Par Olivier Azpitarte
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infoCrédit photo : O.A., Afghanistan, août 2008

Un journaliste franco-colombien, Paul Comiti, durant le tournage d'un film pour TF1 en août 2008, intitulé « Afghanistan : deux mois dans le piège afghan » sur les soldats français dans leur quotidien et au combat. Il a remporté le premier prix Bayeux-Calvados 2009.

01/10/2010 – Dans le conflit afghan, des deux côtés, la guerre de la communication fait rage. Dernier gros « coup » de communication du commandement taliban : le reportage en immersion, sur plusieurs jours, d’un vidéojournaliste danois. Résultat : un film inédit, à la fois spectaculaire et intimiste, montrant un groupe de combattants talibans dans les montagnes du Kunar, près de la frontière pakistanaise. Diffusé sur une chaîne australienne, ce reportage dévoile la vie de famille du commandant insurgé, ses enfants, les moments de détente des djihadistes, leur prière commune pour le succès de leurs opérations, leurs émotions durant les combat, etc.

« Savoir où on est »

Renforts de communicants militaires
Les forces de la coalition ne sont évidemment pas en reste. Les moyens humains consacrés à la communication ont d’ailleurs été récemment renforcés pour l’armée française : en deux ans, le nombre de spécialistes de la fonction communication sur le théâtre d’opération a triplé ou quadruplé, passant de cinq à une quinzaine de communicants en deux ans, tandis que le contingent global ne faisait que doubler sur la même période. Le rôle de ces spécialistes, souvent méconnu, consiste – en un mot – à appuyer l’action de la force par l’écoute et la parole.

Analyse qualitative de la presse locale
Au centre de presse du camp Warehouse, à Kaboul, des communicants militaires français ont par exemple initié une démarche jusque-là inédite sur le théâtre d’opération, toutes nations confondues, à savoir l’analyse de presse. But de l’opération : réaliser une analyse qualitative dans des domaines d’analyse choisis. Il s’agit en l’occurrence des domaines suivants :

  • sécurité
  • reconstruction
  • gouvernance

Depuis avril 2010, près de mille cinq cent sujets traitant de ces aspects dans la presse kaboulie (télévisions, presse écrite, radios) ont été passés au crible de l’exégèse du lieutenant-colonel Pierre-Yves Sarzaud, conseiller en communication du théâtre, et de son équipe composée de communicants et d’un traducteur afghan.

Débat dans les médias de Kaboul
Résultats riches d’enseignements, les journalistes kaboulis sont partagés sur la capacité de l’OTAN à établir la sécurité, ainsi :

  • 50% pensent que l’OTAN est en mesure de le faire, 50% n’y croient pas, ou plus.
  • 70% pensent que le gouvernement est capable dans ce domaine.
  • Seuls 10% misent sur les insurgés.

En terme de reconstruction en revanche, le rapport est plus favorable à l’OTAN qu’au gouvernement, alors qu’il n’est fait mention d’aucune initiative des insurgés.

En terme de gouvernance enfin, ces journalistes sont partagés, mais plutôt favorables au gouvernement afghan en place.

Liberté de la presse
Le lieutenant-colonel Sarzaud a initié cette analyse « pour savoir où l’on est, où l’on va, parce que c’est compliqué », reconnaissait-il lors de notre reportage sur place en août 2010. « Nous le faisons pour sortir des banalités, et pour avoir une image plus nette du regard des Afghans sur nous-mêmes, membres de la coalition militaire ». Il porte lui-même un regard plutôt positif sur les journalistes afghans qui savent le cas échéant « souligner ce qui va bien, ce qui n’est pas forcément idiot, tout comme il n’est pas un mal que la liberté de la presse ait été été inscrite dans la constitution afghane ».

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Gagner la “bataille des cœurs” par l’information

Faible accès à l’information des populations rurales
L’analyse du centre de presse du camp Warehouse ne prétend pas offrir une vision exhaustive du paysage médiatique local : la presse analysée par les hommes et femmes du lieutenant-colonel Sarzaud est très kabouli-centrique. Tout comme la presse française, feront remarquer certains. Les reproches de parisianisme à son encontre sont en effet monnaie courante. Mais le parallèle s’arrête là : en Afghanistan 70% d’illettrisme, le non-accès à l’électricité – et donc à la télévision – de 99% des populations rurales et la configuration géographique – ces montagnes qui entravent les ondes radios – sont autant de causes de non-accès à l’ information produite par les médias de la capitale d’une grande partie de la population des provinces.

