Ecole de Guerre Terre – Par le CBA Charles Bénézech, actuellement officier stagiaire à l’Ecole de Guerre
NDLR : L’étude menée par le CBA Bénézech alors qu’il était officier stagiaire au sein de l’Ecole de Guerre Terre examine l’évolution du soutien santé sous le prisme des enseignements du conflit en Ukraine. Nous la publions ici en trois parties :
I . Une première partie explique ce qu’est le soutien médical français et la doctrine qui le gouverne ;
II. Une seconde, les caractéristiques du champ de bataille ukrainien et leur impact en matière de sauvetage au combat ;
III. La dernière partie propose quelques recommandations pour une adaptation du soutien médical des forces armées françaises face au spectre de la haute intensité.
En voici la seconde partie.
II. Quels enseignements tirer de l’étude du conflit entre l’Ukraine et la Russie ?
Le conflit opposant l’Ukraine à la Russie est un exemple concret de guerre de haute intensité entre deux belligérants symétriques. Les doctrines du soutien médical n’étant pas exactement les mêmes que la française, cette étude permet d’illustrer les vulnérabilités générales du soutien médical face à un afflux massif de blessés ou de malades. Même si les informations sont difficiles à préciser et les chiffres peu vérifiables, tant par le secret de leur communication que par la difficulté d’identifier les corps. Ils feraient état d’environ 0,3% des effectifs morts et d’environ 0,5% de blessés par jour (soit 100 blessés par jour dans le cadre de l’engagement d’une division) (1).
Ce ratio d’environ deux morts pour trois blessés correspond à la dernière évolution des hypothèses de travail du SSA dans son processus de modernisation (2).
Enfin, la catégorisation des blessés selon leur gravité permet d’affiner ce travail de dimensionnement du soutien médical et d’adapter au mieux les entrainements pour toute la chaine santé.
Une médicalisation de l’avant résolument tournée vers le combat
Les observations font état de réelles difficultés dans l’application des préceptes du sauvetage au combat. Si tous les soldats d’active sont formés et ont eu le temps d’assimiler les gestes adaptés, les conscrits semblent éprouver davantage de difficulté pour leur bonne exécution. Le manque cruel de matériel de premier secours, notamment les pansements compressifs ou les garrots, diminue d’autant les chances de survie du blessé.
Une des différences fondamentales entre les doctrines russe et française est l’insistance sur l’autonomie du blessé pour s’appliquer les premiers soins. De plus, le combattant russe est encouragé à poursuivre le combat jusqu’à ce qu’il soit au bord de la perte de connaissance ou qu’une MEDEVAC n’arrive. Cela renforce l’autonomisation du soldat dans son application des premiers soins.
Le rôle 1 semble aussi touché par le manque de produits médicaux pour prodiguer des soins et le recours à des pillages dans le civil souligne cette difficulté logistique. En outre, les soins sont rendus particulièrement difficiles par les tirs d’artillerie ou les drones qui contraignent le déploiement des postes médicaux plus loin qu’envisagé doctrinalement de la ligne des contacts. Il faut protéger ces structures vulnérables des feux dans la profondeur.
Tous ces éléments contribuent à la baisse du moral de la troupe qui, en cas de blessure, voit ses chances de survies drastiquement diminuer. Néanmoins, il est difficile de mesurer précisément l’impact de ces éléments sur les deux belligérants. Il est légitime de considérer que le moral général des combattants, et de leur famille, est très influencé par le soutien médical et la capacité de survivre à une éventuelle blessure. Il en ressort la nécessité évidente de la qualité de la formation et du bon équipement du combattant.
La réanimation et la chirurgicalisation de l’avant assez présent
Les rôles 2 paraissent avoir été déployés conformément à la doctrine au niveau de la zone arrière des Armées Interarmes (AIA, équivalent d’une division occidentale). A cet effet, ils ont déployé des hôpitaux de campagne mais aussi utilisés les infrastructures civiles déjà présentes. Peu d’informations sont disponibles sur la performance de ces rôles 2 ce qui vient contrebalancer la communication intensive réalisée lors des précédents exercices à ce sujet, notamment par la Russie.
