Par le chef d’escadron Alexandre Pellerin – Le chef d’escadron Alexandre Pellerin est saint-cyrien (2008-2011) et officier de l’arme du Train. Il a servi successivement au 1er régiment du Train parachutiste (1RTP) en tant que chef de peloton livraison par air, puis à l’ European Air Transport Command (Eindhoven, Pays-Bas) comme officier de liaison spécialiste des techniques aéroportées avant de prendre le commandement de l’escadron de commandement et de logistique du 1er RTP. Il a été projeté au Mali en 2013, puis en 2014 en tant qu’adjoint puis chef du détachement de transit aérien (DéTIA), et au Niger en 2019 comme adjoint du chef du centre de coordination interarmées des transits, transports et mouvements (CCITTM). Il a enfin servi à l’institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) au sein du département Europe et affaires internationales. Il est actuellement à l’Ecole de Guerre – Terre. 

Si les premiers prototypes de drones aériens ont été développés dès 1916, les développements technologiques de ces 30 dernières années leur permettent aujourd’hui d’assumer de nombreuses missions : renseignement, surveillance, reconnaissance, bombardement etc. Cet article se propose d’étudier une utilisation des drones encore peu explorée : le transport logistique. Malgré des technologies qui ne sont pas encore pleinement matures (charges offertes en deçà de 200 kg), les drones aériens de transport logistique offrent des options réactives et agiles dans des cadres d’emploi précis : milieux cloisonnés ou denses, mise en place dans la profondeur, dispersion (discontinuité du front), livraison d’urgence.

 

[ NDLR: cette publication se présente ici sous la forme d’une série de cinq sections libellées de la façon suivante :

                 1) Qu’est-ce qu’un drone aérien de transport logistique ?

                2) L’état de l’art

               3) La problématique de la liaison de données

              4) Le cadre d’emploi opérationnel

              5) Prospective : après 2035

Cette première partie définit le drone aérien de transport logistique en le présentant dans son contexte historique. ]

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Malgré un sentiment de relative nouveauté, le premier drone volant a été développé dès 1916 par l’ingénieur anglais Archibald Low. Son projet, nommé Aerial Target, définit clairement l’objectif poursuivi : mettre au point un avion-cible permettant aux pilotes de s’entraîner au tir.

Côté français, le capitaine Max Boucher, grâce aux travaux préalables d’Octave Détable, débutés en 1894, réussit à faire voler un avion Voisin, sans pilote à bord, en juillet 1917. L’intérêt de la France est alors différent de son allié britannique : mener des actions de reconnaissance et de bombardement sans pilote, afin d’économiser des vies. Le capitaine Boucher, aidé de l’ingénieur Maurice Percheron, réussit à mettre au point le premier drone français stricto sensu en 1923 (en 1917 un avion piloté accompagnait le « drone » par liaison filaire), mais l’armée se désintéresse du sujet et en 1924, les crédits sont coupés.

Si les Etats-Unis développent également des aéronefs sans pilotes dès le début du XXème siècle, il faudra attendre les années 1990 pour voir l’essor du drone grâce au développement des technologies de communication et du système GPS. Des drones vont alors assumer une fonction inédite, puisque qu’en 2001, un Predator américain tire avec succès un missile antichar Hellfire lors d’un essai en vol. Aujourd’hui, les drones aériens font l’objet de nombreux articles dans leur association avec l’artillerie, s’appuyant tout particulièrement sur les retours d’expérience du Haut-Karabagh et de l’Ukraine.

Une autre utilisation des drones est souvent évoquée, mais très peu exploitée, le transport logistique. La doctrine interarmées d’emploi des systèmes de drones aériens en opérations d’avril 2020 y fait ainsi référence : « Dans les années à venir, de nouvelles charges utiles seront mises en service comme par exemple des systèmes de Guerre électronique (GE) […] ou encore une capacité de transport de fret logistique ou sanitaire, que le drone pourra déposer au plus près du militaire engagé »1. Cet article se propose d’en explorer les perspectives d’emploi en fonction des capacités réelles de ces aéronefs, évitant la tentation d’intégrer une technologie uniquement parce qu’elle existe. Si les drones ne représentent pas une rupture technologique capable d’emporter la décision tactique, ils offrent cependant des capacités intéressantes en termes d’agilité et de réactivité qui méritent un cadrage pour un emploi optimisé. Ces réflexions pourront également orienter les industriels de défense dans leurs travaux de recherches et développement.

 

1 – Qu’est-ce qu’un drone aérien de transport logistique ?

Le drone aérien

Cet article se limitera aux drones aériens d’une part, de transport logistique d’autre part. En effet, l’éventail des drones aériens est aujourd’hui déjà suffisamment large pour être un sujet à part entière. Les principales caractéristiques du drone aérien sont de voler et d’effectuer des missions sans pilote à bord (mais éventuellement avec des passagers). Il peut soit être opéré à distance, soit se déplacer de manière programmée voire autonome grâce à une intelligence artificielle. Il peut s’agir d’un aéronef à voilure fixe (type aile d’avion) ou tournante (type rotor d’hélicoptère), ou d’un aéronef mixte, permettant de combiner la manœuvrabilité des hélicoptères avec l’élongation des avions. L’acronyme VTOL (Vertical Take-Off and Landing Aircraft) est utilisé pour les drones à voilure tournante ou mixte capable de décoller et d’atterrir verticalement. Il convient de noter que la capacité de décollage vertical fait perdre environ 50% de charge utile, principalement à cause du poids des batteries nécessaires pour alimenter la partie « voilure tournante », gourmande en énergie. Cette capacité est cependant un élément indispensable pour limiter les impacts opérationnels de mise en œuvre en termes d’empreinte au sol (piste ou rampe de lancement) et de sécurité des vols.

