Paul Boyé Technologies : une « logique d’anticipation » des besoins en matière de défense et de sécurité
17 juin 2012 – Entretien avec Jacques Boyé, président de Paul Boyé Technologies
*** Cet article est issu du dernier numéro de notre publication associée “Soutien Logistique Défense “
Crédit photo : tenues de combat conçues sur la base du concept TIGRE® Advanced Combat Equipment System (ACES), Paul Boyé Technologies, 2012
Depuis sa création en 1904, Paul Boyé Technologies a su constamment s’adapter et rebondir en transformant les difficultés en tremplins vers de nouvelles réussites, comme en témoigne la transformation de l’entrepris, malgré la destruction totale de ses locaux lors de l’explosion de l’usine AZF en 2001. Son président, Jacques Boyé, explique la « logique d’anticipation » sous-tendant sa stratégie de compétitivité tant dans le domaine de la défense que de la sécurité, laquelle inclut une approche MCO et logistique particulièrement innovantes.
SLD : Comment expliquez-vous cette faculté à pérenniser la tradition familiale dans un secteur – le textile – pourtant particulièrement compétitif ? Quelles ont été de votre point de vue les grandes phases/étapes d’évolution de votre entreprise depuis sa genèse (2e GM ; concurrence asiatique ; etc)?
Jacques Boyé : Les deux axes de nos progrès sont l’innovation et l’exportation. Ils sont les clés de notre succès. Depuis 1976, date du premier grand marché signé à l’étranger (aux Émirats Arabes Unis), nous n’avons cessé de multiplier nos expériences et contrats à l’export, si bien que nous pouvons aujourd’hui nous vanter d’avoir travaillé avec quarante et un pays ! L’innovation depuis 1990, date de la création de la division Recherche et Développement (R&D), est en constant progrès. Aujourd’hui, plus de quatre-vingt pour cent du chiffre d’affaires du Groupe sont générés par les produits développés par la division R&D, et donc par nos innovations.
« Plus de quatre-vingt pour cent du chiffre d’affaires du Groupe sont générés par les produits développés par la division R&D. »
SLD : Vous concevez des tenues de protection et d’intervention à l’attention d’opérateurs très variés (personnel de défense et de sécurité ; urgentistes ; pompiers ; etc) devant faire face à une multitude de dangers : dans quelle mesure travaillez-vous en synergie avec vos clients dans l’expression de leurs besoins (tel type de protection pour telle mission dans tel type d’environnement) et la prise en compte de l’évolution de nombreux paramètres (facteurs médicaux qu’il s’agisse des réactions humaines aux tenues ou encore des impératifs d’accès de ces dernières en cas de premiers soins ; facteurs technologiques ; évolution des menaces ; etc) ? Votre collaboration avec l’Institut de Médecine Navale du Service de Santé des Armées (INMSSA) à Toulon lors de la mise au point des gilets réfrigérants pour les athlètes des JO de Pékin a été mise en avant pour la partie test des équipements, mais êtes-vous parfois force de proposition en avance de phase ou dans le cadre de demandes en urgence opérationnelle (protection balistique en Afghanistan) face à l’évolution de telle menace (NRBC ; détection infrarouge ; IED (protection basse) ; etc) ou de telle technologie (allègement des matériaux ; motifs de camouflage ; polyvalence multi-mission ; etc) susceptible d’améliorer les capacités et la protection des hommes sur le terrain ?
Jacques Boyé : Nous maintenons une relation permanente avec nos clients et entretenons avec eux une logique d’anticipation. C’est-à-dire que nous tentons de répondre à leurs besoins et aux nouvelles menaces auxquelles ils sont confrontés avant qu’elles ne soient effectives. Nous partons du principe qu’il n’y a pas un client unique pour un type de problématique, et que nos développements correspondent à des produits qui, même s’ils paraissent anticipés, pourront servir à d’autres clients n’ayant pas encore repéré ce besoin. Le caractère multidisciplinaire de notre cellule de recherche nous permet de répondre à des risques de type balistiques, chimiques, biologiques, nucléaires et radiologiques. Ses domaines d’études portent sur les matières : textile, mousses, composites, céramiques, furtivité, mais aussi sur les facteurs humains : ergonomie, thermique, physiologie, toxicologie. Composée d’une équipe de onze personnes doctorants, ingénieurs et techniciens spécialistes, la R&D est en lien direct avec nos clients et nos partenaires.