La volonté de cacher le nombre de blessé ou les difficultés dans leur prise en compte pour maintenir le moral de la troupe au plus haut semble être des hypothèses vraisemblables. Surtout sachant que les difficultés logistiques des rôles 1 doivent se retrouver au niveau des rôles 2.
La logistique des conflits de haute intensité doit donc faire une place importante dans le transport des produits médicaux afin que l’efficacité des rôles 2 soit au niveau des objectifs fixés en doctrine. Les rôles 3 sont installés très en arrière de la ligne de front et adossés, le plus souvent, à des structures civiles pour faire face à l’afflux massif de blessés et maintenir la stratégie de communication et fonctionneraient correctement (3).
Des MEDEVAC difficiles à réaliser
Les évacuations par voie aériennes sont compromises de chaque côté à cause des moyens portatifs et mobiles de défense antiaériens. Ceci conclurait à la quasi impossibilité d’utiliser des hélicoptères à proximité de la ligne de front pour évacuer des blessés. Le temps de prise en charge d’un blessé par une équipe médicale adaptée en est donc largement augmenté. Certains témoignages de blessés font état de délais d’attente de plusieurs jours pour une évacuation vers le rôle 1. Cela génère la forte dégradation des blessés voire leur décès durant ces longues phases d’attente sans véritable stabilisation de leur état de santé.
L’évacuation par voie routière sous blindage semblerait donc un savoir-faire à prendre en compte de manière plus importante qu’aujourd’hui pour augmenter les chances de survie. A noter que la capacité de transport russe sous blindage serait de 9 assis et 2 à 4 couchés (BMM-80-2 ou MT-LB SAN). Sans blindage, elle monterait à 9 couchés et 15 assis (GAZ-3308 ou AS-4350).
Les conditions climatiques difficiles et l’environnement sanitaire dégradé complexifieraient le bon rétablissement des blessés. Les MEDEVAC aériennes ne seraient réservées que pour les évacuations de l’arrière ou stratégique en complément de celles en train médicalisé.
La capacité de triage de masse, pour prioriser les évacuations des blessés au regard de la gravité des blessures et de leur probabilité de survie, est aussi à développer car cette compétence a fait défaut lors des premiers temps du conflit. Cette évolution semblerait être réalisée côté russe avec l’adaptation de la formation de leur personnel médical à cet acte (4).
Un soutien moral qui se cherche
Côté ukrainien, des sas de repos pour les soldats revenant du front ont été mis en place afin d’améliorer leur moral et d’éviter les blessures psychiques. Si au début des conflits ces sas étaient très loin du front dans des lieux reculés et déconnectés du conflit, ils se sont progressivement rapprochés car la rupture entre le quotidien du front et la zone de repos était trop importante et les défections augmentaient.
L’importance du bien-être du soldat dans la durée, qui évolue au front dans des conditions terribles, a été pris en compte afin qu’il reste mobilisé tout au long du conflit. Il faut noter l’importance de ces sas et le bon équilibre à trouver pour la rupture avec le quotidien du front afin que le soldat soit capable d’y retourner.
Les observations de ce conflit mettent en lumière la difficulté d’exécution du soutien médical en corrélation avec la doctrine. Bien qu’imprécises, elles permettent néanmoins de tirer de grands enseignements sur la bonne exécution du soutien médical et indiquent des axes de progression à court ou moyen termes.
Dans l’optique d’un retour à un conflit de haute intensité, le soutien médical français pourrait profiter de l’étude de ce type de conflit pour s’améliorer sur l’ensemble du spectre DORESE. L’objectif premier étant toujours de sauver un maximum de vie, il ne faut pas oublier l’impact particulièrement néfaste sur le moral des soldats dans le cas d’un soutien médical défaillant.
Notes
(1) Article du CRT du 25/05/2023 : La direction générale du service de santé militaire des forces armées russes
(2) Note n°504712/ARM/DCSSA/OPS/EMP/DR du 20/03/2023 : concept actualisé du soutien médical des opérations aéroterrestres adapté à une opération d’envergure
(3) Article du CRT du 13/07/2022 : La logistique russe dans les débuts du conflit ukrainien
(4) Article du CRT du 25/05/2023 : La direction générale du service de santé militaire des forces armées russes
Photo MEDEVAC © https://www.defense.gouv.fr/sante/nos-missions/soutien-medical/soutien-medical-opex