Par le chef d’escadron Alexandre Pellerin – Cette quatrième partie explique le cadre d’emploi opérationnel potentiel des drones aériens de transport logistique.

 

4 – Cadre d’emploi opérationnel

Après avoir exposé l’état de l’art des capacités offertes par les drones aériens, il apparaît pertinent de s’intéresser aux types d’unités qui pourraient détenir ce genre de moyens et ce, afin d’améliorer le soutien des combattants durant l’accomplissement de leurs missions. En effet, l’adoption d’un nouvel outil engendre des implications nombreuses, que l’on peut analyser sous le prisme DORESE (pour : doctrine, organisation, ressources humaines, équipement, soutien et entraînement). Les gains espérés doivent donc être significatifs. Dans ce cadre, il est intéressant de noter que l’école des drones (EDD) s’est autonomisée du 61ème régiment d’artillerie à l’automne 2023, et forme non seulement les personnels de l’armée de Terre, mais aussi de l’ONU, ou encore du ministère de l’Intérieur.

Formation armée de Terre a l’EDD sur un drone SMDR (système de mini drone de renseignement)
©  Antoine Delaunay, DICoD
>>> https://www.defense.gouv.fr/actualites/elisabeth-borne-sebastien-lecornu-inaugurent-lecole-drones-larmee-terre

Logique de milieu

Dans l’armée de Terre, les chasseurs alpins, autrement appelés « troupes de montagne », agissent dans un milieu créant de fait les conditions d’emploi de drones aériens de transport logistique telles qu’évoquées plus haut. L’utilisation de drones, plutôt du type voilure tournante, semble être la technologie la plus adaptée. L’enjeu ici étant prioritairement la capacité d’emport en altitude jusqu’à des éléments très isolés plutôt que la distance kilométrique à vol d’oiseau. Ainsi ces drones pourraient venir compléter efficacement les hélicoptères pour des charges légères, dans des zones très difficiles d’accès, ou encore lorsque les conditions climatiques mettent en péril l’équipage. Cette logique de milieu pourrait aussi être appliquée aux unités détenant des savoir-faire dans des environnements compartimentés ou difficiles d’accès, comme le combat en jungle ou le combat en zone urbaine par exemple. La mise en œuvre au plus près, par les éléments de soutien internes à ces unités, serait alors la solution la plus agile, répondant à des besoins très particuliers. Bien évidemment cela se limiterait à des charges modestes, puisque la mise en œuvre des drones serait du ressort de la section ou de la compagnie.

Le drone DX400, en cours de développement par Windlair, a l’ambition de conserver sa pleine capacité d’emport jusqu’à une altitude de 3 000 mètres. Les concepteurs de cet appareil ont également pour volonté d’optimiser les capacités de vol à basse vitesse, ce qui est un défi sur les appareils à voilure mixte.

 

Logique de mise en place

Les troupes de marine (TDM) en opération amphibie et les troupes aéroportées (parachutistes) (TAP) lors d’opérations aéroportées, ont vocation à créer des « têtes de pont » au sein du dispositif ennemi. Ces unités sont alors éloignées de leur élément de soutien, respectivement le porte-hélicoptère amphibie (PHA) et la base opérationnelle aéroportée (BOAP). Si ces dernières disposent d’ores et déjà d’outils spécifiques (barges et avions de transport), l’utilisation de drones logistiques pourrait apporter une corde supplémentaire à leur arc par la réactivité et la souplesse d’emploi qu’ils offrent. Cela contribuerait également à contourner les bulles A2AD, enjeu central dans le cadre d’une entrée premier, par l’absence d’exposition des pilotes et la taille réduite des drones (et donc des cibles). Dans ce cas, la technologie VTOL permet d’évoluer dans un compartiment de terrain par essence étroit et serait mis en œuvre par leur élément de soutien adapté : bâtiment de la Marine Nationale pour les unités amphibies ou BOAP pour les TAP.

En complément, pour les troupes aéroportées, la combinaison avion de transport – planeur logistique, déjà mentionnée en deuxième partie de cet article, offre une élongation et une discrétion particulièrement intéressantes dans le cadre d’opérations dans la profondeur.

Logique de dispersion

Les récents évènements géopolitiques, tout particulièrement l’invasion russe de l’Ukraine, ont participé à repenser le modèle de l’armée de Terre, d’une armée « au contact » vers une armée « de combat ». Cette réorganisation, toujours en cours, engendre, entre autres, une réflexion sur la logistique opérationnelle dans le cadre d’un engagement majeur en haute intensité. Ainsi, la sûreté des emprises logistiques, comme le groupement de soutien divisionnaire (GSD), redevient un enjeu crucial.

Au-delà de l’éloignement entre le GSD et la ligne des contacts, l’une des parades, pour cette cible potentielle, est la dispersion sur une zone estimée à environ 400 km2. Les drones logistiques représenteraient alors un outil pertinent pour le transfert de matériels entre les zones fonctionnelles (ZF), par exemple de pièces détachées. Les régiments du Train, assurant l’approvisionnement des unités de l’armée de Terre, pourraient utilement étoffer la gamme des drones dont ils disposent déjà.

 

Logique d’urgence

Tout d’abord, il faut bien rappeler à nouveau que le ravitaillement par la troisième dimension ne peut remplacer les convois terrestres en termes de volumes. Cette capacité à livrer de la ressource par les airs au plus près des troupes au contact est cependant un savoir-faire essentiel des armées modernes, permettant le soutien d’unités au sol en difficulté tactique. Ensuite, il s’agit de différencier deux types d’approches. D’un point de vue tactique, les drones mis en œuvre au sein du GSD, pourraient être utilisés afin de livrer de la ressource directement auprès des unités de soutien au contact (train de combat n°2 – TC2). Cela semble cohérent au regard de la distance à parcourir (une centaine de kilomètres) et du fait que le GSD est déjà relié aux TC2.

D’un point de vue opératif, la livraison par air est du ressort du 1er Régiment du train parachutiste depuis sa base opérationnelle aéroportée, comprenant notamment une piste de décollage. Dans ce cas, c’est une nouvelle fois le planeur logistique qui pourrait venir compléter les moyens traditionnels de livraison par air, à savoir la flotte d’avions de transport de l’armée de l’Air et de l’Espace – CN235, C130 et A400M – chacun dans leurs différentes versions.

Dans tous les cas ci-dessus, il faudra prendre en compte les spécificités du transport aérien avec notamment des restrictions liées au transport de marchandises dangereuses et de conditionnement approprié du matériel à transporter. De plus, une coordination entre tous ces acteurs semble nécessaire afin de limiter l’hétérogénéité de la flotte, élément très contraignant en termes de formation comme de soutien.

 

Photo © Windlair