Par Murielle Delaporte – IV – « Renverser cette spirale destructrice » : les défis à relever
La reconnaissance de l’interdépendance des crises économique et sécuritaire a entraîné de nombreuses initiatives, telle la nomination par l’ONU d’un coordinateur pour le développement[1]. Signe positif : le volume de récoltes de denrées alimentaires devrait augmenter en 2021, mais en raison de l’insécurité la famine menace de s’agraver d’après nombre d’observateurs[2]. Réchauffement climatique, surpopulation et dysfonctionnement de l’Etat contribuent à accroître les tensions dans cette partie du monde nées de rivalités intercommunautaires ancestrales et exacerbées par les groupes terroristes[3].
Sécurité et développement doivent aller de pair – notamment en ce qui concerne le remplacement concret de traffics illégaux lucratifs faisant vivre des populations prises en étau et dont le soutien – et donc la protection renforcée simultanée – sont indispensables pour lutter contre les terroristes -. Il est cependant clair qu’aucun investissement en matière de développement[4] n’aboutira à terme si les conditions sécuritaires ne sont pas suffisantes dans une zone où le premier ennemi est l’immensité territoriale. Investir sur longue durée dans les capacités de la FC-G5 Sahel est le seul moyen de ne pas perdre le bénéfice de la stratégie menée depuis quelques années dans cet arc d’instabilité[5], alors que les opérations sur le terrain se succèdent depuis des mois et ont déjà permis d’affaiblir de façon spectaculaire les groupes armés soutenus par l’EIGS (Etat islamique au grand sahara)[6].
Opérations de la Force conjointe du G5 Sahel en 2019 et 2020 © FC-G5Sahel, Facebook
La tâche demeure cependant immense, tandis que la menace se régénère et se reconstitue en permanence au fil des alliances locales, transfrontalières et internationales qui caractérisent ce coin du monde[7].
Les défis sont connus pour assurer la pérennité d’une force conjointe, dont les membres sont parfois écartelés entre différentes menaces, comme le Tchad et le Niger qui doivent aussi faire face à Boko Haram (expliquant en partie la difficulté pour le Tchad de contribuer à la FC-G5S sous la forme d’un 8ème battalion en ce moment): ils sont d’ordre logistique et relatifs au soutien de l’homme tant au niveau organisationnel (relations avec la MINUSMA notamment[8]) qu’au niveau des matériels (y compris stockage) et de la protection des hommes[9] ; ils concernent également les capacités EVASAN ou encore la protection et autonomie des infrastructures ; ils concernent l’interconnection entre les différents acteurs sur le terrain, ou encore la pérennisation des modes de financement mis en place[10], etc…
La constitution d’un front commun transfrontalier est cependant la première pierre vers une stratégie pérenne efficace[11] et la FC-G5S est une force perturbatrice permettant de monter une riposte coordonnée face aux regroupements tactiques d’ennemis dont la première arme est de jouer sur les divisions au niveau local et régional. L’inextricabilité du Sahel avec les régions voisines (Afrique de l’Ouest ; Afrique du Nord ; Libye ; etc) rend la tâche d’autant plus complexe, mais aussi d’autant plus essentielle[12].
C’est en ce sens que le concept régional de FC-G5S pourrait être la meilleure réponse aux conflits asymétriques et la meilleure parade à long terme en matière de contre-terrorisme[13].
