Série Les guerrières (4ème article) – Par le Lieutenant-Colonel (ER) Michel Klen – L’utilisation d’enfants, notamment de filles, dans les théâtres d’affrontements reste une pratique courante dans certains pays déchirés par des guerres civiles. Malgré sa dénonciation par l’ONU, ce phénomène révoltant a pris une ampleur inquiétante en Afrique.

Les récents conflits meurtriers en Sierra Leone, République Démocratique du Congo (RDC), dans la région des Grands Lacs, en Angola, au Soudan, au Tchad, en Somalie, en Ethiopie, en Erythrée et dans bien d’autres endroits, ont vu bon nombre d’adolescent(e)s en âge d’être scolarisés enrôlés de force dans des armées et des milices pour pallier la manque d’effectifs militaires.

En Eryrthée justement, une jeune fille, Senait Mehari, a apporté, dans un livre poignant [1], un témoignage bouleversant de l’enfer qui lui a été imposé par des chefs de guerre tyranniques. Cet Etat de la corne de l’Afrique, qui n’a obtenu son indépendance qu’en mai 1993, doit faire face à une situation de tension persistante, ponctuée d’affrontements sanglants avec son voisin éthiopien. D’abord expédiée avec ses deux autres sœurs dans un camp d’entraînement du Front de libération de l’Erythrée (FLE), la gamine arpente ensuite les champs de bataille pour aider les combattants érythréens.

Dans un récit saisissant, elle décrit la vie pitoyable de ces gosses innocentes, toujours accompagnées de leur Kalachnikov, d’une taille presque équivalente à celle des fillettes, et qui doivent survivre avec la peur, la faim, la soif, des conditions hygiéniques calamiteuses, les scènes d’horreur et les pillages imposés par des adultes surexcités et totalement inconscients. Qui plus est, les filles soldats servent d’esclaves sexuelles pour satisfaire les envies bestiales des guerriers. Une fois sortie de cette séquence tragique, Senait a voulu confier ses souvenirs douloureux à une plume littéraire qui s’est employée à exorciser les sinistres images de son enfance confisquée.

Devenue une militante pour la protection des enfants, la jeune miraculée s’est engagée dans des organisations humanitaires (UNICEF, Terre des hommes) pour porter le cri de détresse de tous ces petits martyrs, bellicistes malgré eux. Mais c’est par la chanson que Senait a donné une plus grande force à son message. Devenue une chanteuse à succès en Allemagne, son pays d’accueil, la jeune Erythréenne a gagné une notoriété qu’elle utilise pour faire connaître, avec une émotion impressionnante, la cause des enfants soldats. La chanson, c’est la nouvelle voix de son âme.

Le cinéma a aussi dénoncé le drame de ces enfants incorporés de force dans des unités militaires. L’écrivain franco-américain Jonathan Littell, prix Goncourt en 2006 pour son roman Les bienveillants (Gallimard), s’est penché sur le parcours terrible des enfants soldats en Ouganda dans un documentaire réalisé en 2017, Wrong Elements. Dans ce long métrage, il rapporte les témoignages déchirants de quatre adolescents, dont deux fillettes, Nighty et Lapisa, enlevées à 12 ans et embrigadées dans la LRA (Lord Resistance Army, l’armée de résistance du Seigneur, une secte guerrière qui se livre à des massacres dans le Nord du pays au nom de « la lutte contre la corruption, les péchés et l’immoralité »). Nighty fut « épouse de guerre » de Joseph Kony, le chef militaire de la LRA qui lui fit un enfant, puis donnée, comme sa compagne Lapisa, à un autre soudard.

Aujourd’hui, ces jeunes femmes, sorties de l’enfer, tentent de se reconstruire avec l’aide d’ONG. Témoins et actrices d’exactions qui les dépassaient, elles craignent de rester pour longtemps ces Wrong Elements, ces mauvais sujets que la société aura beaucoup de mal à accepter et à réintégrer. Et c’est dans ce constat effarant que réside toute la problématique de réinsertion des filles soldats. Ces pauvres victimes sont-elles condamnables ? Sous la contrainte, elles ont participé à des carnages. Mais elles ont été aussi humiliées en endurant des sévices épouvantables. Elles n’étaient que des enfants lorsqu’elles ont fait l’apprentissage du crime. Cette circonstance atténuante est-elle suffisante pour atténuer les désirs de vengeance des familles des victimes massacrées ?

Les Nations unies ont tenté d’apporter une réponse à cette question pathétique. Le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR) et l’organisation Save the Children ont lancé un protocole de traitement des enfants soldats visant à les insérer dans un programme DDR (désarmement, démobilisation, réinsertion). Un volet prévoit notamment une aide aux familles pour favoriser la réintégration sociale des adolescents par un cursus de formation professionnelle.

 

[1] Coeur de feu, mon enfance assassinée, Archipel, 2008

Photo extraite de la bande annonce du documentaire “Wrong elements”, sorti en février 2017 (>>> http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=230806.html)