Texte et photos par le lieutenant-colonel (R) Pascal Podlaziewiez    

 

Depuis 1945, Gramat, commune du Lot, accueille le Centre National d’Instruction Cynophile de la Gendarmerie (CNICG), en lieu et place du centre hippiquedu Ségala. Les animaux font partie intégrante du paysage gramatois. Pour les villageois, le centre est familièrement appelé « le chenil ». Installé sur 14 hectares et avec un terrain de 200 ha à douze kilomètres, cette unité a pour devise  « Toi, moi, pour eux ». « Toi », pour le chien, « moi » pour le gendarme et « eux » pour le reste du monde. Ouvert sur l’extérieur, le centre accueille tous les jeudis après-midi de mi-juin à fin août les visiteurs qui viennent assister à des démonstrations. Un grand engouement pour les spectateurs de la région mais aussi de passage ainsi que de nombreux étrangers en vacances dans les gorges du Lot.

Le centre a deux missions distinctes, une de formation et l’autre opérationnelle du fait de la présence du Groupe National d’Investigation Cynophile (GNIC). Cette unité spécialisée est engagée dans le cadre de la recherche de restes humains, de traces de sang humain et de produits accélérateurs d’incendies criminels. Dernièrement ce sont des équipes de ce groupe qui ont découvert les restes du corps du caporal Arthur Noyer du 13eme BCA et de la petite Maelys. Ils interviennent en métropole, comme en Corse ou dans les départements et territoires d’Outre-Mer mais également à l’étranger. Mais revenons à la formation. Le centre dans ce cadre doit :

  • recruter, mettre en condition (débourrage) et suivre sur le plan médical l’ensemble des chiens qui entrent en formation ;
  • sélectionner, orienter, constituer des équipes;
  • former en théorie et en pratique des maîtres de chien ;
  • assurer la surveillance technique et les résultats des équipes opérationnelles ;
  • assurer la formation continue des personnels instructeurs militaires et civils du centre.

Des hommes et des chiens

Pour mener à bien ces missions, le centre dispose de 80 personnels, y compris des civils fonctionnaires ou ouvriers d’état, ainsi qu’un vétérinaire mis à disposition par le service de santé des armées. Toute l’année, le centre vit au rythme des stagiaires arrivant de toutes les régions de gendarmerie, y compris d’outre-mer. Viennent également en formation des militaires des armées, mais aussi des agents cynophiles de la SNCF par exemple. Le centre forme aussi des stagiaires étrangers comme dernièrement des gendarmes maliens.

Avant de commencer la formation des maîtres de chien, le centre a la lourde tâche de recruter des chiens. Par an ce sont plus de 500 chiens qui passent les portes du chenil. Ces chiens viennent de particuliers (75%) ainsi que de chenils d’élevage. Le maillage de la gendarmerie fait qu’il y a des « recruteurs » partout en métropole. Ils ont entre 10 mois et 24 mois. Outre l’état de santé (25% sont refusés, la cause principale étant la dysplasie de la hanche), les instructeurs recherchent des chiens sociables vis-à-vis des hommes, ayant un fort attrait pour le jeu, équilibrés et stables dans leurs comportements, ayant une faible sensibilité aux bruits et aux éléments extérieurs (peur des coups de feu, foule…), avec une aptitude au mordant.

Durant des années le recrutement concernait essentiellement le berger allemand. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Le berger belge (Malinois) représente 75% du cheptel. Ce chien à l’avantage d’être polyvalent et s’adapte très facilement aux spécificités recherchées. A ses côtés on trouve également des bergers hollandais. Depuis quelques années une nouvelle race prend une place grandissante du fait de son flair hyper développé par rapport à ses congénères et sa durée dans l’action : le saint Hubert. Un chien traditionnel dispose de 200 millions de cellules olfactives (soit 5 fois plus qu’un homme), le saint Hubert, chien de chasse de prédilection, dispose lui de 300 millions de ces cellules. De même les chiens de grandes tailles sont plus endurants. Autre chien de chasse, plus surprenant du fait de son petit gabarit à côtés des grands chiens du chenil, le Springer-Spagneul anglais. Plus petit, il a l’avantage de par sa taille et son poids d’être plus facilement transportable, voir portable dans certains cas, doté d’un excellent flair il est un des fleurons du groupe national d’investigation cynophile.

