479-pourquoi-il-est-temps-de-moderniser-les-forces-de-l-ordre-et-la-justice/)

[8] https://docplayer.fr/103213626-Dossier-de-presse-axon.html

[9] Note de la rédaction : Ce type d’outil s’avère particulièrement utile aux vues des opérations intérieures dites OPINT type Sentinelle, mais aussi en OPEX dans les scénarios de bascule entre maintien de l’ordre et opération militaire (voir à ce sujet notre reportage paru en 2011 sur l’entraînement conjoint entre armée de Terre et Gendarmerie nationale via l’exercice SATOREX : lire en version PDF cet article intitulé ‘SATOREX 2010 : « Identifier les points de bascule»’, Reportage et entretien avec le colonel (aujourd’hui général) Ivan Noailles (propos recueillis par Murielle Delaporte) >>>  Reportage SATOREX SLD # 4 – Hiver 2011).

 

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Bibliographie

Pour en savoir plus en français >>>

Vidéo entretien Cathy Robin (GKPRO) >>> 

 

Sources en anglais >>>

 

Vidéo >>>

Podcast >>> 

Rick Smith, CEO of Axon Enterprise