A. Dupas et G. Huber
A. Dupas et G. Huber

Par Alain Dupas et Gérard Huber

Cinquième et dernier extrait du nouvel ouvrage paru chez Robert Laffont: La grande Rupture?

Ces dernières années, le développement des sciences et des techniques a connu une accélération extraordinaire, en particulier dans quatre domains clés: l’information, les biotechnologies, les nanotechnologies et les sciences dites «cognitives».” Quel est l’impact véritable de ces avancées sur la société et l’économie, sur chacun de nous, sur la planète tout entière ? »

Tel est le défi du dernier ouvrage d’Alain Dupas, physicien, et Gérard Huber, psychanaliste. Le chapitre 7 porte plus précisément sur la redistribution des cartes mondiales, notamment dans le domaine aéronautique et spatial, face à cette accélération technologique, et est publié sur ce site en cinq parties distinctes: dans cette dernière section, les auteurs examinent les perspectives internationales en matière d’astronautique: le rôle des Etats-Unis comme catalyseur potentiel d’un programme international d’exploration de la Planète Rouge, représentant pour les auteurs le “destin cosmique de l’humanité“, y est souligné.

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La Grande Rupture

Chapitre 7 : Géopolitique au temps de l’accélération (cinquième partie)

Des outils indispensables pour la surveillance de l’environnement Les applications spatiales militaires sont une pièce de plus dans le puzzle de la puissance américaine. Mais il existe aussi des utilisations civiles des satellites, qui ont joué un grand rôle dans les évolutions de la civilisation sur la Terre au 20ème siècle. L’avènement du « village global » de McLuhan a été rendu possible par le réseau global de télécommunications spatiales, constitué en 1968. La prise de conscience écologique a été en partie suscitée par les images de la petite et magnifique « planète bleue » sur le fond noir du cosmos, prises par les astronautes du programme Apollo en 1968, et faisant apparaître la Terre comme un « objet perdu » dans l’univers, unique et devant être à tout prix préservé. Le secteur des applications spatiales civiles a pris, sur les plans économique et pratique, une importance considérable dans trois dernières décennies, avec deux utilisations phare : la télévision par satellite d’une part, et l’observation de la Terre, incluant la météorologie. Dans ces deux domaines, l’Europe [1] est l’égale des Etats-Unis. Ses industriels sont compétitifs et elle occupe même une enviable position de « leader » pour ce qui est du lancement commercial des engins spatiaux, avec la société « Arianespace » qui met en œuvre les fusées Ariane 5. Mais il n’y a pas que le « business ». Les satellites sont, au-delà de la vente de leurs services, des outils indispensables pour surveiller globalement la planète, apporter les informations permettant d’améliorer la compréhension des phénomènes météorologiques et climatiques, contrôler le respect des accords internationaux sur la préservation de l’environnement. Dans ce domaine aussi il conviendrait d’accroître l’effort de recherche et de développement et ce d’autant plus que les technologies « NBIC » autorisent la réalisation de satellites plus performants tout en étant plus légers et moins chers. Le plus grand programme de coopération scientifique de l’histoire L’espace ne se résume cependant pas aux seules applications pratiques des satellites, même si elles ont largement contribué à façonner le monde tel qu’il est aujourd’hui. C’est aussi, et peut-être surtout, l’astronautique, c’est à dire la « navigation entre les astres », la « conquête du cosmos », avec des robots – le fait que les satellites et les sondes spatiales soient des robots a déjà été évoqué – et aussi avec des êtres humains, des astronautes ! Cet objectif a été poursuivi dès les débuts de l’ère spatiale, en 1957, et il a conduit, avec une rapidité stupéfiante, au premier vol d’un homme dans le cosmos, Youri Gagarine, en 1961, et au débarquement de Neil Armstrong et de Buzz Aldrin sur la Lune en 1969.

Depuis lors, le rythme des développements s’est ralenti et les astronautes ont, pour un temps, abandonné la Lune pour revenir accomplir des voyages plus modestes autour de la Terre. La plus grande réalisation actuelle –qui est en même temps le plus important programme de coopération scientifique jamais entrepris dans le monde- est la station spatiale internationale [2] (ISS). Son assemblage s’achève et des équipages de six astronautes vont y conduire, au moins jusqu’en 2020, des recherches exploitant les conditions particulières qui existent sur une orbite cosmique : une gravité pratiquement absente, un vide extérieur presque total. Certains de ces travaux, en physique, chimie, biologie et médecine, contribueront-ils aux avancées des sciences et technologies « NBIC » ? On le saura dans les années à venir.

Les Etats-Unis vont-il retourner sur la Lune ? Avec la fin du programme Apollo dans les années 1970, l’humanité, en l’occurrence représentée par les Etats-Unis, a-t-elle renoncé à la grande aventure de la conquête de l’espace, qui se saurait s’arrêter à 500 km au-dessus de la surface terrestre ? Peut-elle se contenter d’explorer le système solaire au moyen de robots, dont les découvertes sont certes extraordinaires, que ce soit sur Mars, ou autour de Jupiter et de Saturne, mais n’ont ni l’imagination, ni la créativité, ni les émotions – cela a été évoqué clairement – des êtres humains ? En pratique, la réponse à ces questions dépend essentiellement d’un seul pays, les Etats-Unis, qui ont la capacité et la vision d’entreprendre l’exploration de la Lune et surtout de Mars, objectif emblématique de toute l’astronautique. Une autre nation, la Chine, envisage apparemment l’envoi d’hommes sur la Lune, qu’elle pourrait réaliser vers la fin des années 2020. Mais sa technologie spatiale est bien inférieure à celle des Etats-Unis et un programme ambitieux d’exploration humaine du système solaire, incluant Mars, ne peut résulter, à l’heure actuelle, que d’une initiative américaine, qui pourrait entrainer ses partenaires de l’ISS ainsi que de nouveaux pays, comme l’Inde ou la Corée du Sud. L’Europe pourrait-elle jouer un grand rôle dans un tel projet, qui serait l’une des entreprises les plus emblématiques du 21ème siècle ? Dans le contexte européen actuel, caractérisé par une triste absence de vision déjà évoquée, c’est fort peu vraisemblable. Dommage.

