(Partenariat universitaire UTT) – Par Benjamin Gidelle, Tanguy Martin et julien Heckler, étudiants à l’Université de Troyes (UTT)

En quoi la situation du Golfe d’Aden reflète-elle l’ordre des grandes puissances mondiales ?
(Seconde partie)

 

III. Le Golfe d’Aden : un espace d’expression pour les puissances mondiales

1. Un reflet de la hiérarchie des Grandes Puissances

Au début des années 1950, la France demeure à Djibouti et l’armée britannique stationne à Suez et à Socotra jusqu’en 1967. Dans le contexte de la Guerre Froide, le premier ministre britannique Harold WILSON décide d’abandonner les bases militaires qu’il possédait, notamment à l’Est de Suez. Ces décisions permettent le rapprochement du pays auprès du monde capitalise. Mais l’actuel ministre britannique de la Défense veut rompre avec cette politique mise en place dans les années 60 et a révélé que la Grande Bretagne allait établir de nouvelles bases militaires en Outre-mer , à l’Est de Suez. L’objectif est que la Grande Bretagne devienne un acteur mondial militaire tandis qu’elle vient de quitter l’Union Européenne, caractérisant ainsi ses motivations à être présent dans le Golfe d’Aden.
En 1967, l’Union Soviétique soutient Nasser dans son blocus du canal de Suez, mais ses ambitions se heurtent aux royalistes qui reçoivent l’appui des Saoudiens. Désormais, tous les États nouvellement indépendants se trouvaient contraints de se ranger dans un des deux camps. En effet, le Somaliland britannique, indépendant en 1960 et uni à la Somalie ex-italienne ; et le Kenya, en 1964, se rangeaient du côté du « monde libre », tandis qu’apparaissait la République démocratique populaire du Yémen. Mais en 1969, le général Siyaad Barre s’empare du pouvoir et aligne la Somalie sur l’URSS.
Deux blocs se distinguaient dans le Golfe d’Aden, séparés par la mer Rouge et le Golfe d’Aden, comme de chaque côté du mur de Berlin, illustrant ainsi le monde bipolaire de la Guerre Froide. Le Golfe d’Aden était donc le foyer des hyperpuissances .
Depuis la fin de la guerre froide, les États-Unis, première puissance mondiale, sont présents dans le Golfe d’Aden afin d’assurer la sécurité des routes maritimes, et de lutter contre le terrorisme, notamment depuis les attentats de 2001, tout en exploitant les gisements pétroliers. En effet, l’arrivée japonaise à Djibouti en 2011 ainsi que l’implantation chinoise dans le Golfe d’Aden en 2008 s’avèrent être des obstacles au rayonnement militaire des États-Unis. Or, le contexte de Guerre Froide a ralenti les échanges commerciaux issus du continent asiatique, alors que toujours plus de navires pétroliers souhaitaient emprunter le passage.
La République Populaire de Chine justifie sa présence par le désir de sécurisation de la zone, mais aussi dans un intérêt économique. Il est vrai qu’en 2013, le président Xi Jimping lance le projet de routes de la soie. Ce projet, symbole de la puissance chinoise correspond à une ceinture terrestre et maritime reliant la Chine à l’Europe Occidentale. Du point de vue des chinois, ce système profiterait à tous les pays accepteurs du projet. Cependant, les pays d’Europe Occidentale étant réticents, la Chine éprouve des difficultés à le concrétiser. C’est pourquoi, par sa présence dans le Golfe d’Aden, et par sa participation à l’éradication de la piraterie, cette grande puissance espère se mettre en avant et se crédibiliser aux yeux d’autres pays comme la France par exemple.
Ce dernier, cinquième puissance militaire mondiale, est aussi présent sur les rivages du Yémen malgré les propos de Florence Parly, ministre des armées, ayant déclaré ne pas avoir « connaissance du fait que des armes françaises soient utilisées directement dans ce conflit » , opposant les Houtis du Yémen et l’Iran à l’Arabie Saoudite, l’ONU, et la république du Yémen. Cependant, il a été révélé que deux navires vendus par la France à l’Arabie Saoudite sont utilisés pour le blocus maritime du Yémen. D’un point de vue aérien, la DRM (Direction du Renseignement Militaire) a rappelé que des Mirages 2000 livrés par la France aux Émirats Arabes Unis sont employés au Yémen.
Par ailleurs, deux autres puissances mondiales, que sont le Japon et l’Inde, s’associent pour créer une route qui leur est propre, appelée « Route de la Croissance Asie-Afrique », et ainsi faire concurrence à la Chine. Leur présence maritime dans le Golfe d’Aden leur permet d’assurer une surveillance de l’activité économique chinoise. Le premier ministre indien a déclaré que l’Afrique serait son principal partenaire dans les années à venir .
Le Japon, septième puissance militaire mondiale, est devancé militairement par son voisin la Chine (3ème puissance militaire mondiale). Or, le Japon se veut leader militaire de la péninsule asiatique. Ainsi, Tokyo a commencé à augmenter son budget militaire. Par exemple, en décembre 2018, le ministère de la Défense a annoncé que les deux plus grands navires de guerre du Japon deviendraient aussi des portes avions. Le Japon souhaite donc concurrencer la Chine, notamment en montrant sa présence militaire dans des zones majeures dans l’économie mondiale, comme ici au Golfe d’Aden.
Ainsi, les sept plus grandes puissances mondiales sont toutes présentes dans le Golfe d’Aden, toutes pour des raisons économiques et/ou militaires. Ce foyer est aussi mondialement connu, permettant ainsi de mettre en avant le rayonnement militaire de chacun des pays présents, et donc augmenter leur pouvoir. Mais au-delà de leur présence, ces pays doivent lutter contre la piraterie qui sévit dans le Golfe d’Aden, en assurant un équilibre encore trop précaire.

