Par Murielle Delaporte – Même au plus fort de la Guerre froide, Washington et Moscou ont toujours su – surtout après la crise de la Baie des cochons – conserver un moyen de communiquer via des canaux diplomatiques et la pratique des sommets bilatéraux(1).

Le sommet de Ryad s’inscrit dans la même logique – au même titre que le fut voici quatre décennies celui de Reikjavick qui avait de facto amorcé la fin de la Guerre froide – alors que les liens et modes de communication entre les deux pays n’ont cessé de se dégrader depuis le dernier sommet de 2021 entre le président Biden et le chef du Kremlin. Rétablir ces canaux de communication n’est ainsi que la première étape d’un processus de paix qui pourrait s’avérer long et qui n’est pas sûr de réussir, mais qui a pour vocation de tester le sérieux des intentions russes lorsqu’ils se disent intéressés par le retour à la paix en Ukraine.

C’est ce présupposé qu’a rappelé le Secrétaire d’Etat Marco Rubio dans une interview menée par Catherine Herridge (journaliste issue d’ABC, Fox News et CBS) le 20 février dernier, au cours de laquelle il a confirmé que les autres parties prenantes aux négociations à venir – Ukraine et homologues européens –  étaient bien-entendu déjà concertées. Il a ainsi clarifié la politique de l’administration Trump de la façon suivante :

« La première [chose à comprendre] est que, même au plus fort de la Guerre froide, même dans ses pires moments, les États-Unis et l’Union soviétique communiquaient. Et la raison en est simple : si l’on veut être mature et responsable, il faut comprendre que, bien que je ne sois pas un partisan de la plupart des actions de Vladimir Poutine, cela est largement hors de propos lorsqu’il s’agit de diplomatie. Car nous devons, en fin de compte, être capables de dialoguer avec une nation qui possède, dans certains cas, le plus grand stock d’armes nucléaires tactiques au monde et le deuxième, voire le premier, stock d’armes nucléaires stratégiques au monde.

Que cela nous plaise ou non, la Russie est une puissance mondiale, impliquée et engagée en Syrie, au Moyen-Orient, en Europe et même dans l’hémisphère occidental. Nous devons donc maintenir une certaine communication avec eux. La première étape est que notre ambassade à Moscou fonctionne à peine. Elle est littéralement en train de cesser d’opérer parce qu’elle n’a plus accès au système bancaire. Il faut régler ce problème. Si nous fermons notre mission diplomatique en Russie, alors nous devrons fermer leur mission ici, et nous n’aurons plus aucun canal de communication avec eux, que ce soit pour la libération d’un Américain détenu ou pour toute autre question.

La deuxième chose à comprendre est que le président a été très clair : il veut que cette guerre avec l’Ukraine prenne fin, et il veut savoir si les Russes sont sérieux quant à la fin du conflit ou non. La seule façon de le savoir est de les tester, de les engager dans un dialogue et de leur demander : êtes-vous réellement prêts à mettre fin à cette guerre, et si oui, quelles sont vos exigences ? Leurs demandes publiques sont-elles différentes de leurs demandes privées ? Nous devons établir un processus pour engager cette conversation.

Il se peut que nous découvrions qu’ils ne veulent pas mettre fin à la guerre. Nous allons le savoir. Mais nous devons avoir ce processus pour le déterminer. Notre rencontre était donc essentiellement un suivi de la conversation du président Trump avec Poutine.

Il est regrettable que certaines exagérations et cette hystérie autour du simple fait qu’il lui ait parlé au téléphone aient obscurci la véritable raison de cette discussion. En fin de compte, nous devons avoir des relations avec la Russie, que nous aimions ou non tout ce qu’ils font, comme nous l’avons fait avec l’Union soviétique. Et nous devons être en mesure de vérifier s’ils sont sérieux au sujet de la fin de cette guerre.(…)

Mais cette rencontre visait principalement à déterminer s’ils étaient intéressés par la recherche d’une issue à ce conflit. (…)

