5 juillet 2012 – Une analyse américaine
Cet article est tiré de : http://www.sldinfo.com/afghan-pakistan-border-incidents-the-underlying-problem/
Adaptation française de Manuella Benquey-Le Vaillant
Par Richard Weitz, Hudson Institute
Crédit carte : Bigstock
Le 26 novembre 2011, une attaque aérienne de l’OTAN a eu lieu contre deux postes de frontières pakistanais et a provoqué la mort de 24 soldats pakistanais. Cet évènement a été ‘l’accident’ le plus grave à la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan au cours des dix ans d’engagement de l’OTAN dans la zone. Mais le risque a beaucoup augmenté depuis l’intensification des combats en Afghanistan due à la participation d’insurgés basés au Pakistan ; cela a d’ailleurs poussé l’OTAN et le gouvernement afghan à adopter des mesures plus strictes le long de la frontière même. La fermeture de celle-ci au passage des convois OTAN a clairement mis en évidence l’état des relations entre l’OTAN et le Pakistan qui est nettement en train de se détériorer. Cela a entraîné, d’une part, le renforcement de l’importance du réseau de distribution du Nord (Northern Distribution Network) pour la mission alliée en Afghanistan et d’autre part, la nécessité d’établir des règles plus efficaces dans la région frontalière.
Cette situation d’instabilité le long de la frontière est actuellement à l’étude ; les causes mises en évidence sont multiples. Les erreurs dans la communication, la peur et un mauvais service d’information et de renseignements ont sûrement contribué au désastre. En outre, la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan est souvent mal délimitée et présente en certains endroits des écarts jusqu’à huit kilomètres entre un plan et l’autre. Il faut aussi considérer la possibilité que les Talibans puissent avoir orchestré un accident entre le Pakistan et l’OTAN pour envenimer à dessein leurs relations.
Le Pakistan a riposté en fermant deux passages vers l’Afghanistan aux convois d’approvisionnement de l’OTAN. Cela est très grave puisque près de la moitié des approvisionnements de la Force Internationale d’Assistance et de Sécurité (FIAS ou International Security Assistance Force – ISAF) guidée par l’OTAN passe par l’Afghanistan, même si les Etat-Unis et les autres pays de l’OTAN ont cherché pendant les deux dernières années à utiliser davantage le réseau de distribution du Nord.
Le Pakistan a par ailleurs expulsé l’armée américaine d’une base militaire en Balûchistân, a boycotté la conférence de Bonn qui s’est achevée le 5 décembre 2011 qui avait pour but d’arriver à garantir la sécurité de l’aide diplomatique et économique à Kaboul après le retrait des troupes de l’OTAN. Tout cela a conduit le pays au renforcement des systèmes de défense de ses frontières. Dans la situation actuelle, les forces de la coalition de l’OTAN et les troupes pakistanaises ont la possibilité d’engager des cibles sans autorisation préalable s’il s’agit d’auto-défense.
En septembre 2010, un accident similaire à celui de novembre 2011 avait fait deux victimes au sein des troupes pakistanaises et avait eu pour conséquence la fermeture pendant dix jours des routes utilisées pour les approvisionnements de l’OTAN à travers le Pakistan. Beaucoup de convois de l’OTAN avaient été incendiés ou pillés à cette occasion. Cette fois-ci, au regard de caractère critique de la situation, les convois ont été déplacés vers des régions plus sûres jusqu’à la réouverture de la frontière.
Les combats en Afghanistan se sont récemment renforcés et cela a poussé les fonctionnaires américains à être moins tolérants envers les Islamistes basés au Pakistan qui mènent des attaques à la frontière. La Maison Blanche et le Pentagone, comme leurs collègues afghans, sont de plus en plus frustrés par la présence de sanctuaires pour les insurgés sur le territoire pakistanais et par l’échec du gouvernement du pays à reprendre le contrôle dans la zone en question. Les Talibans et la guérilla Haqqani sont en train de sortir de leurs sanctuaires au Pakistan et d’attaquer les postes avancés de l’armée afghane dans la partie orientale du pays avant de s’enfuir par la frontière, poursuivis par les forces aériennes de l’OTAN.
