Par Daphné Desrosiers – Joséphine Baker, du Ragtime au Jazz

Le 30 novembre 2021, Joséphine Baker illumine le ciel parisien en entrant au Panthéon. Si la date paraît anodine, elle a pourtant été minutieusement choisie par le Président de la République. En effet, quatre-vingt quatre ans plus tôt, soit le 30 novembre 1937, l’artiste de renommée internationale épousait Jean Lion et prenait alors la nationalité française. Une cérémonie haute en couleurs où le monument s’est paré de ses plus beaux atours pour rendre hommage à cette grande dame éclectique et mystérieuse. Une vie où un subtil mélange de conte de fées rivalise avec chance, engagement, amitié, mais aussi tragédie.

Cérémonie au Panthéon en l’honneur de Joséphine © D. Desrosiers, 30 novembre 2021

Tumpie : des débuts pour le moins difficiles

Joséphine Baker, née Freda-Joséphine Mac Donald, naît le 3 juin 1906 à Saint-Louis, état du Mississipi (Etats-Unis d’Amérique). Rien ne la prédestinait à danser, ni même chanter ou devenir une vedette internationale. Mais c’était sans compter sur sa détermination et son rêve de liberté dès son plus jeune âge. Elle danse pour se réchauffer et amuse par ses grimaces dont elle seule a le secret. Elle organise des spectacles dans la cave de sa modeste habitation, pour le plus grand bonheur de ses amis (jusqu’au jour où elle mettra le feu et sera interdite de fête). Elle démontre déjà son incroyable talent à fasciner et son ingéniosité.

La ségrégation fait rage aux Etats-Unis et c’est dans ce climat de violence, d’intolérance et de misère que Joséphine, baptisée « Tumpie » par sa grand-mère, découvre les affres de la société et l’injustice. Agée d’à peine onze ans, elle doit travailler comme domestique chez une riche propriétaire qui la traite comme un animal. Elle dort dans un cagibi où seul le chien de la maison devient son ami et confident. Un jour, elle casse une assiette en faisant la vaisselle et la maîtresse de maison la punit en lui plongeant les deux mais dans de l’eau bouillante. C’en est trop pour Joséphine, d’autant plus qu’elle a toujours les paroles de sa grand-mère gravées dans sa mémoire : « T’as tout compris ma Tumpie, plus c’est haut, meilleur t’as la vue sur la vie ».

Joséphine vise haut, très haut et elle partira. Loin. Pour vivre sa vie en grand. Elle cherche un travail, elle veut être danseuse de cabaret, mais elle est soit trop jeune, trop maigre ou n’a jamais la bonne couleur de peau. Les autres artistes la jalousent, il faut dire qu’elle a du succès, la petite, du haut de ses quatorze ans et de son un mètre soixante-dix ! Les petits boulots se succèdent, et après quelques tournées, elle est rejetée, mais elle rebondit, tenace, et se fait embaucher comme costumière sans quitter un seul instant son objectif : danser. Sa vie est pourtant rude. Les salaires sont bien maigres et elle se bat au quotidien pour trouver un toit et se nourrir pour subsister. Mais Joséphine a toujours de la chance dans ses malheurs. Sa bonne étoile ne la quitte jamais et lui insuffle l’impulsion manquante au moment idoine, dès que la situation semble perdue. Tumpie en a conscience et superstitieuse, elle conservera d’ailleurs de nombreuses années une patte de lapin comme porte-bonheur : « Il y a un fantôme protecteur qui a les pieds sur terre et la tête dans les cieux ».

C’est ainsi que Joséphine se retrouve sur scène suite au désistement d’une danseuse à la dernière minute et le succès s’annonce enfin à Broadway (New-York) après un parcours pour le moins rocambolesque. Puis, tout s’enchaîne grâce à la rencontre de Caroline Dudley, qui dirige avec son époux la revue Nègre au théâtre des Champs-Élysées…à Paris. 1925, c’est le grand départ vers la France pour la courageuse Joséphine, qui éprise de liberté, rêve déjà à sa carrière d’artiste sans même s’inquiéter de la distance qui la séparera de sa famille : elle à vingt et un an. Sur le pont du bateau qui l’emmène vers une destination inconnue, elle rencontre Sydney Bechet, qui renforce ses convictions : « Tu sais ma petite fille, le fruit du succès, il faut le cueillir avant qu’il tombe à terre et qu’il pourrisse ».

Sous le charme de Paris

Tumpie tombe sous le charme de Paris le pied à peine posé sur le quai. En effet, un « blanc » l’accueille par un sourire, ce qu’elle n’a jusqu’alors jamais connu. Paris est la ville de la Liberté, ce dont elle rêve depuis enfant. « J’ai bien vite compris Paris et je l’aime passionnément. D’abord Paris m’a adoptée dès le premier soir ; il m’a fêtée, comblée…aimée aussi, j’espère. Paris, c’est la danse et j’aime la danse ».

Elle aime aussi les croissants qu’elle croque à pleines dents tout comme la vie. Si la première représentation divise les parisiens, Joséphine ne laisse pas insensible, où qu’elle se produise. En pleine période de la « France rose » (la France et ses colonies, la France aime les danses tribales. C’est ainsi que Joséphine apparaîtra presque nue sur scène, pour plaire à un public en manque d’exotisme, puis avec un pagne de bananes qui la rendra célèbre, même un siècle plus tard ! Elle devient au fil des années l’égérie de Paul Colin, Picasso, Le Corbusier et même son secrétaire, Georges Simenon et noue des amitiés avec Colette par exemple… Elle a, comme toute personne magnétique et impulsive, des ennemies comme Mistinguette et Maurice Chevalier, et ce déjà bien avant la guerre. Elle navigue, les tournées se succèdent à un rythme endiablé, tout comme celui que son corps et ses mimiques transmettent à chacun de ses passages sur scène. Son pays natal lui manque, et Joséphine décide de retourner en Amérique en 1936 pour un bref passage au Théâtre Winter Garden à Broadway (New-York) avant de rentrer dans son château « Le beau-Chêne » au Vésinet, où l’attend sa ménagerie : Joséphine voue une profonde passion pour les animaux et ne se déplace jamais sans être accompagnée de ses singes, chiens, souris ou de son guépard ou tout autre animal vivant qui peut parfois surprendre, voire impressionner ! Elle dira : « J’aime les chiens. J’aime toutes les bêtes. J’ai remarque trop souvent combien les hommes, les femmes qui ne les aiment pas, peuvent perdre le sens humain, toute sensibilité, voire même le sens de la vie ».

1938 marque la vie de Joséphine car si la découverte du Château des Mirandes (qu’elle rebaptisera Millandes en raison de son délicieux accent américain) l’enchante, il en sera malheureusement l’origine de son funeste destin.

A suivre avec une seconde partie sur la vie de Joséphine :« J’ai deux amours, mon pays et Paris »

Références bibliographiques

  • La guerre secrète de Joséphine Baker, Jacques Abtey (1948)
  • Les mémoires de Joséphine Baker, Marcel Sauvage
  • Baker, Marie Canet François Bourin Icônes (juillet 2020)
  • Joséphine Baker contre Hitler, Charles Onana Éditions Duboiris (avril 2006)
  • Joséphine Baker, Jacques Pessis Folio 2007
  • Joséphine Baker, Catel et Bocquet Castermann écriture 2016 (BD Documentaire)

Photo © J. Sabéné, 30 novembre 2021