SLD : La diversité des professions avec lesquelles vous travaillez semble vous avoir incité à développer une customisation très poussée des produits que vous proposez : existe-t-il d’une part une grande différence entre les marchés défense et les marchés sécurité ? Et d’autre part, comment décririez-vous les interactions entre technologies civiles et militaires : en d’autres termes, dans la mesure où vous faites partie des rares compagnies à disposer d’un secteur défense-sécurité majoritaire à soixante-deux pour cent, est-ce dans le cas de votre compagnie plutôt le secteur militaire qui « pousse » les avancées technologiques dans le domaine civil ? Ou au contraire, est-ce que le procédé « Friotek » par exemple a eu des implications militaires depuis 2008 ?
Jacques Boyé : L’implication de la société dans les marchés militaires et le développement de produits pour des clients très exigeants, soumis à des situations extrêmes ont été le moteur de nos innovations. Ainsi, en règle générale, ce sont bien sûr les secteurs de la Défense qui se sont développés en amont des besoins civils. Les gilets réfrigérants Friotek ont effectivement été développés tout d’abord à l’intention des sous-mariniers, d’où notre collaboration avec l’IMNSSA de Toulon. Les applications civiles de ces gilets, par exemple dans les domaines sportifs (les gilets ont été plébiscités par les athlètes de l’équipe de France des JO de Pékin) ou médicaux sont arrivées ensuite.
« En règle générale, ce sont bien sûr les secteurs de la Défense qui se sont développés en amont des besoins civils. Les gilets réfrigérants Friotek ont effectivement été développés tout d’abord à l’intention des sous-mariniers, d’où notre collaboration avec l’IMNSSA de Toulon. »
Sur le plan médical des applications ont été développées pour permettre une diffusion du froid progressive et non agressive, caractéristiques utiles pour certaines pathologies. Citons, en exception notable, l’exemple inverse ou le civil profite au militaire avec la déclinaison militaire des masques FFP2, initialement voués à des applications de santé publique de protection contre les risques pandémiques. Ces masques ont trouvé des usages militaires opportuns : protection contre les poussières toxiques ou radioactives, et contre le risque biologique.
Par ailleurs, signalons que tous les produits ne font pas l’objet d’adaptation ; pour preuve les développements très spécifiques des protections FEU destinées aux Pompiers.
SLD : Quels sont les plus gros défis que vous rencontrez au niveau économique (par exemple, conserver le label «made in France» tout en restant compétitif et en respectant les contraintes liées aux certifications) et au niveau technologique (par exemple, difficulté de développer des équipements répondant parfois à des conditions extrêmes/spécificités contradictoires, à l’instar des Marines qui ont mis un certain temps à développer des tenues de protection anti-incendie et amphibies toute à la fois)?
Jacques Boyé : Paul Boyé Technologies est soumis à plusieurs sortes de défis dont les plus importants sont d’ordre économiques et technologiques. Au plan économique, la difficulté provient autant de la grande ouverture du marché français à la concurrence mondiale que des freins à l’importation que beaucoup de pays, et souvent européens, ont mis en place, pour l’achat d’équipements de défense. Au plan technologique, le défi se trouve dans la capacité de nos équipements à répondre à des scénarios de menace beaucoup plus étendus qu’aux temps de la guerre froide et qui entreront en dotation auprès d’une beaucoup plus large gamme d’utilisateurs (militaires, policiers, défense civile…). Dans notre cas, les deux sont intimement liés, car ce sont nos innovations et notre capacité à être en avance, donc notre technologie, qui nous permettent de contrer les difficultés économiques.
