Par le Dr. Romain Petit – Les doctrines chinoises et russes prônent l’instauration d’un nouvel ordre géostratégique mondial (4/5)
Cet article est le quatrième de notre série « anatomie des conflits contemporains ». Point sur le concept de guerre psychologique dans la stratégie chinoise.
La guerre psychologique par l’Armée populaire de libération (APL)
A côté de la guerre de propagande, la Chine emploie d’autres moyens de la guerre irrégulière dont celle appelée guerre psychologique (1). La guerre psychologique est une guerre qui se mène dans les domaines cognitif et affectif. Elle consiste en l’utilisation de techniques et de méthodes de manipulation de l’opinion qui vont de la désinformation jusqu’à la subversion et l’intoxication et tendent à créer un climat insurrectionnel au sein d’une population civile cible. L’intimidation d’une population choisie est également un des effets finaux recherchés (EFR) de la guerre psychologique.
L’APL s’est dotée d’une unité dédiée dans ce domaine appelée unité 61716 ou base 311 dont l’objectif est la désorientation des forces armées adverses. Intégrée à la Force de soutien stratégique (FSS) de l’APL, elle compte notamment dans ses rangs de nombreux ingénieurs en cybersécurité. Taïwan est bien évidemment l’un des pays ciblés par la Chine, mais il n’est pas le seul. La base 311 planifie et conduit des attaques cyber à destination des secteurs stratégiques des gouvernements étrangers (industrie, recherche, aérospatial, défense, hôpitaux…) tout comme elle s’exerce dans le champ informationnel des puissances avec lesquelles elle entre en compétition.
La guerre dans le champ cognitif et affectif est non seulement une guerre du sens, mais aussi une guerre sournoise, souterraine et insidieuse. Elle tend à manipuler en encensant ou en discréditant les valeurs et l’ethos qui constituent le socle du « vivre ensemble » au sein d’une société donnée. Ici le champ de bataille est celui du patrimoine culturel, historique et sociologique d’une société, d’un Etat, d’une nation. Les avancées en matière d’intelligence artificielle offrent des possibilités décuplées de moyens d’action et d’influence en permettant la création de véritables armes de persuasions massives qui sont, elles aussi, dans leur champ propre de véritables armes de destructions massives.
Ces moyens d’actions sont évidemment contraires à l’éthique des sociétés ouvertes et des armées occidentales qui, si elle tolère la ruse comme moyen tactique, se refuse à user de tromperie notamment au nom du respect des principes de la Convention de Genève et du Droit des conflits armés.
La guerre psychologique est aussi une guerre dans le domaine de l’influence ou dans ce que l’on a coutume pour partie d’appeler dans le monde des relations internationales le Soft Power, manière de convaincre sans contraindre. Le Parti communiste chinois (PCC) a bien compris qu’il avait du mal à séduire le monde et qu’il lui faut mener bataille dans cette dimension « affective » également.
Il s’agit donc pour le PCC de faire adhérer à ses valeurs et ambitions et de convaincre de la valeur de son modèle ou, à défaut, de taire la parole de l’autre en la discréditant ou en l’évinçant. La rhétorique et la didactique deviennent alors aussi des champs de conflictualité. Le pouvoir, tel que l’a théorisé Michel Foucault, se joue dans un rapport de forces continu dans l’espace et dans le temps, mais aussi dans le champ comportemental et cognitif. Ici, les concepts de sociétés disciplinaires et de contrôle nous aident à comprendre la mécanique des nouvelles forces totalitaires (2).
La guerre du droit
Dernier axe, la guerre juridique ou guerre du droit (Lawfare) (3). Il s’agit d’une guerre dont le champ d’action porte sur la légitimation des actions menées dans le domaine juridique ou sur la remise en cause de traités ou conventions communément partagées en droit international public (DIP). L’exemple le plus parlant dans ce domaine est celui de la ligne en neuf traits, ou langue de bœuf qui est la démarcation indéfinie délimitant une portion de la mer de Chine méridionale, sur laquelle la Chine affirme détenir une souveraineté territoriale.
La Chine défend ses revendications par l’installation de bases fixes, notamment celles de la grande muraille de sable au mépris de la Convention de Montego bay qui définit notamment la souveraineté des Etats en mer, ce que l’on nomme zone économique exclusive (ZEE). Ici l’antériorité de la présence chinoise en Mer de Chine sert de prétexte à la remise en cause de la notion de ZEE et d’une vision du DIP décrite et discréditée par le PCC comme étant occidentalo-centrée.
Notes :
(1) Pour une définition exhaustive de cette notion nous renvoyons le lecteur à notre série d’articles consacrée à la guerre psychologique : https://operationnels.com/2019/08/06/quest-ce-que-la-guerre-psychologique
(2) Michel Foucault, Surveiller et punir, Editions Gallimard
(3) Sur cette question, lire : Amélie Ferey, Vers une guerre des normes ? Du lawfare aux opérations juridiques, IFRI
Illustration © https://www.eomap.com/how-satellite-data-support-maritime-boundary-disputes/