Par le Général Jean-Patrick Gaviard (ancien commandant de la défense aérienne et des opérations aériennes) et Olivier Zajec (CEIS)

07/04/2011 – Après plus de plusieurs  jours d’ intervention au dessus de la Libye, il peut paraître intéressant de tenter le décodage de deux événements majeurs dans la conduite de cette opération:

“L’entrée en premier” réalisée , le 19 mars, par l’armée de l’air française en soutien direct de l’action politique.
Le passage du commandement de l’opération à l’OTAN alors qu’une solution alternative  franco-britannique aurait pu être retenue.


Mirage 2000 à l'aterrissage sur la base aérienne de Solenzara (Photo: EMA/Armée de l'Air)


Un tempo opérationnel inédit
Revenir sur les frappes du 19 mars dernier, c’est tout d’abord comprendre la notion de tempo opérationnel, c’est-à-dire le rythme d’une pulsation politico-militaire que les qualités propres à la puissance aérienne (réversibilité, réactivité, allonge) permettent d’articuler de manière séquencée.

La partition se joue ici en moins de 7 heures, le 19 mars:

  • A 11h du matin. Alors que le Groupe aéronaval monte en puissance à Toulon, quatre Rafale décollent de la base de Saint-Dizier, en configuration de défense  aérienne ; ils sont accompagnés d’avions ravitailleurs de la base d’Istres et d’un AWACS de la base d’Avord.
  • A 12h30, à l’Elysée, le Président de la République donne le branle à une réunion internationale sur la Libye qui suit la résolution 1973 obtenue deux jours plutôt à New York.
  • A 13h, les quatre Rafale arrivent sur zone et patrouillent pour assurer la mission d’exclusion aérienne au dessus de Benghazi, tout en apparaissant sur les chaînes de télévision du monde entier.
  • A 14h, deux Rafale et deux Mirage 2000D en configuration d’attaque au sol décollent respectivement des bases de Mont de Marsan et de Nancy.
  • A 17h, les avions français détruisent des véhicules blindés kadhafistes aux abords de Benghazi, rompant l’encerclement de la capitale de la Cyrénaïque. Une demi-heure plus tard, sortant de la réunion internationale, le Président français peut communiquer sur sa décision et les premiers résultats qui en découlent.


Une bonne synchronisation des moyens
Que montrent cet enchaînement et ce tempo ? Tout d’abord le haut niveau de  synchronisation entre actions politiques et  opérations aériennes, apportant en un temps minimum un signal clair et fort de détermination et de crédibilité, le tout moins de 48h après la résolution de l’ONU. Ce qui transparaît ici, c’est aussi une capacité efficace de planification et de conduite impliquant le chef de l’état major particulier du Président, fin expert des opérations, l’état-major des armées et l’armée de l’air. Cette dernière, en pleine réorganisation et déflation d’effectifs – tout comme la Marine et l’Armée de Terre – a su parfaitement s’adapter à la mission.

On soulignera l’importance du Commandement de la Défense Aérienne et des Opérations Aériennes dirigé par le Général Desclaux, qui, sous les directives de l’Etat-major des Armées, a planifié et contrôlé de manière totalement autonome ces premières opérations aériennes.

On soulignera l’importance du Commandement de la Défense Aérienne et des Opérations Aériennes dirigé par le Général Desclaux, qui, sous les directives de l’Etat-major des Armées, a planifié et contrôlé de manière totalement autonome ces premières opérations aériennes.

Ici, pas de machinerie OTAN “. Mais sans ce centre de commandement implanté sur la base de Balard (Paris) et appuyé par le centre des opérations  aériennes installé à Lyon Mont-Verdun, ces opérations françaises n’auraient pu être réalisées. Enfin et surtout, cet enchaînement en boucle courte dénote une cohérence de l’ensemble des moyens : des investissements consentis pour équiper Lyon Mont-Verdun (où toutes les armées de l’air d’Europe viennent se former aux opérations aériennes) aux choix capacitaires de polyvalence qu’incarne ” l’équation Rafale ” et ses armements vouée à remplacer tous les autres modèles d’avions français, le résultat opérationnel traduit trente ans d’investissements ordonnés à un impératif majeur : l’autonomie stratégique et la souveraineté opérationnelle.


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Lybie: Opération Harmattan (Photos: EMA / Armée de l’Air – Marine Nationale)
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Une autonomie stratégique à préserver
Ces constats ouvrent la problématique sur une dimension peut-être plus politique, celle de l’étiquette de l’opération. Sans l’OTAN, a-t-on dit et entendu, pas d’organisation des opérations aériennes complexes ; partant, pas d’alternative à son emploi. Pourtant, la France et les Britanniques possèdent des centres de commandement et de contrôle de niveau stratégique, de théâtre et de composante (ici aérienne) remarquables et certifiés par l’OTAN. De fait, la solution du tout-OTAN n’en est peut-être pas une, dès lors que cette organisation sort de sa mission originelle qui reste la défense collective du continent européen.

D’autant que son emploi systématique comme opérateur universel de gestion de crise engendre certaines interrogations, et pas seulement dans le monde musulman. C’est pourquoi l’Europe de la défense sera en réalité, et de plus en plus, une réponse adéquate à ce genre d’opérations, dans des zones dont les équilibres nous importent et dont les déséquilibres nous concernent. Dans l’agora de l’UE, le consensus politique ne sera pas toujours facile à atteindre, mais pas moins en somme qu’à l’OTAN (il n’est que de songer au rôle bloquant d’Ankara). Sans compter que les opérations estampillées ” UE ” peuvent être exécutées via un noyau ” capable et volontaire ” (comme le couple franco-britannique dans le cas libyen), à condition que les pays européens se donnent les moyens pour durer en opération et être indépendants des USA si ces derniers ne souhaitent pas être impliqués. Ce n’est sans doute pas assez le cas, et l’on mesure à cette aune l’importance pour les nations de maîtriser leur sujet en termes de Centres de commandement et de contrôle (les “C2”).

Il ne s’agit pas, encore une fois, de juger ici du choix politique du 19 mars. Il s’agit en revanche de répéter, quels que soient les scénarios d’articulation politico-opérationnelle du futur, que l’autonomie se finance : nous manquons ainsi de ravitailleurs et de drones armés. De même, les capacités – terrestres, maritimes, aériennes – dépendent étroitement de la qualité d’entraînement (ici, le cas des pilotes, mais le même raisonnement s’applique aux fantassins ou aux marins). Enfin, ces opérations mettent l’accent sur l’indispensable subordination du soutien à l’opérationnel.

Quels que soient les scénarios d’articulation politico-opérationnelle du futur, (…) l’autonomie se finance : nous manquons ainsi de ravitailleurs et de drones armés. De même, les capacités – terrestres, maritimes, aériennes – dépendent étroitement de la qualité d’entraînement (ici, le cas des pilotes, mais le même raisonnement s’applique aux fantassins ou aux marins). Enfin, ces opérations mettent l’accent sur l’indispensable subordination du soutien à l’opérationnel.

La crédibilité a un coût. Ce coût, il faut le penser comme un investissement. Au moment où l’OTAN prend le relais dans le ciel libyen, c’est tout le sens de la leçon d’autonomie stratégique que vient de donner l’armée de l’air française.