Nous allons le découvrir. Je dis toujours que la paix n’est pas un simple mot, c’est une action. Ce n’est pas un nom, c’est un verbe, une démarche concrète. Il faut activement la rechercher. En fin de compte, soit ils sont intéressés, soit ils ne le sont pas. Si leurs conditions pour mettre fin à la guerre sont maximalistes et irréalistes, alors nous aurons notre réponse. Si, en revanche, il existe une possibilité, aussi infime soit-elle, de poursuivre la paix, nous devons la saisir. (…)

Je ne peux pas encore dire si la Russie est sérieuse à propos de la paix ou non. Cela se déterminera par leur attitude dans les discussions à venir. La seule chose sur laquelle nous sommes tombés d’accord, c’est d’en parler. Ce qu’ils proposent, ce à quoi ils sont prêts à renoncer ou à envisager déterminera s’ils sont réellement sérieux à propos de la paix. Nous n’en sommes tout simplement pas encore là. (…) »(2)

 

Notes

(1) Voir par exemple sur ce sujet :

(2) Voici la citation exacte en anglais :

“Three things that people have to understand.  The first is even at the height of the Cold War, even in the worst days of the Cold War, the United States and the Soviet Union had communication.  And the reason why from a – if you want to be mature and grown-ups about it, I’m not a fan of most of what Vladimir Putin has done, and that’s largely irrelevant when it comes to statecraft, because we ultimately have to be able to talk to a nation that has, in some cases, the largest tactical nuclear weapons stockpile in the world and the second largest, if not the largest, strategic nuclear weapons stockpile in the world.  So, you have to have – I mean, at the end – whether we like it or not, Russia is a power, a global power, and they’re involved and engaged in Syria; they’ve been involved and engaged in the Middle East; even in the Western Hemisphere, certainly in Europe.  We have to have some communication with them. 

So, step one is our embassy in Moscow is barely functioning.  I mean, it literally barely operates because it’s been denied access to the banking system.  That has to be fixed.  If we close our mission in Russia, we have to close their mission here, and then we really have no communication with them, whether it’s a detained American or some other item.

The second is the President has been very clear:  He wants this war with Ukraine to end, and he wants to know are the Russians serious about ending the war or not serious about ending the war.  The only way is to test them, to basically engage them and say, okay, are you serious about ending the war, and if so, what are your demands.  Are your public demands and your private demands different?  We have to have some process by which we engage in that conversation.  Now, it may turn out that they don’t want to end the war.  I don’t know; we’re going to find out.  But we have to have that process to determine that, and so our meeting was really a follow-up to President Trump’s conversation with Putin.

It’s unfortunate that some of this hyperbole and some of this hysteria because he talked to him on the phone has clouded some of the rationale behind this.  At the end of the day, we have to have relations with Russia, whether we like everything they’re doing or not, because we did with the Soviet Union – and we have to be able to test and see if they’re serious about ending this war. (…)

We’re going to find out.  I mean, I tell people peace is not a – is not a – it’s an action.  It’s not a noun, it’s a verb, it’s an action.  You must actually pursue it.  So, at the end of the day, they’re either interested or they’re not.  If the demands they make for ending the war are maximalist and unrealistic, then I think we have our answer.  If, on the other hand, there’s any opportunity to pursue peace, we have to do it.

And I think people – I really am sort of puzzled.  Generally, in diplomacy, people who are seeking to end the killing and the harming of thousands and thousands of people in war are usually celebrated for an effort to end the war. (…)

Well, the signal – I can’t answer whether they’re serious about peace or not yet.  That will have to be determined by the attitude they take moving forward.  The only thing we agreed upon is that we’re going to talk about peace.  What they offer, what they’re willing to concede to, what they’re willing to consider will determine whether they’re serious about peace or not.  We’re just not at that stage yet.”

 

Photo © https://it.usembassy.gov/secretary-marco-rubio-with-catherine-herridge-of-catherine-herridge-reports/

 

Pour plus d’information, retrouvez l’intégralité de l’interview de Marco Rubio sur le bilan de ses trente premiers jours au Departement d’Etat :