« Au plan technologique, le défi se trouve dans la capacité de nos équipements à répondre à des scénarios de menace beaucoup plus étendus qu’aux temps de la guerre froide et qui entreront en dotation auprès d’une beaucoup plus large gamme d’utilisateurs (militaires, policiers, défense civile…).»
SLD : Vous avez développé une unité de Maintien en condition opérationnelle (MCO) permettant l’entretien de vos produits et vous proposez un « service de formation à la maintenance et au contrôle des équipements de protection individuelle » : pouvez-vous expliquer en quoi consistent le ou les « MCO type » des équipements que vous fournissez et le soutien que vous proposez en ce domaine (retour des équipements dans vos usines ? module mobile pour personnel habilité à l’entretien des équipements sur le terrain ?) ? Y a-t-il des évolutions/améliorations en ce domaine ou s’agit-il de procédures basiques ?
Jacques Boyé : Nous avons deux grands types de MCO : l’un relatif à la formation par les utilisateurs eux-mêmes de l’entretien des équipements que nous leur avons fournis et l’autre consistant à assurer dans nos locaux spécialisés un service complet, lavage, réparations et certification avant retour vers le client.
- Le premier type s’effectue aujourd’hui dans une véritable perspective de maîtrise d’œuvre d’une réponse globale aux risques NRBC-Feu qui comprend l’assistance au client dès son expression du besoin, en passant par la formation à l’utilisation des équipements que nous lui livrons et bien sûr, au maintien en condition opérationnelle de ceux-ci. Nous avons pour cela une équipe de formateurs pluridisciplinaire et internationale qui assure cette tâche aussi bien en France (SDIS, Pompiers militaires, Administrations et grandes entreprises) qu’à l’étranger où nous participons en particulier à la mise sur pied de centres de maintenance et à la formation des spécialistes qui y serviront.
- Le deuxième type concerne directement notre unité de maintien en condition opérationnelle qualifiée pour l’entretien, la réparation, la traçabilité et la logistique d’équipements de protection individuelle, toutes ces opérations étant réalisées selon les critères prédéfinis par les normes relatives aux différents types d’équipements à traiter. Un site Internet personnalisé avec accès privé est proposé à nos clients (SDIS, Armée de Terre, CEA, Industries) pour communiquer avec le service MCO (suivi des opérations et traçabilité en temps réel). Toutes les opérations sont par ailleurs enregistrées à l’aide d’un code à barres ou d’une puce RFID, dans le logiciel dédié à la traçabilité et les informations sauvegardées dans une base de données qui peuvent être communiquées au client sur simple demande de sa part.
SLD : Vous avez introduit un système de traçabilité RFID pour le suivi de vos équipements permettant de fournir des données MCO : avez-vous un retex quant aux bénéfices de ce système encore relativement peu répandu dans les domaines de défense et sécurité ? Avez-vous des passerelles/interfaces vous permettant de communiquer avec les systèmes de traçabilité et d’inventaires déjà mis en place ou à venir dans les armées et les forces de police et de gendarmerie ?
Jacques Boyé : La traçabilité est un système d’authentification et d’identification unique à chaque produit. Une étiquette code à barres ou une puce RFID équipe chaque vêtement à tracer. Elle mémorise, entre autres, le nombre de lavages effectués, le type de vêtement, la date du dernier lavage, le nom du propriétaire, les retouches faites, etc… Un logiciel est spécialement dédié à la traçabilité. Cette procédure permet donc d’étayer de manière factuelle et objective tous les échanges d’informations nécessaires au client comme à nous-mêmes.
Nous pouvons ainsi maîtriser les réformes d’articles (ce qui est primordial pour les EPI notamment), mesurer précisément le comportement au fil du temps des effets selon leur usage (lieux d’intervention, types d’intervention, efficacité dans le temps des traitements hydro-oléo) et ainsi remonter très vite les données vers nos équipes de R&D / Conception pour améliorer nos produits.
