Par le chef d’escadron Jérôme Guilbert, Officier de la 32e promotion de l’Ecole de guerre – Partie II : L’ère des OPEX (2000- 2023)
Cette période est caractérisée par deux phases majeures : une phase de mutualisation et une phase de consolidation des acquis.
2000 – 2009 : dividendes de la paix, rationalisation et mutualisation
Deux transformations s’opèrent, l’une au niveau interarmées et l’autre au sein de la composante terrestre. D’un côté, les services interarmées se développent : le service des essences des armées (SEA, désormais SEO pour Service de l’énergie opérationnelle) est conforté dans sa mission1 en 1991 Pour finalement soutenir en totalité l’armée de Terre à partir de 2007, prenant la responsabilité du soutien pétrolier de l’aviation légère de l’armée de Terre.
Le service du commissariat des armées (SCA) est créé en 2009 et le service interarmées des munitions (SIMu) en 20112. L’interarmisation du service de santé des armées (SSA) était acquise dès 1962 , mais le début des années 2000 met un terme à la déconcentration de ses moyens auprès des unités de l’armée de Terre, avec en 2011 la fusion du 1er et du 3e régiment médical en un régiment médical unique pour l’armée de Terre, commandé par un médecin et responsable de l’intégration du SSA dans la composante terrestre, Le coup porté par la RGPP de 2007 aux effectifs du service va par ailleurs réduire le nombre de médecins et personnel soignant3.
Au niveau de la composante terrestre, entre 1998 et 2009, les brigades sont recréées, mais sans BCS et les divisions remplacées par les états-majors de force : les RCS sont dissous. Un commandement de la logistique des forces terrestres (CFLT) est mis sur pied pour pouvoir projeter très rapidement des forces dans un cadre interarmées4. Il s’appuie sur deux brigades logistiques (en plus de celle de la FAR), regroupant au départ les régiments de soutien, de transport, de circulation, de maintenance et de santé.
Ainsi, si d’un côté le soutien est dilué par l’interarmisation, de l’autre côté les capacités de soutien terrestres, réduites, sont encore plus centralisées. A travers le COIA, puis le Centre de Planification et de Conduite des Opérations (CPCO), les structures de planification stratégique sont mises en place progressivement. La cohérence de planification opérationnelle est atteinte sous l’égide du CPCO/J4 (c’est-à-dire le bureau logistique interarmées du CPCO) avec la division « plan » du commandement de la force d’action terrestre (CFAT), laquelle conduit les groupes pluridisciplinaires de planification opérationnelle en présence du CFLT, qui coordonne l’ensemble des services.
Si la cohérence des acheminements, ainsi que, d’une façon générale, de la stratégie des soutiens par coordination des services, est faite par le CFLT pour l’armée de Terre, la cohérence opérationnelle, elle, connaît une phase de recul par la séparation entre volet « opérationnel » et « logistique » avec l’existence – au même niveau – du CFAT et du CFLT.
A cette époque en effet, les services restructurent leurs capacités : les compagnies mixtes des essences se regroupent pour donner naissance à la base pétrolière interarmées (BPIA) ; les groupements logistiques du commissariat de l’armée de Terre (GLCAT) se restructurent progressivement (à partir de 2006) pour devenir des établissements du commissariat (non projetable) et donnent naissance au régiment de soutien du combattant (RSC, 2011). Cette restructuration est conduite selon une logique de ressources humaines (replacement des civils) plutôt qu’opérationnelle.
La révision générale des politiques publiques (RGPP, 2007, ordonnant au ministère des Armées de réduire ses effectifs de plus de 54 000 hommes5, est en grande partie responsable de cette attrition qui force à la mutualisation. L’expression la plus connue en sera celle de la création des groupements de soutien de base de défense (GSBDD, 2010), dans une logique allant à l’encontre de l’intégration de l’ensemble des soutiens aux composantes tactiques. Une intégration qui les aurait rendu non seulement plus autonomes, mais aussi plus responsables de leur logistique essentielle.
2009 – 2023 : ère des OPEX, préservation ou consolidation des acquis
Le CFLT est dissous en 2009 avec l’une des brigades logistiques. L’autre voit son état-major transformé en 2016 en poste de commandement de la force logistique (PCFL) placé sous autorité d’un commandement de la logistique des forces (COM-LOG), lorsque l’armée de Terre se transforme à nouveau avec le modèle « au Contact ». Les régiments du matériel sont placés sous le commandement de la maintenance des forces (COMMF).