On se souvient que le président G.W. Bush, contraint de réagir après l’explosion de la navette spatiale Columbia de la NASA en 2003, a effectivement décidé en 2004 que les Etats-Unis retourneraient sur la Lune en 2020 et qu’ils poursuivraient ensuite leur route vers Mars. Un projet alors conçu d’une manière assez nationaliste, tout à fait dans l’esprit de l’Administration Bush, mais qui n’a pas reçu les moyens nécessaires pour avancer aussi vite que prévu. Que fera Barack Obama [3], qui est passionné par la conquête du cosmos, et se rêve en nouveau Kennedy ?

Maintiendra-t-il l’objectif lunaire ou préfèrera-t-il développer directement les technologies et les systèmes nécessaires à l’envoi d’astronautes vers Mars ? Ne va-t-il pas devoir ralentir le programme dans le contexte économique difficile que connaissent les Etats-Unis ? Il paraît probable qu’il va largement ouvrir le projet américain à la coopération internationale. Mais quels partenaires seront vraiment prêts à faire les efforts nécessaires ? L’Europe notamment jouera-t-elle le jeu ? Cela a été souligné : il ne suffit pas que les Etats-Unis abandonnent une attitude « unipolaire » arrogante et appellent de leurs vœux une approche « multipolaire » pour que les autres puissances prennent leurs responsabilités. Il risque d’en être ainsi pour les relations internationales. Il en sera peut-être de même pour l’exploration du système solaire. Mars et le destin cosmique de l’humanité Quelle que soit la stratégie finalement choisie par les Etats-Unis, et leurs partenaires éventuels, pourquoi la « planète rouge » sera-t-elle la priorité première ? Raison n° 1 : on espère y trouver des éléments de réponse à la question des origines de la vie. Une question fondamentale dans une perspective darwinienne. Deuxième raison : Mars, petite sœur de la Terre, est l’astre du système solaire où des êtres humains pourraient s’installer à demeure, et créer, en quelque sorte, une seconde Terre. Est-ce là un but important ? Sans aucun doute. Il convient vraiment de resituer l’astronautique dans son contexte évolutionniste : en s’arrachant à la surface terrestre, en se donnant les moyens de s’installer ailleurs dans le système solaire, l’espèce humaine peut faire franchir à la vie terrestre un nouveau niveau d’ « émergence » : l’occupation de plusieurs habitats planétaires. Serait-ce le début d’un grand mouvement d’expansion de la vie terrestre, au travers de la civilisation humaine, dans l’univers ? La question mérite d’être posée. L’humanité a peut-être une dimension cosmique, mais elle doit avancer pas à pas et donc commencer par l’installation d’une « colonie » sur la planète rouge. A quel horizon ? La seconde moitié du 21ème siècle dans doute. Une étape essentielle sera alors franchie : l’espèce humaine, et l’héritage de sa civilisation, pourraient dès lors survivre, en principe, à une catastrophe à l’échelle de la Terre, comme une pandémie, ou, scénario qui n’a pas été évoqué dans les menaces considérées au chapitre 6, l’impact d’un astéroïde ou d’une comète. ————————————————- [1] L’excellente position de l’Europe dans le secteur spatial civil résulte largement, sur le plan historique, de l’action d’une agence nationale, le « Centre National d’Etudes Spatiales » français, créé en 1962 sous l’impulsion du général de Gaulle, et d’une agence multinationale, l’ESA (« Agence Spatiale Européenne »), formée en 1975 sur la base d’organisations européennes créées dès 1964. L’ESA, qui comporte 18 « Etats membres » au début de 2010, est une organisation européenne qui se situe en dehors des institutions communautaires » (Commission, Parlement, etc.). Elle fonctionne dans le cadre de sa propre convention, avec des règles spécifiques. Sa grande originalité en Europe est le fait qu’elle fédère, et gère, plus de la moitié des budgets spatiaux étatiques de ses Etats membres. Cette situation, vraiment fédérale , mais avec une grande flexibilité (chaque pays peut choisir son niveau de participation dans la plupart des programmes, en fonction de son intérêt) est unique. [2] Les partenaires de ce projet pharaonique sont les Etats-Unis, qui occupent là aussi une forte position de leader, le Canada, l’Europe, le Japon et enfin la Russie, qui a rejoint les précédents, un peu contrainte et forcée, en 1993, après la fin de la guerre froide. [3] La Maison Blanche a demandé en mai 2009 à un groupe d’expert, sous la direction d’un ancien grand patron de l’industrie, Norman Augustine, de lui proposer différentes options sur l’avenir des vols spatiaux habités aux Etats-Unis. Leur rapport a été remis en octobre 2009.