Une fois sélectionné, le chien va suivre un débourrage durant 3 mois avant de se voir attribuer un maitre. Toute la formation est basée sur le jeu. Le chien ne travaille pas, il joue. Pour exemple dans le cadre de la recherche d’explosifs, son jouet, un tube dans lequel de la matière explosive est intégrée dans un tube spécifique qui sert de jouet et le chien va l’associer l’odeur au jeu. Ainsi lors d’une recherche opérationnelle, le chien va rechercher l’odeur mémorisée afin de pouvoir jouer.

Le besoin du centre est d’une centaine de chiens par an.

« Un chien n’a qu’un but : offrir son cœur. Du degré de votre relation dépendra l’efficacité de votre travail. »

Aujourd’hui le centre travaille sur la possibilité de créer une nurserie afin de pouvoir assurer une lignée de chiens correspondant plus aisément aux critères recherchés.

Les stagiaires quant à eux, après avoir fait acte de volontariat auprès de leur hiérarchie, sont sélectionnés sur leur dossier militaire, doivent répondre au minima physique demandé, et sont évalués lors d’un entretien préliminaire. Une fois retenus, ils débutent un stage de 14 semaines. Après les deux premiers jours, les futurs maitres de chien rencontrent leur compagnon, au cours de la cérémonie solennelle du « mariage ». A partir de cette union, le couple vivra pendant sept à huit ans ensemble. Un chien est généralement « réformé » dans sa neuvième année et en fonction du travail qu’il aura effectué. Dès lors « le cœur du chien va battre au diapason de celui du maître».

Le stage de formation initiale n’est pas le seul stage dispensé par le centre. Le centre assure le recyclage de ses maîtres de chien sur une durée de 4 semaines, la formation de suppléants maîtres de chien- gendarmes auxiliaires qui seconde les maîtres de chien, ainsi que des stages à la carte pour des personnels de l’interarmées, des forces étrangères et des formations spécialisées pour la gendarmerie (avalanches, GIGN…).

Aujourd’hui la gendarmerie dispose de 467 équipes cynophiles et 562 chiens opérationnels.

Avec un bilan de plus de 4 000 engagements pour la recherche de personnes, près de 11 tonnes de drogues (dont 10 tonnes de cannabis), plus de 900 armes et 60 000 munitions découvertes, les équipes cynophiles de la gendarmerie œuvrent au quotidien pour la sécurité de nos concitoyens.

Le nouveau dispositif cynophile de la gendarmerie doit, à terme, atteindre :

  • 41 groupes d’investigation cynophiles ;
  • 525 équipes cynophiles ;
  • 645 chiens.

Technicités et missions

Au centre on ne parle pas de spécialités, mais de « technicités ». Au nombre de 16, elles se déclinent de la façon suivante :

  • piste unique ;
  • piste défense ;
  • piste avalanches ;
  • piste saint-Hubert
  • garde patrouille ;
  • assaut (GIGN) ;
  • recherche de restes humains ;
  • recherches d’armes et de munitions ;
  • recherches de produits stupéfiants/uniques ;
  • recherches de produits stupéfiants/défense;
  • recherche d’explosifs ;
  • recherche de produits accélérateurs d’incendie.
  • Recherche de billets de banque
  • SAMBI : chien qui recherche trois produits différents : stupéfiants, armes, munitions et billets de banque
  • Recherche explosif sur personne en mouvement
  • Médiation canine (en expérimentation)
  • Médiation au profit des victimes (en expérimentation)
  • Chien de recherche en olfaction criminelle (projet CROC)

