Ecole de Guerre Terre – Par le CBA Charles Bénézech, actuellement officier stagiaire à l’Ecole de Guerre

 

NDLR : L’étude menée par le CBA Bénézech alors qu’il était officier stagiaire au sein de l’Ecole de Guerre Terre examine l’évolution du soutien santé sous le prisme des enseignements du conflit en Ukraine. Nous la publions ici en trois parties :

I . Une première partie explique ce qu’est le soutien médical français et la doctrine qui le gouverne ;
II. Une seconde, les caractéristiques du champ de bataille ukrainien et leur impact en matière de sauvetage au combat ;
III. La dernière partie propose quelques recommandations pour une adaptation du soutien médical des forces armées françaises face au spectre de la haute intensité.

En voici la partie I.

 

Le conflit entre l’Ukraine et la Russie met en lumière la difficulté d’exécution du soutien médical dans un environnement opérationnel particulièrement contesté. Cet environnement change par rapport aux engagements habituels des armées françaises en termes d’intensité et de contestation de l’espace aérien. Le volume de soldats à prendre en compte par le service médical, dans un temps le plus court possible, devient donc un défi. De plus, les conditions sanitaires très dégradées dans lesquelles les soldats évoluent pèsent fortement sur leur capacité opérationnelle et sur leur moral.

L’engagement du soldat, prêt à faire le sacrifice ultime, induit un lien implicite et structurant entre l’individu et les armées. Les armées doivent en effet mettre tout en œuvre pour sauver les soldats en cas de blessure et les maintenir en bonne santé durant les opérations. La capacité à apporter des soins adaptés au plus vite au soldat blessé s’avère ainsi un enjeu crucial de maintien des forces morales de la troupe.
Dans l’optique du déploiement d’une division infovalorisée à l’horizon 2027, plus mobile et manœuvrière, le soutien médical doit s’adapter pour appuyer au mieux la manœuvre aéroterrestre. C’est dans ce sens que le ministre des Armées a donné l’impulsion de la transformation du service de santé des armées (SSA) le 12 octobre 2023.

Il apparaît ainsi important de s’interroger sur les pistes d’amélioration du soutien médical des forces aéroterrestres françaises en vue d’un engagement en haute intensité apte à soutenir une division.

L’étude du soutien médical sera ainsi restreinte aux opérations aéroterrestres en dehors du territoire national, uniquement pour les forces conventionnelles et elle n’abordera que les contraintes liées à l’usage des hélicoptères pour le volet aérien.

La complémentarité entre l’armée de Terre et le SSA est essentielle pour assurer l’ensemble du spectre du soutien médical en opération. Néanmoins, l’étude du conflit entre l’Ukraine et la Russie montre les limites de la doctrine au regard de l’intensité des affrontements et de la complexité de l’environnement opérationnel. Enfin, des réflexions sont proposées pour améliorer le soutien médical français à court ou moyen terme et sur l’ensemble du spectre capacitaire DORESE (doctrine, organisation, ressource humaine, équipement, soutien, entraînement).

I. Qu’est-ce que le soutien médical ?

Esprit général de la doctrine 

Le soutien médical aux engagements opérationnels est décrit comme l’ensemble des actions de l’ensemble du spectre médical et médico-administratives, conduites pendant la préparation des opérations, durant l’action opérationnelle et au retour de mission. Cet ensemble d’actions spécialisées, interdépendantes et complémentaires est par convention regroupé sous le vocable unique de « soutien médical ».

Le soutien médical des opérations a pour objet de préserver la vie humaine, tant physiquement que psychologiquement, en limitant l’impact des blessures et des maladies liées aux opérations, de préparer les hommes pour l’engagement et d’étudier l’environnement de déploiement.

Ce concept permet de garantir, en fonction du contexte opérationnel, une prise en charge médicale des blessés et malades et de bénéficier de soins médicaux les plus adaptés à leur état de santé. Il s’appuie sur un ensemble de formations avant le déploiement pour l’ensemble des militaires, une étude du milieu et des risques médico-sociaux du théâtre d’opération ainsi que d’un suivi médico-administratif avant, durant et au retour de la mission pour chaque personnel.