L’administration Obama a autorisé des campagnes aériennes plus efficaces contre les militants basés au Pakistan. Le Pentagone continue, pour sa part, à refuser d’envoyer des forces terrestres américaines au Pakistan ; il a toutefois autorisé davantage d’attaques par hélicoptères conventionnels le long de la frontière ainsi que de raids aériens conduits par drones pour arriver à atteindre des objectifs sur le sol pakistanais.
L’épisode de novembre 2011 a été le premier accident de feu-ami en 2011. Cependant l’année a vu se détériorier significativement les relations entre les Etats-Unis et le Pakistan, à l’instar de l’affaire Raymond Davis. M. Davis était un agent de la CIA opérant sous la protection de l’Ambassade américaine d’Islamabad et a tué deux pakistanais en janvier 2011. Selon ses déclarations, les deux hommes auraient tenté de l’attaquer et de le voler. L’incident a mis en évidence les relations très complexes et difficiles entre les deux agences de renseignements, leurs membres respectifs ne se faisant pas confiance alors qu’ils travaillent ensemble lors d’opérations ponctuelles.. L’affaire Davis a été perçue par l’opinion publique pakistanaise comme révélatrice des problèmes posés par l’importante présence de la CIA dans le pays.
C’est dans ce contexte que la Maison Blanche, le 2 mai 2011, a ordonné l’attaque de l’enceinte où se trouvait Oussama Ben Laden dans le centre du Pakistan, sans demander aucune autorisation ni même aviser ce dernier. Les fonctionnaires américains craignaient à juste titre une fuite d’informations destinée à prévenir Ben Laden et à l’informer d’une attaque imminente. L’intervention a causé l’embarras de l’armée pakistanaise qui a toutefois retrouvé son crédit en qualifiant d’agression gratuite et intentionnelle les attaques portées récemment par l’OTAN.
Les relations entre l’Afghanistan, le Pakistan et les Etats-Unis ont été extrêmement troublées presque sans interruption durant les dix dernières années. La possibilité pour les trois pays d’arriver à réprimer ensemble les extrémistes islamistes opérant dans la région frontalière entre l’Afghanistan et le Pakistan a été considérablement affaiblie par différents facteurs, tels que les conflits qu‘ont connu chacun de ces pays, des priorités très différentes et des hostilités personnelles.
Après l’intervention militaire américaine commencée en automne 2001, les Talibans afghans, avec quelques membres d’Al-Qaeda et d’autres combattants islamistes étrangers, ont positionné leurs bases dans le Pakistan nord occidental, plus précisément dans les Régions Tribales Administrées au niveau fédéral (Federally Administrative Tribal Areas – FATA). Cette région a longtemps profité d’une autonomie presque totale par rapport au gouvernement central d’Islamabad, mais manque nettement d’une représentation politique adéquate et de développement social. La présence d’importantes minorités Pashtoun des deux cotés de la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan (2.430 Km) rend plus facile l’infiltration d’insurgés talibans et beaucoup d’entre eux appartiennent à cette minorité Pashtoun. On estime que 40 à 50 millions de Pashtouns (environ 29 millions au Pakistan et 12.5 millions en Afghanistan) vivent de chaque coté de la ligne Durand qui en 1893 divisait officiellement l’Afghanistan et le Pakistan, alors partie du Raj Britannique. Le gouvernement pakistanais considère cette ligne comme une frontière internationale officielle, alors même que le gouvernement afghan ne reconnaît pas celle-ci.
Les Etats Unis ont adopté plusieurs initiatives dans le but de réduire les tensions entre l’Afghanistan et le Pakistan et d’encourager les deux gouvernements à concentrer leurs efforts communs dans la lutte contre les Talibans et les terroristes d’Al-Qaeda qui opèrent à l’intérieur de leur territoire. En effet, depuis 2001, les Etats Unis ont donné aux gouvernements et aux organisations militaires des deux pays des sommes considérables, ont fourni une formation, de l’équipement et de l’assistance en matière de sécurité. Ils ont en outre concentré leur aide économique directement sur la région frontalière et établi un échange de données sensibles avec les gouvernements afghan et pakistanais. Enfin, les Etats Unis ont cherché à améliorer la collaboration entre les deux gouvernements dans le domaine de la sécurité frontalière. Malgré ces efforts, cette région reste une source très importante de tension dans les relations trilatérales entre les Etats-Unis, l’Afghanistan et le Pakistan.