Outre les missions traditionnelles de sécurité, connues par tous, le centre est le seul en Europe à développer une nouvelle technicité : la recherche d’explosif sur personnel en mouvement (REXPEMO). Il s’agit pour un chien dans une foule, au sein d’une enceinte sportive, sortie de métro, … de flairer un porteur de substances explosives sans pour autant arrêter les personnes dans leur mouvement. Le chien « scanne » les personnes passant devant lui ou en passant devant elles en les flairant. Dès qu’une odeur d’une substance en sa mémoire, le chien va « désobéir positivement » à son maitre et venir se placer devant la personne suspecte. A ce moment un agent va procéder au contrôle. Très efficace, déjà mis en œuvre lors de l’Euro de football en 2016, cette technicité mise au point par un des instructeurs civils du centre (les personnels civils représentent 30% des personnels du centre) est en forte augmentation du fait du contexte sécuritaire du moment. Les pays étrangers sont très intéressés par cette capacité technique.Même si le dicton dit que l’argent n’a pas d’odeur, ce n’est pas la réalité. En effet, les encres, le papier ont tous une odeur et le chien les perçoit très bien. Dans le cadre de la lutte contre le blanchiment, le centre forme des chiens à la recherche des billets de banques. Qu’ils soient neufs ou déjà manipulés par de nombreuses personnes même souillés par diverses matières, le chien est capable de détecter des billets dissimulés. En 2016 c’est plus de 20 millions d’euros ainsi découverts et en 2017 plus de 10 millions.

Autre nouvelle mission et savoir-faire : la médiation canine. Deux types de médiation: la médiation canine au profit des délinquants et l’assistance judiciaire des victimes.

Pour les auteurs d’infractions, il s’agit de primo-délinquants mineurs ou jeunes majeurs. Ils suivent un stage d’une demi-journée afin de leur faire comprendre que la violence se maitrise. Après avoir pris contact avec le chien, le jeune va travailler en obéissance et aussi à la recherche d’objet. Le but est de faire comprendre qu’un chien a la capacité de maîtriser sa force (par l’obéissance), pour l’individu c’est la même chose. Tous les jeunes font l’objet d’un suivi sur deux ans pour évaluer l’efficacité du dispositif. Cette action ne peut être faite que sur décision du procureur de la république et accord du délinquant.

La médiation au profit des victimes est une technique en provenance des USA et du Canada. Elle consiste à mettre auprès d’une victime de violences physiques ou sexuelles en lui mettant auprès d’elle un chien spécifiquement dressé pour la mission d’assistance. Le chien est là pour absorber les tensions générées par l’infraction. Le chien va ensuite assister la victime tout au long du procès-verbal.En confiance, la victime sera plus loquace et apportera plus de détails de son agression. Pour ces chiens, la formation est de 2 ans et le centre travaille en collaboration avec Handi-chien pour leur savoir-faire dans cette formation.

Le suivi médical et la retraite des chiens

Avec un vétérinaire et une assistante, le centre vétérinaire est doté de tous les moyens permettant le suivi médical et les soins des chiens du centre. De la simple visite à l’opération sous anesthésie, en passant par la partie dentaire la vétérinaire du centre a une tâche incontournable et un emploi du temps très chargé. Tous les chiens qui entrent au chenil sont d’abord mis en quarantaine afin d’y être évalués sur le plan médical (ils ne sont pas en contact avec les chiens en cours de formation). Une fois retenu, le chien sera durant tout son séjour au centre pris en compte au moindre symptôme par le service. L’affectation d’un second vétérinaire ne serait pas du superflu aux vues de la charge de travail.

Après avoir servi avec honneur et fidélité, les chiens avant leurs dix ans bénéficient d’une retraite bien méritée. Pour cela en quasi-totalité les maîtres gardent leur chien à leur côté. Pour les quelques autres (environ 1%), des volontaires (dont la liste d’attente est longue) peuvent acquérir un compagnon.

Mais la vie n’est pas éternelle même pour ces chiens. Le centre a créé il y a quelques années un jardin du souvenir destiné à les accueillir dans leur dernière demeure. Les chiens qui ont été décorés durant leur carrière reposent individuellement sous une plaque où sont inscrits sont leur nom et leur matricule. Pour les autres les cendres sont déposées dans une fosse commune. Tous ainsi reposent près de la stèle de Gamin, la légende des chiens de la gendarmerie.

En 1960, durant la guerre d’Algérie, son maître Gilbert Godefroid, mortellement blessé, Gamin lui grièvement blessé veillera sur le corps de son maître afin que les rebelles ne se saisissent pas du corps. Affecté par cette épreuve, Gamin décédera deux ans plus tard.