 

Quelques rappels sur le soutien médical français 

Le soutien médical s’appuie sur un triptyque doctrinal qui permet d’offrir au blessé ou au malade une prise en charge optimale et lui assurer ainsi les meilleures chances de survie, de réparation des dommages corporels et de récupération fonctionnelle :

  • la médicalisation à l’avant, forme particulière et très spécifique d’exercice médical adaptée aux contraintes de l’engagement opérationnel, qui intègre notamment le sauvetage au combat et le damage control resuscitation (techniques médicales d’urgence pour permettre la survie immédiate du blessé) ;
  • la réanimation et la chirurgicalisation à l’avant sont les modalités d’intervention médicale spécialisée au plus tôt et au plus près du lieu de prise en charge du blessé. L’équipe chirurgicale déployée à l’avant met en œuvre des techniques chirurgicales spécifiques, notamment la chirurgie de sauvetage (damage control surgery) ;
  • l’évacuation médicale (MEDEVAC) stratégique est systématique et précoce car la France ne réalise pas une hospitalisation prolongée sur le théâtre d’opérations. Le blessé ou le malade est ainsi évacué vers la structure hospitalière la plus adaptée du territoire national métropolitain pour un traitement définitif. Cela comprend aussi le transport médicalisé d’un patient depuis le lieu de la blessure jusqu’à une Unité Médicale Opérationnelle (UMO).

En fonction de l’engagement opérationnel, une cellule de coordination d’évacuation des patients (Patient Evacuation Coordination Cell, PECC) doit être inséré dans l’état-major de niveau opératif ou tactique qui dispose de la vision de la manœuvre d’ensemble, du contrôle opérationnel (OPCON) et/ou du commandement tactique (TACOM) des hélicoptères médicalisés, dédiés ou non.

Les délais de prise en charge et d’évacuation médicale en opérations apparaissent dans les publications de l’OTAN (1) comme un outil de planification (medical/surgical planning timelines) et sont repris dans la doctrine française. Ils définissent des gabarits horaires pour la prise en charge des blessés et constituent des objectifs à atteindre en matière de planification du soutien médical :

  • 10 minutes : on parle des « 10 minutes vitales » c’est-à-dire qu’en moins de dix minutes après la blessure, le patient reçoit les premiers soins mis en œuvre dans le cadre du sauvetage au combat de premier niveau (2). L’objectif est de stabiliser son état afin d’éviter que la situation n’empire ;
  • 1 heure : dans l’heure qui suit la blessure, le blessé bénéficie de soins médicaux (sauvetage au combat de deuxième et troisième niveau) et d’une évacuation héliportée ou par voie routière selon les contraintes opérationnelles. La prise en charge médicale s’appuie sur les principes de réanimation salvatrice et conservatrice (damage control resuscitation). Le but est de réduire les dommages liés à une hémorragie ou un traumatisme en régulant la triade létale coagulopathie, hypothermie et acidose pour permettre le déplacement du blessé ;
  • 2 heures : avant la fin de la deuxième heure, le blessé est transféré au sein d’un rôle 2 ou d’un rôle 3 (voir infra), où a lieu une prise en charge chirurgicale appliquant les principes du damage control surgery. Il s’agit d’interventions chirurgicales pour maintenir le blessé en vie plutôt que de corriger l’anatomie.

Les délais cliniques de prise en charge sont définis comme des créneaux théoriques de temps durant lesquels des actions médicales doivent être entreprises. Pour les blessés les plus graves, ce délai de 2 heures peut être trop long pour maintenir les constantes et permettre la survie du blessé. Il faut alors tenter d’approcher autant que possible le délai d’une heure entre la blessure et l’arrivée dans une première structure chirurgicale.

La prise en charge des blessés et des malades doit être garantie sans rupture et s’organise selon une continuité fonctionnelle et thérapeutique nommée « chaîne médicale ». Elle est organisée en quatre niveaux de prise en charge médico-chirurgicale croissant ou rôle :

  • rôle 1 : soins médicaux de premier recours et prise en charge initiale, y compris réanimatoire, des blessés et malades (damage control resuscitation) ;
  • rôle 2 : réanimation et chirurgicalisation à l’avant, chirurgie initiale dont la chirurgie de sauvetage (damage control surgery) ;
  • rôle 3 : traitement hospitalier spécialisé sur le théâtre ;
  • rôle 4 : ensemble des capacités médicales et chirurgicales spécialisées permettant le traitement définitif et les soins de suite du malade ou blessé jusqu’au moment de sa guérison et la reprise du service. Ces capacités sont en général déployées dans des établissements de soins d’infrastructure du territoire national. Il s’agit principalement des hôpitaux d’instruction des armées (HIA).

Chaque rôle est constitué d’une équipe médicale fournie par le SSA et d’éléments de l’armée de Terre pour la mise en place des infrastructures, l’acheminement des moyens, la protection et la gestion médico-administrative. Il est pleinement intégré à la manœuvre tactique dont le chef définit les zones et la durée d’installation comme prévoit les mesures de préservation face aux diverses menaces ennemies. Néanmoins, les besoins de stabilité pour assurer la qualité des soins doivent être pris en compte dans la manœuvre d’ensemble (3).