La tentative de créer un CFLT interarmées apte à intégrer les directions et services interarmées laisse place à une organisation complexe, composée d’un centre multimodal des transports (CMT) et d’un centre interarmées de coordination de la logistique des opérations (CICLO). Le CMT et le CICLO vont fusionner en 2014 pour devenir le centre du soutien des opérations et des acheminements (CSOA), afin de ne disposer que d’une seule entité intégratrice du soutien des engagements opérationnels6.
Pourtant, le COM-LOG, tête de chaîne de la logistique opérationnelle de l’armée de Terre, est aussi l’intégrateur des soutiens interarmées et alliés sur les théâtres d’opération7. Il conserve le commandement du centre des transports et transits de surface (CTTS) et du poste de commandement de force logistique (PCFL), lui-même en charge de la mise sur pied d’un groupement de soutien interarmées de théâtre (GSIAT).
Au cours de cette période, l’intégration des soutiens se partage selon une distribution complexe entre organismes interarmées et échelon de composante. Les services prennent leur autonomie en devenant les directions et services interarmées (DSIA). Le soutien régimentaire en métropole, dissocié du soutien en opérations, est permis par la mise en place des GSBDD, rattachés au SCA à partir de 2014.
Le reliquat du soutien direct à l’engagement organique à l’armée de Terre est alors de nouveau subordonnée aux forces terrestres grâce à un rapprochement entre fonctions logistiques et opérationnelles conduit par étapes entre le commandement des forces terrestres (CFT), les divisions et, tant qu’elle existe, la brigade logistique, puis à partir de 2016 le COM-LOG subordonné au CFT.
Parmi les six fonctions de ce soutien direct à l’engagement, l’armée de Terre conserve une autonomie importante dans les acheminements tactiques, ou « mouvement-ravitaillement », assurés par l’arme du Train, dans le maintien en condition opérationnelle, assuré par l’arme du Matériel et dans le soutien du combattant assuré par le 14e Régiment d’infanterie et de soutien logistique parachutiste (RISLP). Une partie des moyens du 14e RISLP, ex-régiment de soutien du combattant créé à partir des GLCAT en 2011, est néanmoins mis à disposition par le SCA. Les fonctions de soutien munition, soutien pétrolier et soutien santé sont, quant à elles, plus largement dépendantes des DSIA associées.
La prise d’autonomie des DSIA, qui se dotent d’états-majors opérationnels à l’instar des composantes traditionnelles, se poursuit dans leur environnement interarmées entraînant une perte de cohérence des stratégies de soutien. Une distinction s’opère cependant entre soutien commun, assimilé aux besoins de temps de paix et de préparation opérationnelle, et au soutien spécialisé, aux compétences opérationnelles. Ainsi, « le soutien santé est un soutien spécialisé et non commun. Depuis le 1er janvier 2011, cinquante-cinq Centres Médicaux des Armées (CMA) se sont substitués aux Services Médicaux d’unité (SMu). Ils sont devenus des établissements du SSA parachevant ainsi son interarmisation »8.
Le fonctionnel prend le pas sur l’opérationnel. Cette prise d’autonomie des services est réalisée sur un équilibre déjà fragile avec pas moins de trois structures en moins de sept ans…
Notes § références
1 Décret n°91-686 fixant les attributions du service des essences des armées, 14 juillet 1991
2 Décret n°2009-1494 portant création du service du commissariat des Armées. 3 décembre 2009 ; arrêté portant création, organisation et fonctionnement du service interarmées des munitions. 25 mars 2011
3 FAURE Jean. Le service de santé des armées : les défis de la professionnalisation SENAT, Commission des affaires étrangères. Rapport d’information n° 458 (1998-1999). 23 juin 1999
4 LABBE Daniel. Le Train, histoire et traditions. la Simarre. 2014
5 ROGER Gilbert, DULAIT André, bases de défense : une réforme à conforter, Sénat, rapport d’information n°660 (2011-2012) du 11 juillet 2012
6 CAVATORE Pascal, COL., Création du Centre du Soutien des Opérations et des Acheminements (CSOA), propos recueillis par DELAPORTE Murielle, Revue Opérationnels SLDS, juillet 2014
7 Service d’Information et de Relations Publiques de l’armée de Terre, L’armée de Terre au contact, Dossier de presse, mai 2015
8 DELAPORTE Murielle, « Le SSA : du soutien médical vers un appui médical à part entière », entretien avec le médecin en chef Edouard Halbert, chef de l’Etat-major opérationnel du service de santé des armées, paru dans Soutien Logistique Défense – n°4, Hiver 2011, p.25
Photo : rapatriement d’un hélicoptère de l’ALAT d’Afghanistan en métropole, © Murielle Delaporte, BATHELICO, KAIA, Afghanistan, 2012