O.A.

La radio, média privilégié
Or les populations des provinces, insurgées ou potentiellement insurgées, sont au cœur de la bataille pour le coeur et les esprits que se mènent les combattants ennemis et la coalition. Les radios locales sont aujourd’hui le média ayant le plus d’audience en leur sein. De nombreuses radios ont donc été créées par les équipes de reconstruction provinciales de l’armée américaine. Les forces françaises ont de leur côté mis en place en 2009 une première radio en dari émettant depuis la Kapisa. Fin 2009, lors d’une assemblée traditionnelle – la shura – avec l’armée française en Surobi, l’idée d’une radio locale a également germé. Le colonel Durieux, chef de corps du 2e Régiment étranger d’infanterie, commandant à ce moment-là le groupement tactique interarmes en responsabilité sur cette zone, a donné l’impulsion nécessaire pour créer une radio en pashto sur la base de Tora, animée par des journalistes afghans. A en juger par les deux cent courriers d’auditeurs qui lui parviennent chaque jour, Radio Surobi semble rencontrer un succès phénoménal.

Atteindre les opinions et les décideurs via la presse
Autre champ d’action de la communication opérationnelle : les relations presse. Concrètement, en Afghanistan, il s’agit d’envoyer des communiqués ou des dossiers de presse, d’organiser des interviews téléphoniques, d’accréditer des journalistes, et de répondre à leurs demandes de reportages en immersion avec les troupes de la coalition. Ces actions participent au lien entre la coalition et les nations qui l’envoient. Leur cible : les opinions publiques nationales, dont les cœurs et les esprits représentent elles aussi l’objet d’une bataille. A cette fin, des plans tactiques sont élaborées, parfois au sein même des agences de renseignement.

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Des chasseurs alpins français passent devant le centre de presse du camp Warehouse, à Kaboul, en août 2010 (O.A.)

Lien armée-nation
Le principe guidant ces actions est simple : la décision politique étant à l’origine de l’envoi de troupes, l’accès aux activités de la force qui est donné à des journalistes en tant qu’observateurs pour la société civile, est un retour des choses – plus ou moins naturellement accepté – propre aux démocraties. La mise en application est complexe, et les résultats varient. Alors qu’aux Etats-Unis, le sujet Afghanistan fait l’objet d’un débat plutôt nourri, certains observateurs déplorent une absence de débat en France au sujet de l’Afghanistan. Force était de constater pourtant, lors de notre reportage en juillet-août 2010, que les « vannes sont ouvertes » par l’armée française pour les journalistes. Seule exception : la zone où deux collaborateurs de France 3 ont été kidnappés en décembre 2009 est placée sous « embargo presse », officiellement pour des raisons de sécurité. Les renforts en communicants, la construction de nouvelles infrastructures fin 2008 (sous l’impulsion du Lieutenant-Colonel Louisfert, alors conseiller en communication du théâtre), la mise à disposition de moyens logistiques tels que l’embarquement à bord de vols militaires Paris-Kaboul ont permis à des centaines de journalistes de couvrir l’actualité afghane pour quasiment tous les médias français.

Les nouveaux médias aux avant-postes
Pourquoi certains continuent-ils à déplorer le manque de débat en France ? Les médias traditionnels sont-ils frileux sur le sujet ? Sa « complexité » incite les grands médias à la prudence. Le centre de presse de Warehouse a confirmé cette tendance dans son analyse de la presse française : alors que dans les médias traditionnels, un seul article traite de l’Afghanistan sur six articles abordant les questions de défense, sur Internet, le rapport passe de un à quatre. Les nouveaux médias semblent donc assurer une fonction d’avant-poste de l’actualité. Et le manque de rigueur journalistique qui y prévalait lors des premières années du conflit, a été largement corrigé depuis.

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Références