Murielle Delaporte
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Forces logistiques terrestres espagnoles (Crédit: http://www.ejercito.mde.es/multimedia)
Forces logistiques terrestres espagnoles (Crédit: http://www.ejercito.mde.es/multimedia)

Si la France et les Etats-Unis en tant qu’anciennes puissances coloniales jouent un rôle important dans les efforts d’assistance en Haïti, il est un autre pays dont la participation actuelle revêt également un caractère symbolique, à savoir l’Espagne, et ce pour au moins quatre raisons :

  • Sur le plan européen, Haïti peut être considéré comme un premier test de “l’Europe du Traité de Lisbonne”, à un moment où l’Espagne en a la présidence tournante pendant six mois : Madrid n’a pas caché son intention d’utiliser cette fonction comme un moteur d’activation d’une politique étrangère européenne réellement commune, et même si les blocages politiques (notamment en ce qui concerne les aspects juridiques et le casse-tête des nominations) peuvent s’avérer paralysants, la coopération sur le terrain et la coordination ONU-UE semblent s’être agencées tant bien que mal.
    “Aujourd’hui, nous ne sommes pas un acteur global. Nous avons quelques expressions d’une politique étrangère. Nous avons convenu de certaines missions importantes, nous avons adopté des positions politiques communes, mais nous n’avons pas de réelle politique extérieure en Europe. (…) Avec le traité de Lisbonne, cependant, l’Union aura à sa disposition un instrument très important en matière de politique étrangère – le président du Conseil de l’UE, qui représente l’Union à l’étranger, la Haute représentante pour les affaires extérieures, qui représente l’Union en tant que vraie ministre des affaires étrangères, et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE)“, avait ainsi déclaré Diego López Garrido, secrétaire d’Etat espagnol pour les affaires européennes en décembre dernier anonçant que l’Espagne aurait une présidence résolument tournée vers l’extérieur (1). Lord de la tragédie haïtienne, Ban Ki Moon, le secrétaire général de l’ONU avait ainsi en un premier temps transmis oralement à la vice-première ministre espagnole, Maria Teresa Fernandez de la Vega alors à Port-au-Prince, des demandes de soutien dans quatre domaines: logistique navale (notamment la France avec la Martinique et la Guadeloupe, l’ Espagne avec sa base logistique à Panama et les Pays-Bas à partir de Curacao), protection et sécurisation, génie et hélicoptères (2). De fait, selon un communiqué du ministère des affaires étrangères espagnol, dès le 14 janvier 2010 « un avion quittait le Centre logistique d’aide humanitaire d’Espagne à Panama, le premier en partance de ce pays d’Amérique centrale. Dans ses cales, voyagent une cargaison de 24 tonnes de matériel humanitaire de l’Agence espagnole de Coopération internationale pour le Développement (AECID) et des Médecins sans Frontières-Espagne, ainsi que le Programme alimentaire mondial des Nations unies (PMA). Ce premier envoi depuis Panama comprend 1000 toiles d’abris, 675 kits familiaux d’hygiène, 4200 dépôts flexibles d’eau de 20 l, 450 couvertures, 1500 sacs mortuaires et 55 tentes familiales, un kit de catastrophe et un autre d’hygiène de la part des MSF-Espagne ainsi que des rations de nourriture par le PMA. L’avion transporte en outre des membres de l’AECID».
  • Sur le plan international, une autre ambition de l’Espagne pendant sa présidence européenne est de rapprocher l’Europe et le continent sud-américain (3), le prochain sommet Europe-ALC (Amérique Latine/Caraïbes) étant prévu pour mai 2010 (4). La catastrophe haïtienne a déjà mis en place de facto une coopération triangulaire au niveau logistique entre l’Europe, l’Amérique Latine et les Caraïbes: utilisation de la base logistique espagnole de Panama; coordination au niveau transport aérien entre l’Espagne, le Salvador et Haïti; utilisation de Torrejon comme base logistique de transport aérien dans ce cadre.

    La ministre Carme Chacon accueille les membres de l'UME à la base de Torrejon (source: vidéo du ministère de la défense espagnol, 27 janvier 2010)

    La ministre Carme Chacon accueille les membres de l'UME à la base de Torrejon (source: vidéo du ministère de la défense espagnol, 27 janvier 2010)

  • Sur le plan intérieur politique, l’action espagnole en Haïti illustre la participation croissante de Madrid dans les opérations civilo-militaires extérieures : de fait c’est la troisième fois que l’Espagne intervient sur l’île Caraïbe (1990; 2004; 2010).