Un des problèmes persistants dans la relation entre les Etats-Unis et Pakistan est par ailleurs la perception très différente que chacun de deux pays a de la capacité et des intentions de l’autre. Les fonctionnaires des Etats-Unis, leurs alliés afghans et ceux au sein de l’OTAN sont convaincus que l’armée pakistanaise pourrait éliminer les insurgés talibans afghans dans la zone frontalière s’il y avait une forte volonté de sa part d’atteindre cet objectif. Les fonctionnaires pakistanais restent, quant à eux, persuadés que si la coalition agissait de façon forte et unie, elle pourrait facilement avoir raison des guérillas talibanes et ainsi sécuriser la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan par ses propresmoyens. Le fait que la coalition n’opère pas de cette façon suffit à nourrir le soupçon selon lequel les Etats-Unis soutiendraient en secret l’insurrection pour pouvoir continuer à justifier leur présence militaire dans la région. Les pakistanais pensent aussi que l’inefficacité de la politique de l’Afghanistan et de l’OTAN a contribué au développement des Talibans afghans et craignent que des terroristes anti-Islamabad n’attaquent les forces pakistanaises depuis leurs sanctuaires situé en territoire afghan. Ces perceptions discordantes de la situation ont mené à des combats à la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan ; ces derniers ont opposé l’une ou l’autre des armées qui, tantôt, collaborent, tantôt s’affrontent.
Les Américains et les Pakistanais éprouvent ainsi tous deux le sentiment que l’un est ingrat envers l’autre. Alors que les premiers sont convaincus du fait que les Pakistanais les haïssent malgré les milliards de Dollars donnés en aide, les seconds affirment que les Américains ne réussissent pas à saisir et à apprécier les sacrifices qu’ils ont consentis dans la lutte contre le terrorisme. Les Pakistanais voient dans la décision d’Islamabad de se joindre à Washington dans la guerre au terrorisme après le 11-septembre la responsabilité de leurs pertes financières. Le nombre d’attaques-suicides et de morts pakistanais a considérablement augmenté depuis l’opération militaire de Juillet 2007 contre la Mosquée Rouge à Islamabad causée par l’enlèvement de plusieurs citoyens chinois. Les Pakistanais constatent que l’aide des Etats-Unis couvre seulement une petite partie de ces dépenses, et encore plus maintenant que le Congrès vient de réduire le montant des promesses d’aide. Ils voient les critiques actuelles simplement comme un essai de la part de l’Afghanistan et des Etats-Unis de faire du Pakistan le ‘souffre-douleur’ de leur incapacité à retourner ce qui semble être une guerre perdue d’avance.
Les relations risquent de se déteriorer encore dans les deux prochaines années avant de, peut-être, prendre un nouveau cours. Les gouvernements de l’OTAN souhaitent fortement obtenir un équilibre militaire favorable pendant qu’ils ont encore des forces présentes dans le pays. Les fonctionnaires pakistanais vont se préparer à la possibilité que les Talibans puissent reprendre le contrôle d’une partie ou de la totalité du territoire de l’Afghanistan en gardant des liens opérationnels avec le groupe malgré les complaintes des afghans et des Etats Unis à ce propos. Les deux administrations, américaine et pakistanaise, ont intérêt à agir avec force et détermination pour gagner la confiance de leurs électeurs sur ce sujet lors des prochains scrutins nationaux.
Il n’existe malheureusement aucun moyen facile de concilier des priorités si différentes. Les tensions dans la région frontalière entre les Etats-Unis, l’Afghanistan et le Pakistan vont vraisemblablement perdurer, voire s’amplifier au moment du retrait d’Afghanistan des troupes de l’OTAN. L’ISAF, avec le soutien officiel de l’Afghanistan et des Etats-Unis, augmentera sa pression sur les autorités pakistanaises pour empêcher que les Talibans puissent profiter du vide laissé en portant leurs attaques le long de la frontière et causant inévitablement d’autres accidents de feu-ami. La configuration géographique pousse les trois pays à coopérer malgré leurs différences d’opinion sur cette région frontalière. Alors que les forces occidentales sont sur le point de se retirer, il est cependant impératif et urgent de clarifier les règles d’engagement adaptées à une situation en mutation, alors que, dans le même temps, les Talibans se renforcent à mesure que croît le sentiment de frustration du gouvernement pakistanais et de son armée envers les Etats-Unis et l’Afghanistan, ces deux derniers étant pourtant ouverts à la collaboration.