 

Influence du milieu sur le soutien médical

Le milieu terrestre est caractérisé par des coupures et des obstacles naturels ou artificiels qui représentent de véritables contraintes pour la mise en œuvre du soutien médical. Il est de ce fait très dépendant des infrastructures existantes, notamment des axes de communication, des fournitures énergétiques et de l’environnement météorologique, sécuritaire ou civil.

Le soutien médical doit savoir aussi s’adapter aux impératifs de la manœuvre tactique. La concentration des moyens médicaux à proximité des zones de combat de haute intensité rend vulnérable le flux logistique médical. Les impératifs liés à l’exercice de la médecine de guerre imposent un effort conséquent pour doter les différents rôles en matériels de haute technicité, comme les respirateurs, à forte valeur ajoutée ou à forte contrainte logistique tel que les produits sanguins par exemple.

En outre, la proximité de moyens humains de haute technicité médicale en fait aussi des cibles de choix pour des acteurs ne respectant pas ou peu le droit des conflits armées et la préservation imposée des équipes médicales par le droit international (4).

De plus, les difficultés pour l’acheminement des produits de santé et des blessés dû à leur sensibilité logistique et la célérité requise pour les flux nécessitent une manœuvre logistique précise et organisée. La contestation de l’espace aérien couplée à l’accroissement de la portée des matériels et des munitions augmente la distance entre la zone des contacts et la zone sécurisée, agissant directement sur l’organisation logistique et le soutien médical. La nécessité d’avoir des stocks suffisants pour allouer une autonomie initiale suffisante aux unités médicales opérationnelles, d’autant plus si celles-ci ont vocation à soutenir une unité à haute mobilité et très dispersée comme dans le combat info-valorisé.

Mais encore, le besoin de rattachement des plus petites unités médicales opérationnelles à une formation leader qui dispose du contrôle tactique (TACON). L’info valorisation du combat facilitera ces changements de responsabilité tactique sur les unités médicales mais demandera une attention toute particulière des unités de l’armée de Terre pour la protection des unités du SSA et pour la bonne réalisation du transfert de responsabilité.

Enfin, l’impact psychologique des combats de haute intensité (proximité plus grande des blessés ou des morts, pression de bombardements répétitifs, …) impose une prise en compte accru du moral des combattants et de son soutien dans la durée pour assurer le maintien de leur capacité opérationnelle tout au long du déploiement.

Les contraintes aéronautiques embarquées ont un retentissement médico-physiologique important pouvant altérer spécifiquement l’état de santé du personnel navigant. Or, le soutien médical du personnel navigant nécessite un suivi rigoureux et un contrôle régulier de l’aptitude (visites réglementaires du personnel navigant et visites médicales obligatoires après un nombre défini d’heures de vol dépendant du type d’aéronef). Ainsi, conformément à la réglementation, ces visites doivent être réalisées par des praticiens qualifiés en médecine aéronautique disposant du matériel technique adapté nécessaire à cette mission. Le nombre réduit de personnel dans l’équipage est aussi un facteur très limitant pour l’application générale des procédures du soutien médical.L’armée de Terre joue donc un rôle essentiel, via la chaîne logistique et celle de commandement, pour assurer le soutien médical de la force en coordination étroite avec le SSA. Le lien entre ces deux entités doit être permanent pour préserver au mieux le personnel engagé en opération. La planification du soutien médical en amont et pendant l’opération est cruciale pour tendre vers les délais cibles recommandées par le SSA. L’étude des conflits récents souligne néanmoins des difficultés d’exécution de cette planification.

 

 

Notes

(1) AJP 4.10 ALLIED JOINT DOCTRINE FOR MEDICAL SUPPORT , septembre 2019
(2) Note n°506857/ARM/EMAT/SCOAT/BEMP/NP du 11 septembre 2023 sur la politique du sauvetage au combat dans l’armée de terre
(3) Doctrine interarmées (DIA) n° 4.10, N° 176/DEF/CICDE/NP du 31 juillet 2014
(4) Convention (I) de Genève pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne, 12 août 1949.

Photo : EVASAN pendant la guerre des Balkans @ Janick Marcès, SSA, Bosnie Herzégovine, 1995 >>>  https://www.ecpad.fr/actualites/le-service-de-sante-des-armees-dans-les-fonds-de-l-ecpad/