Ecole de Guerre Terre – Par le CBA Charles Bénézech, actuellement officier stagiaire à l’Ecole de Guerre
NDLR : L’étude menée par le CBA Bénézech alors qu’il était officier stagiaire au sein de l’Ecole de Guerre Terre examine l’évolution du soutien santé sous le prisme des enseignements du conflit en Ukraine. Nous la publions ici en trois parties :
I . Une première partie explique ce qu’est le soutien médical français et la doctrine qui le gouverne ;
II. Une seconde, les caractéristiques du champ de bataille ukrainien et leur impact en matière de sauvetage au combat ;
III. La dernière partie propose quelques recommandations pour une adaptation du soutien médical des forces armées françaises face au spectre de la haute intensité.
Voici cette partie III.
III. Quelles pistes d’amélioration pour le soutien médical ?
Des évolutions simples à court terme pour améliorer l’existant
A l’horizon 2027, le soutien médical pourrait améliorer la formation du sauvetage au combat avec des techniques individuelles pour réaliser les premiers soins. En effet, dans l’enseignement actuel, la pose d’un garrot ou d’un pansement compressif nécessite l’intervention d’un tiers. Cette évolution permettrait au blessé de réaliser un premier acte en autonomie, et éventuellement de se sauver, notamment si la situation tactique empêche l’arrivée d’un tiers pour lui prodiguer les premiers soins. L’arrivée prochaine des opérateurs de sauvetage dans les unités, permettant d’intervenir dans les dix minutes après la blessure, devrait permettre d’améliorer la prise en charge rapide du blessé. Concept nouveau développé par le SSA en 2023 (1), il reste encore à évaluer efficacité de ces nouvelles fonctions lors d’exercices et de familiariser les unités avec ce nouveau concept pour optimiser la prise en compte des blessés.
Les fondamentaux du triage et des plans de traitement des blessés en masse (MASSCAL) pourraient être mis à jour avec la prise en compte d’un volume plus important de blessés, limité aujourd’hui à huit pour un rôle 1. La priorisation pourrait être aussi revue à l’aulne de la capacité à servir à nouveau rapidement au détriment de la gravité de la blessure. Ainsi, la formation à l’accompagnement au décès du soldat qui, parce que trop blessé, devrait succomber pour en sauver un autre moins blessé doit être étudiée. Evidemment, ce changement significatif de philosophie devrait s’accompagner d’une formation morale de la troupe, sans oublier le soignant.
L’évacuation des blessés par voie routière sous blindage serait à travailler davantage par l’ensemble des unités et non uniquement celles du régiment médical (RMED). Leur nombre est trop limité pour soutenir les unités du front qui devraient évacuer en autonomie leurs blessés.
Le positionnement des rôles 1 et 2 serait à réviser au regard de l’accroissement de la portée de l’artillerie ennemie afin de garantir la stabilité et la sécurité nécessaire à la bonne réalisation des soins. En effet, les différents rôles demandent une stabilité d’au moins 36 heures selon leur niveau. C’est déjà à l’étude au niveau du SSA mais tous ces éléments devraient être davantage intégrés dans les exercices afin de travailler de manière plus réaliste et de se préparer mieux à des engagements plus soutenus. Cela permettrait en plus de valider les concepts théoriques.
Des stocks et des conteneurs adaptés pour leur transport devraient être acquis ou identifiés pour acheminer les nombreux produits périssables en vue d’un engagement majeur. De plus, l’anticipation du poids logistique spécifique serait à préciser pour éviter les mauvaises surprises en cas d’engagement.
Un soutien médical devant suivre les évolutions de la médecine civile
A l’horizon 2040 et de manière non exhaustive, le soutien médical pourrait bénéficier des progrès de la médecine civile afin de les intégrer dans les nouveaux protocoles. Par exemple, le recours à la téléconsultation pourrait permettre à un médecin de davantage guider des gestes ou de conseiller plus précisément en direct un soignant.
Les réalités virtuelle ou augmentée pourraient aussi améliorer les premiers secours administrés par les soldats spécifiquement formés au soutien médical. Cela s’avèrerait particulièrement pertinent pour les petites unités telles que les équipages d’hélicoptères qui opèrent de manière isolée. Ces solutions pourraient aussi servir à l’amélioration du soutien du combattant et à l’optimisation de sa récupération lors de pauses opérationnelles en arrière du front. Mais aussi cela rendrait les entrainements encore plus réalistes ouvrant sur des possibilités difficiles à réaliser en simulation.
L’utilisation de drones de transport, terrestre ou aérien, augmenterait les flux de blessés ou leur évacuation au feu car le développement de véhicules blindés dotés d’une grande capacité de transport de blessés allongés semble difficile à atteindre vu les contraintes budgétaires de l’armée de Terre. Comme présenté au Forum Innovation Défense (FID) 2023, un prototype de drone de transport de la société Flying Robots (2) pourrait correspondre par exemple à ce besoin.
Les progrès des médicaments, ou de nouvelles techniques médicales, ouvriraient de nouvelles perspectives pour les traitements en cas de blessure grave et un rétablissement plus rapide des blessés en vue d’un retour plus rapide au front. Au FID 2023, par exemple, étaient aussi présentés des techniques innovantes de traitement des brulures qui permettraient de traiter localement et plus rapidement le patient.
Conclusion
Le retour des conflits de haute intensité, avec un nombre plus important de blessés à prendre en compte, impose d’optimiser le soutien médical actuel. Il est nécessaire que le SSA et l’armée de Terre continuent d’approfondir cette collaboration pour préserver au mieux le capital humain et améliorer les processus. Si des progrès sur le plan technique et médical pourraient être intégrés, en s’appuyant sur des technologies duales, c’est aussi la force morale et la préparation de la troupe à des combats plus durs qui sont indispensables. L’accent sur le soutien du moral de la troupe devrait aussi faire l’objet d’une attention et d’une préparation plus spécifique et davantage anticipée pour être capable de tenir dans la durée.
L’informatique, la robotique ou la médecine ne viennent toujours qu’en complément des capacités humaines. L’intégration des progrès technologiques tous azimuts devrait aussi être suivie avec la plus grande attention, notamment en s’inspirant de la médecine civile, pour continuer la modernisation et l’augmentation de l’efficience du soutien médical.
Les procédures et le fonctionnement dans un environnement dégradé, notamment sans la supériorité aérienne, sont autant d’élément à réfléchir et à appliquer au plus tôt à l’entrainement pour avoir la maturité nécessaire en cas d’engagement.
Enfin, la notion de stock d’urgence et la capacité à transporter correctement un volume conséquent de matériel et équipement médical devrait être étudié avec soin pour éviter toute rupture d’approvisionnement qui serait catastrophique pour les militaires engagés au combat.
Le soutien médical évoluant en parallèle de l’humanité, la question de l’augmentation des capacités de l’homme, telles qu’envisagées par certains scientifiques, voire relevant à ce jour de la science-fiction, pourraient révolutionner les capacités ou les pratiques actuelles. L’utilisation dans le soutien médical est à réfléchir en ce sens. Il ne faut pas oublier la part d’éthique nécessaire dans ces progrès pour contrôler les implications des développements.
Notes
(1) Note n°504712/ARM/DCSSA/OPS/EMP/DR du 20/03/2023 : concept actualisé du soutien médical des opérations aéroterrestres adapté à une opération d’envergure
(2) FlyingRobots – Soft Wing Solutions (flying-robots.fr)
Illustration © issue d’un collage publié dans l’article suivant >>>https://warroom.armywarcollege.edu/articles/unmanned-medevac/