Par ailleurs, la chaîne de MCO constitue un véritable observatoire de la vie de nos produits et permet de :
• Mettre en place les actions correctives au plus tôt.
• Prévenir les points de faiblesse en déclenchant par anticipation une phase de reconception ou d’optimisation.
Pour le client, avec lequel le dialogue est direct via les sites Internet dédiés, il s’agit de la garantie d’une réduction de ses coûts logistiques, et d’une gestion éclairée des durées de vie, de remplacement et/ou de renouvellement de ses EPI.
« Nous pouvons ainsi maîtriser les réformes d’articles (ce qui est primordial pour les EPI notamment), mesurer précisément le comportement au fil du temps des effets selon leur usage (lieux d’intervention, types d’intervention, efficacité dans le temps des traitements hydro-oléo) et ainsi remonter très vite les données vers nos équipes de R&D / Conception pour améliorer nos produits. (…) Pour le client, avec lequel le dialogue est direct via les sites Internet dédiés, il s’agit de la garantie d’une réduction de ses coûts logistiques, et d’une gestion éclairée des durées de vie, de remplacement et/ou de renouvellement de ses EPI. »
SLD : Le centre de logistique de Labarthe-sur-Lèze a été créé suite au contrat d’externalisation des paquetages de la gendarmerie en 2011 : dans la mesure où votre montée en puissance et vos perspectives de croissance sont à la fois nationales (réponse à l’appel d’offre sur l’externalisation des treillis de l’armée française) et internationales (marché export important ; filiale américaine et contrat NBC avec le Pentagone de mars dernier), comment répondez-vous à une demande en pleine expansion en termes organisationnels en général, logistiques en particulier ? Quelles sont pour conclure vos perspectives et ambitions de développement pour les années qui viennent ?
Jacques Boyé : Titulaire depuis 2011 du marché d’externalisation de la fonction habillement de la DGGN (Gendarmerie Française), PBT doit assurer la responsabilité des fonctions suivantes :
Gestion et planification des besoins / Approvisionnement / Logistique de stockage / Distribution individuelle et collective/Gestion des droits individuels (carnet à points).
Cette organisation est pilotée par un système d’information dédié et sécurisé permettant les opérations liées à la « Supply Chain ». Les prises de commandes « par campagnes » ou par droit de tirage individuel sont effectuées à partir d’un site Internet spécialement élaboré et appelé VETIGEND.
Pour remplir cette mission PBT a dû s’agrandir et avoir recours à du personnel supplémentaire qui gère un centre logistique entièrement nouveau et sécurisé d’une surface de onze mille mètres carrés, disposant des capacités suivantes :
• Équipement de production logistique
• Chaine de préparation de commande (picking) automatisée
• Chaine de MCO
• Entrepôts sécurisés
• Capacité de livraison globale, par lot ou par commande individuelle personnalisée
• Service téléphonique de service après-vente, gestion des retours et des échanges
• Traçabilité spécifique à chaque client et à chaque article.
De nouveaux projets sont en cours ou à venir dans le domaine des externalisations avec notamment un appel d’offres concernant cette fois l’externalisation de l’habillement des Armées qui est d’une encore plus grande ampleur en termes de quantités à fournir, mais surtout en exigences de service et de contraintes (gestion des alertes type Guépard à charge du titulaire). PBT s’est allié avec Daher, un logisticien expérimenté et déjà maître d’œuvre dans ce domaine, et gardera sous sa responsabilité le « métier habillement ». En cas de succès, l’organisation devra comme toujours s’adapter pour respecter notre devise d’excellence.
Enfin, notre offre de réponse globale face aux menaces NRBC qui est une grande réussite jusque-là, est de nature à intéresser de nouveaux pays et nous espérons remporter d’autres succès dans un futur proche. Paul Boyé Technologies a toujours su faire face et se réorganiser en fonction des difficultés. Nous saurons affirmer nos choix et notre volonté de grandir encore, en prouvant notre capacité à gérer des marchés plus importants. Nous recrutons en ce moment de manière significative, et cela est un gage de confiance pour les défis à venir.
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