Par Murielle Delaporte – L’adresse aux Français du Président Macron le 5 mars 2025[1] fait écho aux discours de ses prédécesseurs, qui, inlassablement, se sont toujours battus pour une défense autonome et souveraine, ou du moins la plus souveraine possible aux vues des contraintes et réalités économiques mondiales.
La vision du général de Gaulle quant à son ambition d’une base industrielle de défense forte et d’une dissuasion nucléaire nous permettant de relever la tête dans les décennies de l’Après-guerre sont une chance aujourd’hui, même si les dividendes de la Paix l’ont quelque peu affaibli. Mais l’héritage et l’esprit ont toujours prévalu que ce soit dans la poursuite de notre modèle complet d’armée nous permettant d’être présents sur les théâtres extérieurs en y étant respectés, ou que ce soit en étant pionniers en Europe dans l’élaboration d’une stratégie cyber ou encore d’une stratégie spatiale de défense, nouveaux champs de bataille hélas confirmés du XXIème siècle.
La redistribution des cartes de l’Après-guerre, qui est actuellement en cours et qui a démarré depuis déjà quelques années, va également dans le sens d’une part de l’élargissement de l’OTAN qui est passé de 12 à 32 membres entre 1949 et 2024[2], et d’autre part de la montée en puissance de la Chine dont le réarmement préoccupe Washington[3].
Plutôt que de parler de rupture transatlantique, comme « l’excès des va-t-en- guerre » et « l’excès des défaitistes » – pour reprendre l’expression du Président Macron dans son discours – tendent à dépeindre la situation actuelle, il semble plus réaliste de parler de réajustement du partage du fardeau et des responsabilités au sein d’une Alliance atlantique qui a encore son mot à dire. C’est ce qui est de fait souhaité de part et d’autre de l’Atlantique depuis des décennies – en tout cas en France de manière constante et aux Etats-Unis de façon plus sporadique selon les différents présidents de Kennedy à Trump aujourd’hui.
Les objectifs globaux sont donc aujourd’hui alignés pour que la contribution américaine à l’OTAN aujourd’hui estimée à environ 64% du budget total puisse être en partie redirigée pour faire face à d’autres menaces – tout aussi réelles – sur son front Ouest[4] et qu’une véritable défense européenne voit le jour.
Quant à la nature du soutien de Washington envers l’Ukraine, il est encore trop tôt pour savoir ce qu’il en adviendra – dans un sens ou dans un autre – à l’issue des négociations de paix avec Moscou et en fonction du déroulement de ces dernières si elles se confirment.
Ce dont il faut en revanche se souvenir ce sont les hauts et les bas qui ont régulièrement traversé l’histoire de l’OTAN et surtout les relations franco-américaines depuis l’après-guerre : les dissensions actuelles sur l’Ukraine sont à bien des égards similaires à la crise de Suez, à la réaction des Américains pendant nos guerres de décolonisation (Indochine et Algérie), ou plus récemment à la crise des Euromissiles sous le gouvernement Reagan (un président de fait aussi détesté et conspué par les médias de l’époque que l’est aujourd’hui Donald Trump)[5], ou encore aux différents opposant les deux nations à propos de la guerre en Irak.
Américains et Européens sont différents et ont le droit de ne pas toujours être d’accord sur tout, mais cela ne signifie en rien une politique du tout ou rien. Seuls leurs ennemis communs ont intérêt à un découplage entre des Alliés qui fêtaient voici quelques mois leur 75ème anniversaire et qui ont traversé bon an mal an nombre de crises similaires depuis la fin de la Seconde guerre mondiale.
Croisons les doigts pour qu’il en soit de même aujourd’hui et que cette transition vers un rééquilibrage de l’Alliance atlantique se fasse de façon harmonieuse et naturelle…
Notes et références :
[1] https://www.elysee.fr/front/pdf/elysee-module-24161-fr.pdf
[2] https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_52044.htm
[3] Voir par exemple sur ce sujet : https://www.iiss.org/online-analysis/military-balance/2024/05/asian-defence-spending-grows-chinas-grows-more/ ; ou l’analyse du Pentagone >>> https://media.defense.gov/2024/Dec/18/2003615520/-1/-1/0/MILITARY-AND-SECURITY-DEVELOPMENTS-INVOLVING-THE-PEOPLES-REPUBLIC-OF-CHINA-2024.PDF
[4] https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/2024/6/pdf/240617-def-exp-2024-fr.pdf ; voir aussi : https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/2024/6/pdf/240617-def-exp-2024-fr.pdf
[5] Voir : Murielle Delaporte, La politique étrangère depuis 1945 : l’Amérique à la croisée de l’Histoire, pages 67 à 79 en particulier >>> https://www.fnac.com/a147470/Murielle-Delaporte-La-politique-etrangere-americaine-depuis-1945-l-Amerique-a-la-croisee-de-l-histoire – ou l’extrait en version PDF >>> Extrait pages 67 a 71 La politique etrangere americaine depuis 1945 DELAPORTE