Entretien avec le Général Desjardins (2S) – « Face à la guerre, le pays doit prendre les décisions appropriées. C’est un acte de guerre commis contre les valeurs que nous défendons et ce que nous sommes : un pays libre. C’est un acte de guerre préparé. Planifié de l’extérieur avec une complicité intérieure que l’enquête établira : un acte d’une barbarie absolue. (…) Dans cette période si décisive pour notre pays, j’en appelle à l’unité, au rassemblement, au sang-froid. (…) La France est forte, elle se relève toujours. La France est solide et vaillante et elle triomphera de la barbarie. » (1)

C’est en ces mots que le Président Hollande s’est adressé ce matin à la Nation dans un ton de fermeté contrastant avec l’émotion compréhensible perceptible dans son intervention à chaud cette nuit. L’état d’urgence actuellement mis en œuvre est une procédure remontant à 1955 et souligne la gravité de la situation : la prise de conscience que la France est en guerre. Elle l’est depuis des années aux côtés de ses partenaires de la coalition qui se bat contre le terrorisme depuis des années dans différents points du globe – que ce soit en Afghanistan, au Mali, en Irak ou en Syrie -, mais cette guerre est en cours d’importation sur nos territoires nationaux et au sein de nos sociétés dont la fragilité et la force sont leur attachement à la liberté et à la démocratie.

Nous publions ci-dessous l’extrait de l’entretien introductif de notre nouveau numéro paru hier en vue du Salon Milipol (lequel se tient à Paris la semaine prochaine) réalisé auprès du Général Desjardins (2S), membre de notre Conseil éditorial. Les solutions qu’il décrit, pour la Gendarmerie nationale en particulier, passent par un Etat fort et le développement de moyens dont on puisse se servir, à condition que le cadre juridique se réforme aussi vite que la menace afin d’en faciliter l’emploi. L’Etat d’urgence et les mesures prises cette nuit et ce matin au Conseil de défense et de sécurité reflètent cette nécessité.

Operationnels SLDS 27

EXTRAIT

Général, quelles sont de votre point de vue les réponses à apporter de façon prioritaire face à [la menace actuelle] ?

S’il est très difficile de modifier le “ressenti” collectif, des solutions existent et sont de fait déjà appliquées ou en cours d’élaboration. Pour les responsables de la sécurité aujourd’hui, et plus particulièrement la Gendarmerie, il s’agit d’adopter des postures totalement différentes et de continuer à prendre de nouvelles dispositions de façon à renforcer notre efficacité sur la base de six paramètres majeurs :

1. Un Etat fort et une chaîne de commandement opérationnelle claire

Nécessité faisant loi, les différents acteurs en matière de sécurité ont trouvé leur place, car il en va de la crédibilité et de l’existence de chacun d’entre eux, en ce sens que la menace peut toucher aussi bien une base militaire, qu’un navire, une unité de Gendarmerie, ou une préfecture… Le travail des unités de coordination et l’autorité prise par les Préfets sur l’ensemble des forces de l’ordre témoignent ainsi de la prise de conscience de la réalité de la menace. Les Commandements de groupement de la Gendarmerie, les patrons départementaux de police et les services de secours travaillent en bonne synergie sous l’autorité du Préfet pour détecter les “signaux faibles” indiquant une radicalisation et un risque de dérive terroristes. Une des particularités de la Gendarmerie est le fait qu’elle bénéficie des retours d’expérience acquis hors de métropole (OPEX notamment), lesquels sont pris en compte par la Direction générale. Il faut à cet égard souligner le fait que nous sommes récemment passés d’une Sous-direction de l’organisation et de l’emploi à une Direction des opérations. La sémantique traduit à elle-seule le caractère opérationnel de la direction générale, laquelle intervient directement dans la chaîne de commandement et sur les opérations en liaison avec le centre de renseignement opérationnel d’Issy-les-Moulineaux, qui suit les évènements en direct grâce à un « reporting » effectué en vol stationnaire par les hélicoptères des Forces aériennes de la Gendarmerie nationale. Le Directeur général peut ainsi intervenir dans le cas de grosses manifestations. En ce sens, la DGGN n’est plus une administration centrale, mais est devenue un organe de commandement à la disposition du Directeur général pour la conduite des opérations. Ceci est un élément majeur et c’est ce que fait le Général Favier, de son bureau ou d’un centre opérationnel grâce à une vision instantanée des évènements, comme ce fut le cas pendant Charlie. Nous ne sommes plus dans une culture d’administration centrale, mais d’Etat-major opérationnel, en liaison avec le CPCO (Centre de planification et de conduite des opérations) côté défense, comme cela s’est toujours fait dans le cadre notamment de Vigipirate. Pendant de cette structure de commandement, la réactivité opérationnelle des Gendarmes tient à sa disponibilité: une bonne gestion des effectifs est à cet égard essentielle et pourrait se heurter de plein fouet avec la Directive européenne sur le temps de travail des militaires actuellement en cours de préparation…  On croit rêver !

 2. La protection renforcée du “Primo-intervenant”

Autant pendant la Guerre froide, nous étions dans une logique d’affrontement  militaire un peu classique  – type sabotage par des « spetsnaz » -, aujourd’hui c’est chaque Gendarme qui peut être concerné par un acte terroriste. Avant qu’une division russe n’arrive aux portes de Paris, nous aurions eu des prémices; aujourd’hui un Gendarme peut se trouver instantanément dans la situation de devoir intervenir face à un acte d’une gravité exceptionnelle. La réflexion de la Gendarmerie, grâce à l’expérience du Général Favier, actuel Directeur général de la Gendarmerie nationale (DGGN), s’attache donc à adapter la formation et l’équipement  des primo-intervenants face à un tel défi pour répondre au mieux à la question suivante : comment former nos Gendarmes à une intervention d’un autre type impliquant un usage de la force immédiat et destiné à éviter le sur-attentat ?

 3. L’adaptation d’un cadre juridique approprié

Cette transformation de la posture du Gendarme nécessite une évolution juridique, car nombre de forces hésitent aujourd’hui à sortir leur arme. Les réponses pénales et l’arsenal juridique doivent faire leur propre révolution, non pas sur le principe de légitime défense, mais sur la réactivité qui s’impose aujourd’hui. La dotation d’armes non létales neutralisantes est de ce point de vue une des pistes à explorer. De la même façon, la règlementation juridique qui est en train de se mettre en place est indispensable pour lutter efficacement contre la menace que représente l’existence de quelques 150 à 200 000 drones sur le territoire français susceptibles de violer la vie privée de tout un chacun et de menacer nos institutions, nos sites stratégiques, etc., et contre lesquels aucun mode de représailles n’existe pour l’instant d’un point de vue juridique. (…)

 

Pour lire l’article dans son intégralité >>> http://www.sldmag.com/fr/current-issue/issue/19/operationnels-slds-27-hiver-2015

 

(1) Cité dans : www.lefigaro.fr

Photo: AFP (www.journaldemontreal.com)