Un scénario à rebondissements
Par Sandra Chenu-Godefroy (photos et montage vidéo) et Murielle Delaporte (texte)
21/02/2011 – Le scénario retenu de l’exercice Satorex mené en octobre dernier – à savoir l’évacuation de ressortissants français sur un théâtre extérieur en situation insurrectionnelle – a permis d’incorporer les défis classiques auxquels nos gendarmes et combattants sont traditionnellement confrontés en opération extérieure.
Participation d’un détachement du 126e Régiment D’infanterie et du 31e Régiment du Génie à l’exercice Satorex de gestion de ressortissants en OPEX organisé par le GBGM (Groupement Blindé de Gendarmerie Mobile) au CNEFG Saint Astier (Centre National d’Entraînement des Forces Gendarmerie), octobre 2010 Crédit : Exercice de rétablissement de l’ordre en situation insurrectionnelle « Satorex 2010 », Sandra Chenu-Godefroy, Saint-Astier, octobre 2010
Analyse de la situation
Le niveau d’intensité de SATOREX « cru 2010 » commence dès les premières heures de l’exercice, avec l’armée de terre en situation de débordement par des manifestants civils (joués par les «plastrons») : devant appliquer le principe – cher au Colonel Ivan Noailles, Commandant du Groupement Blindé de Gendarmerie Mobile (GBGM), de « ne pas faire le travail de l’autre ni de travailler sans l’autre », le 126e RI appelle donc à la rescousse le « cercle bleu» en renfort. Premier défi de coordination de manœuvres tactiques, de positionnement des forces et de répartition des missions, mais surtout d’analyse de la situation : quelle réponse apporter à tel ou tel type d’affrontements ou de comportements ? Quels choix faire pour calmer le jeu dans une situation explosive et dans le feu de l’action ?
Développer des automatismes dans le processus de décision et l’application des ordres donnés est bien-sûr l’objectif premier de tels exercices. Mais la difficulté est précisément que ces automatismes ne l’emportent pas sur une réflexion préalable et une adaptation des moyens mis en œuvre en fonction de la menace : « nous avons volontairement souhaité mélanger les différents éléments de surprise injectés au cours de l’exercice, de façon à ce que les hommes puissent passer de l’un à l’autre et basent leurs décisions sur leur jugement et analyse de la situation. On revient à la notion de points de bascule déjà évoquée. Notre volonté est de conserver la capacité des forces à s’adapter à tout type de missions et de théâtres », explique le Colonel Noailles.
« Nous avons volontairement souhaité mélanger les différents éléments de surprise injectés au cours de l’exercice, de façon à ce que les hommes puissent passer de l’un à l’autre et basent leurs décisions sur leur jugement et analyse de la situation. On revient à la notion de points de bascule déjà évoquée. Notre volonté est de conserver la capacité des forces à s’adapter à tout type de missions et de théâtres. »
Définir les priorités rapidement et éventuellement les réviser au fur et à mesure de l’évolution des évènements font donc partie des enseignements que tout bon chef de peloton doit acquérir. Dans ce cas de figure, la sécurisation de l’ambassade de France – devant laquelle s’étaient concentrées en un premier temps les forces adverses -, la protection de son personnel et en particulier de son Ambassadeur, furent définies comme priorité immédiate au cours de cette première matinée d’exercice.