 

Drone cargo e-VTOL Chaparral développé par la start up californienne Elroy Air  © https://elroyair.com
Ces drones, encore en cours de développement, ont pour ambition de transporter environ 150 kg sur une distance de 400 km.

 

Le transport logistique

La focalisation sur le transport de fret répond également à une logique précise. D’une part, le transport de personnel correspond le plus souvent à des finalités opérationnelles différentes, de mise en place, et non de ravitaillement. D’autre part, la présence d’un pilote à bord d’un aéronef transportant des passagers est encore indispensable pour des raisons de responsabilité. On constate aujourd’hui les difficultés rencontrées par les voitures autonomes malgré les progrès impressionnants de l’automatisation et les milliards de dollars dépensés par les géants du secteur comme Tesla ou Uber. Ces défis de fiabilité et surtout de responsabilité réglementaire des systèmes autonomes seraient d’autant plus difficiles à surmonter dans la troisième dimension. Une ouverture du sujet au transport de blessés ou l’évacuation de dépouilles mortuaires serait cependant envisageable. Dans le premier cas, l’urgence primerait sur le risque d’accident.

Un article paru dans l’hebdomadaire britannique The Economist en août 2023 indique que les forces armées ukrainiennes utiliseraient d’ores et déjà ces moyens (Malloy T400) pour extraire les blessés les plus critiques, dans des zones sous le feu, afin de leur prodiguer des soins en zone arrière2. Dans le second cas, cette solution permettrait d’évacuer rapidement et dignement le personnel décédé, dont la prise en charge peut avoir un impact très important sur le moral des troupes toujours au combat. Le Strategic Concept of Employment for Unmanned Aircraft Systems, publié par l’OTAN en janvier 2010, appuie cette idée : « Rotary wing UAV can be used for logistic support of own units in remote and difficult to reach areas. In the future this might also include battlefield evacuation and extraction. »3.

Il est à noter que le commandement de la logistique des forces intègre déjà des drones pour la sureté des zones logistiques et dans le but d’assurer des missions d’appui des unités de circulation et d’escorte (nano-drones BH3 et micro-drones Parrot ANAFI USA). Il existe d’ailleurs un document de doctrine dédié à « L’emploi des drones dans l’arme du Train ». La partie consacrée à la fonction « drone logistique » est cependant exploratoire.

 

Classification des drones

Aujourd’hui les drones sont classés principalement selon leur rayon d’action, caractéristique principale dans le cadre des missions ISR (Intelligence/Renseignement, Reconnaissance, Surveillance) et bombardement qu’ils remplissent traditionnellement. La capacité d’emport est un facteur secondaire permettant l’intégration des capteurs et éventuellement des effecteurs. Ci-dessous, une classification extraite d’un rapport de la cour des comptes publié en 2020 intitulé « Les drones militaires aériens : une rupture stratégique mal conduite », permet de mettre en lumière ce biais4. Cette classification est elle-même extraite de la documentation OTAN et souligne une nouvelle fois le caractère embryonnaire de l’utilisation du drone aérien comme vecteur de transport dans la sphère militaire.

Classification OTAN des drones © Cour des comptes
Il est à noter que si le Patroller est bien un drone tactique, sa masse est de 1,2 tonnes.

La colonne « poids » est à comprendre au sens « masse à vide » et n’est indiquée que pour des raisons de navigabilité. L’autorisation de survol des zones habitées est en effet fortement contrainte par cet aspect et « ne permet pas à l’armée française de mettre en œuvre ses effecteurs sur l’ensemble des camps de manœuvre », comme le souligne Benjamin Denis, chargé du programme SMDR (système de mini-drone de reconnaissance) pour Thales. C’est la raison pour laquelle les acteurs du domaine encouragent le projet de création d’une zone d’expérimentation longue distance pour drones aériens (ZELDDA) dans la région de Cahors. De plus, on peut imaginer que la finalité de transport logistique, par essence duale (civile et militaire), amènera les industriels à développer des drones répondant à des critères de certification élevés leur permettant de voler même en dehors d’un cadre strictement opérationnel.

 

A suivre >>> Section 2 : L’état de l’art

 

 

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Références

1 Doctrine interarmées (DIA) 3.3.8 « Emploi des systèmes de drones aériens en opérations », 24 avril 2020

 2 The Economist >>> https://www.economist.com/international/2023/08/04/what-ukraines-bloody-battlefield-is-teaching-medics?

3 Voir la version PDF :   NATO UAS strategic concept of employment 2010 >>>  https://www.japcc.org/white-papers/strategic-concept-of-employment-for-unmanned-aircraft-systems-in-nato/

4 Rapport de la Cour des Comptes, page 4 >>> https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-02/20200225-05-TomeI-drones-militaires-aeriens.pdf

 

Photo 1 : TRV 150 (Tactical Resupply Vehicle 150 UAS) opéré par le Combat Logistics Battalion 6 de l’US Marine Corps © Lance Cpl. Christian Salazar, USMC, 6 février 2024, Stermoen, Norvège