Louis IX sera couronné roi de France à l’âge de douze ans. C’est donc sa mère, Blanche de Castille qui assurera la régence jusqu’à la majorité du souverain. En fait, l’ombre de Blanche planera toujours sur Louis IX tant l’influence qu’elle exercera sur son fils sera puissante. C’est notamment cette dernière qui fera de  Louis IX l’homme pieux et le chrétien qu’il fut. En effet, Blanche éduquera son fils dans la plus stricte éducation chrétienne. Il convient en effet d’avoir à l’esprit qu’outre son souci des plus humbles et son sens de la charité, Louis IX se levait chaque matin pour chanter matines et portait un cilice sur le corps…

A l’instar de ce que connaîtra quelques siècles plus tard son successeur Louis XIV, la prise de fonction du futur Saint Louis ne se fera pas sans heurt, ni contestation de la part des grands du royaume  dont la convoitise fut attisée par le fait qu’un enfant et qu’une femme soient amenés à exercer la puissance royale. Ainsi le règne de Saint Louis fut un règne de conflits et de guerres autant au sein des frontières qu’à l’extérieur de ces dernières, Louis IX ayant participé à deux croisades et ayant du lutter contre deux coalitions de la part de ses grands vassaux. Dans le contexte de ce que certains historiens nomment la « première guerre de Cent ans », Louis IX va donc devoir batailler une seconde fois pour la sauvegarde de son trône en 1242 lors de la bataille de Taillebourg, lieu de passage stratégique situé entre le nord de la France et le sud, et matérialisé par un pont construit sur la Charente.

En ce mois de juillet 1242 les troupes capétiennes du roi de France Louis IX et de son frère le comte de Poitiers s’opposent à celles d’Hugues X, baron poitevin, seigneur de Lusignan, allié à Henri III d’ Angleterre. Comment en est-on arrivé là? En 1240, le comte de Poitiers, frère de Louis IX, prend possession de son fief et reçoit à cette occasion l’hommage des seigneurs de la province, dont celui Hugues X de Lusignan qui n’accepte pas, comme d’autres seigneurs poitevins, la perte d’autonomie que signe pour lui la prise de contrôle de son comté par le frère du roi de France. Lors de Noël 1241, Hugues X de Lusignan décide donc d’insulter publiquement le comte de Poitiers dans son palais, trouvant ainsi un prétexte à une guerre déclarée. Immédiatement, Louis IX décide de répondre à l’affront aux côtés de son frère et vient lui porter secours avec une armée de trente mille hommes composée de chevaliers, de fantassins et d’engins de siège. Après une série de victoires, les frères capétiens réussissent à s’emparer du château de Montreuil-Bonin, ainsi que de Vouvant et Fontenay-le-Comte. De son côté, le roi d’Angleterre, Henri III, a débarqué à Royan à la mi-mai, décidé  à porter assistance à son parent, Hugues de Lusignan. Tout est donc réuni en ce début juillet pour qu’ait lieu l’affrontement décisif entre les deux camps.

La bataille

Hébergé au château de Taillebourg, Saint louis se prépare à ce qu’il pressent être l’ultime affrontement de cette campagne. Le 19 juillet, les deux armées se font face de chaque côté du pont. Après deux jours d’attente et d’observation, Louis IX décide de mener une charge en s’élançant des hauteurs du château. Surpris et dépassés par la violence de cette dernière, Hugues X et Henri III décident de se replier. Fort de cet avantage et galvanisé par l’audace de ce premier succès, Louis IX conduit son armée jusqu’à Saintes où la coalition anglo-aquitaine est battue de nouveau et de manière définitive. Fort de cette victoire, Louis IX assoira durablement son autorité sur le royaume de France et ne connaîtra plus de véritables troubles intérieurs jusqu’à la révolte des pastoureaux que sa mère, Blanche de Castille réprimera très durement son fils étant parti en croisade.

Fidèle à sa réputation d’homme juste et de chrétien fervent, Louis IX ne cherchera pas à humilier ses ennemis et se montrera particulièrement conciliant envers Henri III. Saint Louis restituera en effet à ce dernier les terres dont il n’est pas sûr que la conquête ait été parfaitement légitime : Quercy, Limousin et Saintonge. Le geste est aussi politique et à visée diplomatique, mais Louis IX, qui a été éduqué dans une grande piété, est un homme soucieux de paix et profondément tourmenté par l’idée de pêché. Il lui répugne donc de profiter d’une situation et un conflit entre frères chrétiens est pour lui une vraie blessure. Hugues X payera de son côté un tribut plus lourd que son allié et sera autorisé à conserver, in fine, deux tiers de ses possessions, Louis IX souhaitant avant tout s’assurer de mettre hors d’état de nuire ce seigneur rebelle. Alors qu’une trêve de cinq ans est signée à Pons le 1er août 1242, il faudra attendre le 4 décembre 1259 (Traité de Paris) pour qu’une paix plus durable soit conclue avec l’Angleterre.

Postérité

La bataille de Taillebourg est moins célèbre que la participation de Saint Louis aux Sixième et Septième croisades, ainsi que sa mort en 1270 sur la route de la Huitième croisade. De fait, la postérité de cette bataille est surtout due à la peinture qu’en fit Eugène Delacroix dans son tableau au titre éponyme datant de 1837. Dans cette œuvre épique, l’Histoire est mise en scène au service du renforcement du sentiment patriotique et de la grandeur de la figure du roi. Louis IX, figurant au cœur du tableau, y est dépeint dans un élan fougueux et téméraire face aux Anglais et se pose comme garant de l’unité nationale. A l’époque où Delacroix peint ce tableau, la France tente de se remettre d’une série d’alternances de régimes politiques comme jamais elle n’en avait connu de toute son histoire, étant passée en l’espace d’une cinquantaine d’années d’une monarchie à une république, puis un directoire, un consulat, un empire, une restauration et une monarchie plus constitutionnelle avec l’avènement du règne de Louis-Philippe, roi des Français suite à la chute de Charles X. L’ambition de Delacroix est bien de donner corps à ce sentiment d’unité de la Nation incarnée en la personne de son souverain Louis IX, dont le choix est tout sauf innocent tant ce dernier demeure dans l’inconscient collectif comme ayant été un souverain pieux, soucieux des humbles et de justice et est entré dans l’Histoire autant comme un Roi que comme un Saint.

C’est ce contraste entre le souvenir de Saint Louis et sa représentation sur la toile qui est aussi saisissant, loin de l’image d’Epinal du Saint Louis charitable fondateur d’hospices ou du roi rendant la justice paisiblement sous un chêne, mais bien face à un guerrier entraîné dans le torrent de la bataille, défendant âprement son pays, à l’allure redoutable et paraissant des plus téméraires. Toute la lumière de la toile, éminemment romantique dans sa composition, émane de la monture de Louis IX. C’est une projection de lumière qui déchire le voile des ténèbres dont la noirceur domine la toile. Ce tableau est donc une allégorie à maints titres et donne un sens neuf à la bataille de Taillebourg. Comme toujours, la postérité de cette dernière démontre que l’écriture de l’Histoire, fut-elle via une œuvre picturale, donne sens à l’action politique…

Illustration telle que reproduite sur le site: https://www.flickr.com/photos/magika2000/9081279649