“La collaboration entre la défense et la coopération au développement doit se construire peu à peu, pas à pas, ce qui améliorera sans aucun doute l’efficacité de l’action extérieure espagnole en matière d’action humanitaire et de construction de la paix. Dans ce sens, comme nous le commentions, le Ministre de la Défense est en permanente collaboration avec le Ministère des Affaires Extérieures et de la Coopération, et particulièrement avec la Secrétaire d’État de la Coopération Internationale et avec l’Agence Espagnole de Coopération Internationale pour le Développement, pour tout ce qui est relatif à la coopération au développement. Des nouveaux espaces de collaboration entre les deux départementsapparaissent, qui offrent une plus grande synergie et permettent d’améliorer la réponse institutionnelle espagnole face aux crises humanitaires et dans la prévention des conflits. Certaines des options de collaboration sont les suivantes:

– Elaboration conjointe de documents de coopération sur l’aide humanitaire et la participation militaire dans ce domaine (Stratégie sectorielle quant à la prévention des conflits et la construction de la paix);

– Collaboration (transport –principalement aérien-, appui logistique, sécurité) avec les opérations d’aide humanitaire d’urgence de l’Agence Espagnole de Coopération Internationale pour le Développement (AECID) (transport aérien, etc.). L’Armée de l’Air a cédé temporairement l’usage d’un hangar dans la Base Aérienne de Torrejón pour l’emmagasinage de l’aide humanitaire, pour accélérer les envois urgents;

– Réalisation de cours sur des techniques de déminage humanitaire dans le Centre International de Déminage au bénéfice des pays désignés par la coopération espagnole au développement, entre autres;

– Coordination et collaboration sur le terrain, y compris malgré que cela implique un effort supplémentaire aux tâches et missions des forces.“(5)

L’armée de terre espagnole sort d’une politique de restructuration débutée en 2006 avec un resserrement drastique de ses effectifs, à un moment où la ministre de la défense espagnole semble déterminer à affirmer et accroître la participation de son pays dans les actions multinationales : Haïti, mais aussi, Afghanistan (6), opération Atalante (voir l’entretien bilatéral entre la ministre de la défense espagnole Carme Chacon et l’Amiral Hudson en charge de l’opération Atalante en marge de la réunion des ministres de la défense de l’UE à Majorque le 24 février 2010), etc.

L’armée de terre espagnole a en effet été restructurée pour passer de 86.000 à 54.400 soldats, une trentaine d’unités devant être dissoutes, les autres étant modifiées ou redéployées. Elle est organisée “en un quartier général des forces terrestres à haute disponibilité, un état-major OTAN, une force terrestre, le commandement des Canaries et la force logistique opérationnelle. Celle-ci comprend les Forces logistiques terrestres numéro 1 et numéro 2 (unies créées dans le cadre de la réforme de 2006), une brigade de santé (3 bataillons santé, 1 hôpital militaire de campagne et bataillon de support) et un commandement des appuis logistiques opérationnels”.

Installation d’eau potable a Petit Goave par le groupe tactique Hispaniola (source: Ministerio de Defensa Espanola, 09/02/2010)
Installation d’eau potable a Petit Goave par le groupe tactique Hispaniola (source: Ministerio de Defensa Espanola, 09/02/2010)

La participation espagnole en Haiti s’est déclinée en deux phases et est estimée à un coût total de 18,8 millions d’euros:

• Une phase urgentiste de court terme UME pour “Unidad Militar de Emergencias”) au cours de laquelle ont été notamment déployées les unités logistiques avec une autonomie en hommes et matériel de douze jours (7);

• Une phase de reconstruction de moyen-terme d’une durée de trois mois (donc devant s’achever au 10 mai 2010) se concentrant sur l’installation d’eau potable à Petit Goave: a ainsi été constitué le groupe tactique Hispaniola autour de la Castilla comprenant un total de 450 hommes (8).

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Notes de bas de page

(1) L’Espagne dévoile ses priorités pour sa présidence de l’UE, 10.12.2009és

(2) Nicolas Gros-Verheyde, L’ONU demande l’aide logistique et militaire de l’Europe,Amériques-Haïti,18 janvier 2010

(3) Présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne (janvier – juin 2010)

(4) Béatrice Leveillé, Présidence de l’Union européenne: la relève espagnole, 1er janvier 2010

(5) Benito Raggio, Coopération civile-militaire dans les opérations humanitaires

(6) L’Espagne a ainsi annoncé le 12 février 2010 le renforcement de sa présence en Afghanistan de 511 militaires supplémentaires portant ainsi son contingent à 1600 hommes.

(7) Carme Chacon, Comparecencia para la autorizacion de la mision militar en Haiti, Congreso de los Diputados, 10 de febrero, 2010, pp. 3-4.

(8) Sur la fonction médicale de la Castilla, voir notamment la vidéconférence de la ministre de la défense Carme Chacon le 13 février 2010.

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Références

Sur le rôle de l’Europe, voir notamment:

Sur l’évolution de la politique de defense espagnole depuis 1975, voir notamment: