Par Franck Rossi, ancien officier d’infanterie – I.  De la guerre de sept ans aux équipes Jedburgh

La culture de guerre non conventionnelle dont les forces spéciales de l’armée américaine sont le dépositaire institutionnel est indissociable d’une certaine historiographie Etats-Uniennes.  Les origines des forces spéciales de l’armée américaine remontent en effet à la guerre d’indépendance et la naissance de leur pays. Leur « mythe fondateur » est intimement lié à la guerre irrégulière et l’insurrection contre le colon britannique. Ce sont les premières opérations de guerre « non conventionnelles » qui sont à l’origine de leur idéal, empreint de pragmatisme, d’innovation, et de capacité d’autonomie – des valeurs qui s’expriment dans l’inconscient américain au-delà du monde militaire seul -…

L’expérience acquise par des colons américains, devant faire face à des Français largement inférieurs en nombre, mais intégrés aux différentes tribus indiennes, durant la « French and Indian war », connue sous le nom de guerre de sept ans en France, a ainsi fourni les racines de ce savoir-faire dit « non conventionnel ». Cette guerre peu connue en France a posé bien des difficultés aux colons et aux Britanniques, mais a fourni une précieuse expérience aux futurs cadres de l’armée américaine qui fut constituée durant la guerre d’indépendance. Des milices locales menées par des officiers, dont la plupart avait, comme le général Washington acquis de l’expérience de combat durant la guerre de sept ans, ont ainsi constitué la base de cet héritage de guerre irrégulière. L’exemple le plus connu est Francis Marion, issu d’une famille d’émigrés Huguenots français en Caroline du Sud, qui a rejoint le panthéon des héros américains, comme père fondateur de la « guérilla » à l’américaine (le film produit par Mel Gibson, « Le patriote » est une romantisation du personnage de Francis Marion).

C’est la seconde guerre mondiale avec la création de l’OSS (Office of Strategic Service) et les équipes Jedburgh qui va fournir la base doctrinale sur laquelle la création formelle des forces spéciales allait s’appuyer. Formées en Angleterre pour faciliter la libération de la France, ces équipes de Jedburgh se composaient d’un officier français, d’un officier américain ou britannique et d’un opérateur radio. Elles étaient parachutées en France occupée avant et après le débarquement du 6 juin 1944 et leur mission était de coordonner, soutenir et mener l’action des maquis de résistance français contre l’occupant.

Actifs en Europe occidental, en Yougoslavie et en Birmanie, ces cadres étaient parachutés pour mener des actions de guérilla contre une force occupante et coordonner les forces irrégulières (telles les maquis en France) vers des objectifs coalescents aux efforts militaires principaux. Eisenhower écrivit des Jedburghs en 1945 : « Dans aucune guerre précédente et sur aucun autre théâtre pendant cette guerre, les forces de résistance n’ont été si précisément conduites à appuyer l’effort militaire principal. »[1]

Etablissement doctrinal des missions dites spéciales :  la guerre « non conventionnelle »

En tant que branche, les unités des forces spéciales américaines ont donc eu, dès leur création, ce caractère distinctif d’être recrutées et formées pour le conflit non conventionnel, en autonomie et en soutien de l’effort principal.

Ce sont donc des missions non conventionnelles datant de l’OSS contre l’Allemagne nazie[2], puis contre l’Union soviétique et d’autres adversaires communistes tout au long de la Guerre froide, jusqu’à la mission de renversement du régime Taliban après le 11 septembre 2001 qui ont marqué l’identité foncière des forces spéciales de l’armée américaine.  Bien qu’il ne s’agisse que l’une des neuf de leurs missions officielles[3], la guerre non conventionnelle a toujours été considérée comme leur aptitude la plus caractéristique.

Le terme « spécial » s’applique au savoir-faire permettant de mener une guerre en autonomie de manière non conventionnelle, afin de fournir un soutien aux forces conventionnelles,ce qui va donc au-delà des savoirs faires dit « commando ». « Le concept doctrinal initial a pris naissance avec la création de l’OSS pendant la Seconde guerre mondiale. Dans ce contexte classique, celle-ci était généralement définie en termes de guérilla et d’opérations secrètes en territoire tenu par l’ennemi…En 1955, le premier manuel relie formellement spécifiquement les toutes jeunes forces spéciales à une doctrine définissant les missions dites non conventionnelles », peut-on lire dans la doctrine officielle américaine[4].

 

Notes de bas de page

[1] Will Irwin, The Jedburghs: The Secret History of the Allied Special Forces, France 1944  (New York: PublicAffairs, 2005), 236;  via “Unconventional warfare in the gray zone”  cité par Joseph l. Votel et al. Joint force quarterly NDU. Jan 2016

[2] « De oppresso liber » correspond à ces missions initiales.

[3] Les neuf missions des forces spéciales de l’armée américaine sont : la guerre non conventionnelle, la défense intérieure des pays étrangers, l’action directe, la contre-insurrection, la reconnaissance et renseignement, le contreterrorisme, les opérations d’informations, la lutte contre les armes de destruction massive, et l’assistance et la formation au force de sécurité partenaire  (voir >>> https://www.socom.mil/about/core-activities)

[4] Traduit du FM 3-05.201, (S/NF) Special Forces Unconventional Warfare (U), 28 September 2007

 

Photo © Jedburghs en train de faire une course d’obstacles, Milton Hall, Angleterre, telle que publiée dans >>> https://en.wikipedia.org/wiki/Operation_Jedburgh