2. Un équilibre précaire : la piraterie contenue, mais pas totalement éradiquée

La moitié des hydrocarbures dans les échanges mondiaux passe par le Golfe d’Aden. Face à ce constat, les pirates ont élargi leur rayon d’action jusqu’au milieu de l’océan Indien. En 2008, la piraterie atteint son apogée.
L’OTAN, jusqu’alors engagée en Afghanistan, mobilise des forces maritimes dans l’Océan Indien pour lutter contre ces actions de non-droit. En plus de leurs motivations personnelles, la Russie et la Chine ont rejoint le Golfe suite aux attaques récurrentes sur leurs navires. D’autre part, les pays comme la France, présents à Djibouti, assurent la surveillance du Golfe d’Aden, toujours dans un but de dissuasion de la piraterie.
Les pirates, pour la plupart somaliens, sont des exemples de réussite dans un pays où le contexte humanitaire est problématique. C’est d’ailleurs de par ce contexte, et celui des pays voisins comme le Yémen, que ces pirates, ont autant de facilités à se procurer des armes. Cette crise humanitaire provoque des migrations de somaliens vers la péninsule arabique, et donc une activité maritime continue.
Par ailleurs, l’opération navale Atalante est une opération militaire lancée par le Conseil de l’Union Européenne fin 2008, dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Ses objectifs s’articulaient en trois axes : protéger les navires du Programme Alimentaire d’Aide (PAM) destiné au Yémen et à la Somalie puis protéger les navires étrangers destinés aux échanges commerciaux. Enfin, Atalante avait un but de dissuasion de la piraterie. Cette coopération internationale, mais à l’échelle européenne, ne s’est pas avérée efficace pour éradiquer la piraterie au large des côtes somaliennes et dans le Golfe d’Aden. Ceci remet donc en question les formes de collaborations internationales et donc la puissance des pays participants dont la France. L’article de presse « Au large de la Somalie, la piraterie contenue mais pas éradiquée » issue du journal La Croix , correspondant au point de départ de cette étude, affirme que les chiffres liés à la piraterie, comme le nombre d’otages ou le nombre de bateaux détenus par les pirates est « tombé à zéro ». A contrario, le même article stipule que la piraterie est toujours présente, avec des attaques de navires de commerce en baisse certes. Selon un article de presse du Parisien, la piraterie est au plus bas depuis 22 ans à travers le monde.
Cela peut amener à se demander si la situation est encore susceptible d’évoluer, et ainsi, faire disparaitre la piraterie dans le Golfe d’Aden. D’ailleurs, l’opération Atalante ne concerne que des pays européens mais qu’en est-il des grandes puissances comme les États-Unis, la Russie, la Chine l’Inde ou encore le Japon ? Même s’ils ont des intérêts communs à être présents dans cette zone d’échanges, il est vrai que l’alliance militaire qu’est l’OTAN, n’a pas non plus été en mesure d’éradiquer la piraterie. Cela peut remettre en question deux éléments, soit la capacité de ces pays à dissuader, et donc leur puissance militaire ; ou, leur volonté d’éradiquer cette piraterie. Il en est de même pour les pays vus précédemment, présents indépendamment des opérations dans le Golfe d’Aden. En effet, ce foyer de tensions permet à chacune de ces puissances de rayonner militairement, permettant ainsi une démonstration de force par la dissuasion.

CONCLUSION

Cette analyse des différents conflits et des problématiques présentes dans cette région du monde, bordant le Golfe d’Aden, permet de mettre en exergue la place prépondérante de ce lieu stratégique pour le commerce mondial.