Notes de bas de page :
[1] https://www.lepoint.fr/afrique/sahel-l-onu-nomme-un-coordonnateur-pour-le-developpement
[2] https://www.lepoint.fr/afrique/djihadisme-et-crise-alimentaire-epees-de-damocles-sur-le-sahel-04-12-2020-2404281_3826.php
[3] Pour un excellent historique et des références chiffrées, voir : https://www.maliweb.net/contributions/le-sahel-en-2021-pour-empecher-la-deterioration-de-se-poursuivre-2914328.html
[4] Les programmes d’aide sont très nombreux et se concentrent notamment en priorité sur l’eau, la réislience et la cohesion sociale de la population : voir par exemple >>> https://www.alliance-sahel.org/projets-durgence-pdu/ ; https://www.afd.fr/fr/actualites/communique-de-presse/quel-bilan-pour-lalliance-sahel-apres-3-ans-au-service-des-populations-saheliennes
[5] Sur le montant de l’aide accordée a la Fc-G5S voir notamment >>> https://africa-eu-partnership.org/fr/projects/soutien-de-lunion-europeenne-ue-la-force-conjointe-du-g5-sahel
[6] Voir le descriptif officiel des opérations sur le compte Facebook de la Fc- G5Sahel >>> https://www.facebook.com/forceg5sahel/
[7] Voir par exemple : https://africacenter.org/publication/puzzle-jnim-militant-islamist-groups-sahel/
[8] Voir par exemple >>> https://minusma.unmissions.org
[9] Voir le rapport de l’ONU page 10 (https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/S_2020_476_F.pdf) : « La cadence des opérations de la Force conjointe du Groupe de cinq pays du Sahel s’est considérablement accélérée. À la suite de la révision du concept stratégique d’opérations et de la création à Niamey d’un mécanisme de commandement conjoint pour la Force conjointe, les forces françaises et les autres forces de sécurité présentes dans la région du Sahel, la Force conjointe a lancé sa première opération régionale (opération Sama) en mars. Globalement, l’appui logistique et opérationnel apporté par la MINUSMA a été jugé décisif et la fourniture d’articles consommables essentiels a été considérée comme un facteur déterminant qui a contribué à l’intensification et à la poursuite des activités de la Force conjointe. » (…) Néanmoins, la Force conjointe s’est heurtée à de multiples difficultés qui l’ont empêchée de tirer pleinement parti de l’appui fourni par la MINUSMA. Il est indiqué dans la résolution 2480 (2019) du Conseil de sécurité que la Force conjointe ou les autres partenaires se chargent de garantir l’acheminement des articles consommables essentiels dans les zones d’opérations situées à l’extérieur du territoire malien. Toutefois, la Force conjointe dispose de moyens limités pour récupérer ces articles aux points de collecte prévus au Mali et les acheminer vers d’autres secteurs. À plusieurs reprises, la Force conjointe n’a pas été en mesure de récupérer les rations livrées par la Mission aux points de collecte prévus (Bamako, Gao, Mopti). Conformément à l’accord technique, la MINUSMA et la Force conjointe ont choisi Ansongo et Douentza comme nouveaux points de collecte en précisant que le nombre de livraisons qui y seraient effectuées serait limité et dépendrait des plans de convois et de la capacité de stockage. Ménaka a été exclu car il n’y existe pas d’infrastructures suffisantes pour entreposer des rations ou du carburant. Il a souvent été demandé aux forces françaises d’assurer le transport de rations à l’aide de leurs moyens aériens. »
[10] Voir notamment >>> https://thesouthernhub.org ; https://www.aa.com.tr ; https://afrimag.net/force-conjointe-sahel-recherche-financements-desesperement/
[11] Voir par exemple >>> https://www.accord.org.za/conflict-trends/the-joint-force-of-the-g5-sahel/
[12] https://undocs.org/fr/S/RES/2531(2020) ; https://newlinesinstitute.org/al-qaeda/implications-of-al-qaeda-in-the-islamic-maghrebs-new-leadership/
[13] L’International Crisis Group écrivait ainsi en 2017 : « [La FC-G5S] résulte d’une volonté croissante, tant du continent que des acteurs extérieurs, de mettre en œuvre ce type de réponse militaire de nouvelle génération dans un contexte où le concept onusien de maintien de la paix, inadapté à des conflits asymétriques et au terrorisme suscite de plus en plus de scepticisme.» >>> https://www.crisisgroup.org/fr/africa/west-africa/burkina-faso/258-force-du-g5-sahel-trouver-sa-place-dans-lembouteillage-securitaire
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Autre références bibliographiques
https://theconversation.com/la-question-de-la-gouvernance-dans-la-strategie-de-lue-pour-le-sahel
https://ec.europa.eu/commission
https://www.voaafrique.com/a/apr%C3%A8s-trois-ans-d-existence-la-force-du-g5-sahel-peine
https://www.thedefensepost.com/2020/12/21/g5-sahel-force-struggles/
https://www.lepoint.fr/afrique/g5-sahel-le-terrorisme-pour-cible
https://www.lepoint.fr/afrique/force-conjointe-du-g5-sahel-il-y-a-urgence
https://news.un.org/fr/story/2020/11/1082372
https://undocs.org/fr/S/RES/2391(2017)