Histoires militaires – Par Florian Bunoust-Becques***
Suffren : L’amiral « Satan » ?
Redouté autant qu’apprécié par ses hommes, décrié par ses pairs et remarqué par le Roi, Suffren est à la Marine ce que Napoléon fut à l’artillerie. D’ailleurs, l’Empereur n’avait-il pas loué le courage de ce marin qui fit si cruellement défaut aux desseins de l’Empereur : « Oh ! pourquoi cet homme n’a-t-il pas vécu jusqu’à moi ». A en croire les anglais, son génie tout autant que son audace et les pertes infligées à l’adversaire lui valurent le surnom d’amiral « Satan ». Un qualificatif loin de résumer la personnalité complexe de ce marin illustre. (…)
Nombreux sont les marins qui peuvent se targuer d’avoir servi sur un Suffren. Au total, deux vaisseaux de 74 et un de 90 canons, 2 cuirassés, un croiseur, une classe de deux frégates lance-missiles et tout récemment le lancement du sous-marin nucléaire d’attaque éponyme. L’histoire se souviendra de cet officier soucieux de la santé et du moral de ses hommes. Des attentions rares qui en disent long sur ce militaire qui n’hésitait pas à évoquer dans ses nombreuses correspondances ses états d’âmes, ses doutes et ses craintes. C’est dans un contexte de renouveau de la Marine française que grandit le futur amiral. Issu de la famille des Suffredi. Ces aïeuls, des paysans originaires de la République de Lucques en Toscane ayant fui pour s’installer en Provence au XIVème siècle près de Salon (Salon-de-Provence), francisent leur nom avant d’être anoblis en 1557 sous Henri II. Douzième de quatorze enfants, Pierre André de Suffren né le 17 juillet 1729 dans le village de Saint-Cannat (Bouches-du-Rhône). A l’ombre des oliviers il grandit dans la demeure familiale devenue Hôtel de Ville où le visiteur curieux peut y découvrir le modeste musée qui lui est consacré. (…)
Cap sur l’Océan Indien
C’est dans l’Océan Indien que la légende de l’amiral « Satan » va écrire en partie à l’issue de la bataille de La Praya. Est-elle comme on le raconte, un rendez-vous manqué ? Pour Suffren, la réponse est sans équivoque : « J’ai manqué ou l’on m’a fait manquer une occasion unique. » Et pour cause, s’il est un fin stratège naval, ces idées peinent à être comprises et exécutées par les officiers manquant de conviction (de confiance ?) parfois de zèle. C’est un fait : Suffren dérange. Son approche tactique, son style débraillé et son langage familier le rendent, certes, populaire auprès de ses hommes, mais la relation est plus complexe avec les officiers supérieurs qui ont du mal à faire fi de son caractère et de son commandement déterminé. (…)
La vie de Pierre-André de Suffren a été une alternance constante de campagnes navales menées tantôt pour le Roi, tantôt pour l’Ordre religieux, ponctuées des satisfécits de la Cour. Si aucune de ses batailles ne fut décisive, l’héritage militaire du bailli, perpétuellement enseigné à l’Ecole Navale est toutefois à souligner. C’est à l’issue de la guerre d’Indépendance américaine qu’il prit conscience de la portée stratégique mondiale de l’Océan dont les enseignements peuvent se résumer ainsi : d’abord, une créativité tactique avancée pour l’époque, au regard des capacités réelles mais limitées de la navigation à voiles. Ensuite, une vision internationale des conflits accentuée du fait que l’étendue des Empires coloniaux permettait de mettre à genoux des nations lors de batailles jouées à l’autre bout du globe comme aurait pu l’être celle de la Praya. Enfin, le nombre des bâtiments ne fait pas la force. C’est cependant l’entrainement, l’endurance des équipages durant les longs mois de mer et la fiabilité des subordonnés qui permet l’exécution rapide ou l’échec des manœuvres, même les plus audacieuses. Car sur mer, plus que tout ailleurs, le maitre mot est la vitesse. Il en fit les frais à ses dépens. Pressé, Suffren le fut. Une avance, plus qu’une course contre le temps, fruit de sa capacité à percevoir les choses mieux et plus vite que ses contemporains. Associée au panache, la légende de Suffren s’est bâtie à coup de manœuvres retentissantes et d’occasions manquées qui auraient pu l’imposer à l’Histoire comme le marin le plus illustre de la flotte française. (…)
*** Ceci est un extrait d’un article à paraître dans notre prochain numéro d’Opérationnels SLDS
Illustration © issue d’un tweet de “la Marine Moi j’aime@frenchshiplover” en date du 20 juin 2020 (Le 20 juin 1783, la flotte française de l’amiral Suffren bat la flotte anglaise de l’amiral Hughes à Gondelour, au sud de l’Inde. La nouvelle de la paix signée à Versailles le 9 février 1783 entre les ennemis héréditaires n’arrivera à Suffren que le 29 juin)