En effet, les nombreux conflits et la grande déstabilisation au sein des pays voisins ont conduit à l’émergence d’activités de pirates envers les nombreux transports marchants passant dans cette zone maritime. Ces pirates, ayant comme objectif soit de survivre en récupérant des vivres ou des rançons afin de financer des activités de terrorisme, sont majoritairement issus de la Somalie et du Yémen. Leurs activités ne cessent de diminuer. En effet, la présence militaire des grandes puissances permet de diminuer leur action dans la région.

Au travers leur présence, les six plus grandes puissances mondiales envoient un message clair : le Golfe d’Aden et son détroit ne seront pas une zone de non-droit.

Cependant, malgré les nombreuses forces militaires présentes, la piraterie n’est toujours pas éradiquée. En effet, les différents états impliqués semblent seulement colmater le problème sans le traiter à sa source. Cette situation peut ainsi laisser l’impression que l’instabilité présente au sein de ces pays frontaliers et du Golfe d’Aden semble convenir aux plus grands de ce monde. En effet, avec cette situation d’absence de puissances régionales, le risque d’ingérence et de fermeture du détroit de Bab-el-Mandeb diminue très fortement.

Ainsi, le Golfe d’Aden semble être le lieu propice afin de faire valoir sa puissance militaire dans un conflit non-ouvert, tout en maintenant une présence pour les plus grandes puissances dans cette région du monde fortement stratégique.


Photo ©  http://crfimmadagascar.org/violent-acts-at-sea/ops-golf-daden-alerte-piraterie/ 

Références 

  • Article de l’observatoire du Qatar sur les acteurs en présence au Golfe d’Aden – Mercredi 31 Octobre 2018 – https://www.observatoire-qatar.com/troisquestions-a/item/1008-geopolitique-de-la-corne-de-l-afrique-quels-acteurs-en-presence-pour-quelles-rivalites-entretien-avec-marc-lavergne
  • Cartes des ressources naturelles et économiques de la Somalie – http://www.cosmovisions.com/Somalie-Carte-Agriculture.htm – http://www.cosmovisions.com/Somalie-Carte-Economie.htm
  • Rapport nationale de l’UNICEF à Djibouti, étude mondiale sur la pauvreté et les disparités chez les enfants 2016.
  • Rapport Assemblée Nationale « La situation sécuritaire dans les pays de la zone sahélienne » par Hubert Ledoux – 20 mars 2012 consulté en mars 2019 https://associationcorens.wordpress.com/2012/03/20/la-situation-securitaire-dans-les-pays-de-la-zone-sahelienne/
  • Décret n° 2014-484 du 14 mai 2014 portant publication du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti, signé à Paris le 21 décembre 2011 et publié au JORF le 16 mai 2014 page 8113.
  • Rapport Géopolitique du Centre d’étude stratégiques de la Marine, Brèves marines, n°224 de juin 2019 http://cesm.marine.defense.gouv.fr/index.php/18-accueil/132-breve-marine-n-224-ethiopie-les-ambitions-maritimes-d-un-etat-enclave
  • Mémoire « Les littoraux djiboutiens entre enjeux économiques et risques environnementaux » https://www.memoireonline.com/01/18/10200/m_Les-littoraux-djiboutiens-entre-enjeux-economiques-et-risques-environnementaux-le-golfe-de-Tadjou17.html
  • La piraterie dans le golfe d’Aden : les puissances désarmées : https://www.cairn.info/revue-herodote-2009-3-page-107.htm
  • Rapports d’incidents sur des actes ou tentatives d’acte la piraterie, de l’Organisation maritime internationale (OMI) publie depuis 1982
  • GUIDANCE ON MARITIME SECURITY TRANSIT CORRIDOR – https://associationcorens.wordpress.com/2012/03/20/la-situation-securitaire-dans-les-pays-de-la-zone-sahelienne/
  • Le Royaume-Uni envisage d’établir des bases militaires dans les Caraïbes et en Asie du Sud-Est : http://www.opex360.com/2019/01/02/le-royaume-uni-envisage-detablir-des-bases-militaires-dans-les-caraibes-et-en-asie-du-sud-est/
  • Armes françaises au Yémen, le document missile : https://www.liberation.fr/planete/2019/04/15/armes-francaises-au-yemen-le-document-missile_1721550
  • La sécurisation du Golfe d’Aden, un manque de coopération évident : https://medium.com/caium/la-sécurisation-du-golfe-daden-un-manque-de-coopération-évident-12edde99ccc6
  • Au large de la Somalie, la piraterie contenue mais pas éradiquée : https://www.la-croix.com/Monde/Afrique/Au-large-Somalie-piraterie-contenue-pas-eradiquee-2018-12-16-1200989913