Connaissance du terrain
Mais en théâtre extérieur, les ressortissants français ne sont malheureusement pas en général uniquement concentrés dans le périmètre de l’Ambassade, d’où la nécessité d’identifier et de retrouver ces derniers à travers le pays, tels qu’un Père missionnaire en pleine campagne. Parmi les difficultés « classiques» rencontrées et «jouées» au cours de ces deux jours dans ce contexte, on citera :
- L’évaluation des renseignements : vrais ou faux ? Le scénario inclut de fait une opération de recherche de ressortissants perdus dans la campagne fondée sur une information donnée par un habitant local, laquelle s’avère être un faux indice et un piège ;
- L’art de la négotiation : au travers du «pays» – en l’occurrence l’«Afghanie» – les barrages et checkpoints abondent et il s’agit de les contourner en alliant diplomatie et fermeté afin de parvenir à un accord «de chef à chef». Là encore la bonne appréhension des us et coutumes du pays fait partie des connaissances à acquérir avant de partir en opération, afin de savoir jusqu’où aller dans ce type de négociation pour réussir la mission sans compromettre la sécurité des troupes, des ressortissants, mais aussi des populations civiles locales. A noter qu’une cellule d’instruction spécifique – la cellule d’instruction Afghanistan (CIA) – existe à Satory. Les escadrons affectés en Afghanistan sont détachés de leurs services courants six mois avant leur déploiement : leur mise en condition opérationnelle, destinée à sensibiliser les futures POMLT au contexte afghan, s’achève avec une préparation de trois semaines dans un camp ;
- Mines et IED : moins classique en théâtre africain, mais malheureusement quotidien en Afhganistan, le risque IED (« Improvised Explosive Devices » : EEI en français pour engins explosifs improvisé) fut cette année inséré, d’où la présence du 31e RG : la mission «piège » d’évacuation révèle en fait la présence d’engins explosifs improvisés, qu’il s’agit de désarmorcer en prenant garde qu’une mine n’en cache pas une autre. La rapidité et la précision de la transmission des informations rassemblées par les équipes de reconnaissance sont cruciales dans ce type de situation où perte de temps peut rapidement signifier perte de vies humaines. Une fois l’absence de ressortissants français établis et la présence de mines additionnelles confirmées, le défi de la « bonne prise de décision au bon moment » continue, puisque l’unité doit continuer à bien établir ses priorités : déminer d’avantage au profit des populations locales ? poursuivre les recherches ? revenir à la mission première ? Le Génie décide de marquer la présence des mines non désarmorcées autour du passage, de rendre compte et de retourner à la mission initiale.
Casse-têtes logistiques
– Soutien aérien aléatoire : dans le scénario, une évacuation aérienne est prévue de nuit, mais le bon déroulement de cette dernière se heurte au feu des forces adverses, en particulier autour de la zone d’atterrissage prévue pour l’hélicoptère chargé de prendre en charge les ressortissants français (la DZ pour « drop zone ») : les combats se poursuivent en pleine obscurité, ajoutant une difficulté supplémentaire à l’identification « amis – ennemis». De fait, pendant l’exercice, un épisode d’infiltration/trahison a été injecté, histoire de corser un peu le scénario, avec un mot de passe intercepté par l’ennemi. S’en suit une série d’affrontements, à l’issue de laquelle l’évacuation par voie aérienne ne peut donc se faire comme prévu. « Faute d’hélicoptères disponibles à des fins d’entraînement, l’évacuation aérienne est simulée en particulier en ce qui concerne tous les préparatifs préalables à une telle opération : dans le scénario, nous en avons profité pour ajouter une difficulté supplémentaire en faisant échouer cette dernière en raison d’un feu soutenu des rebelles ; rechercher et mettre en œuvre dans l’urgence une solution alternative – dans ce cas une évacuation par voie terrestre – font partie des défis auxquels tout combattant est confronté en situation réelle », explique le Colonel Noailles, lequel rendra spécialement hommage dans son discours de clôture de l’exercice, aux logisticiens, «hommes de l’ombre» et soulignera le rôle crucial de moyens de transmissions performants.
Ces phases d’« assaut – contact – combat » ont permis tout au long de ces deux jours de mettre en avant une série d’autres problèmes «classiques», tous également de nature logistique :
– Le manque de munitions (soutien homme) : les unités prises en embuscade se trouvent à cours de munitions pour leurs Famas 5.56 et AANF1 7.62, et le recompletement doit se faire à pied par un escadron de soutien ;
– La crevaison d’un pneu de VBRG (NSO) : à titre indicatif, le pneu pèse 250 kgs et nécessite pour le moins un camion de dépannage adéquat, en l’occurrence dans ce cas précis le Renault CBH. L’exercice inclut donc l’intervention des logisticiens, lesquels doivent sous protection changer la roue en question, puis remorquer le véhicule pour retour en base arrière : une opération qui durera environ trente minutes [1] ;
– La problématique des prisonniers : après le défi de sortir vainqueur d’un affrontement, vient forcément la question de savoir que faire des vaincus. La prise en charge de prisonniers nécessite un renfort en hommes sous peine de mettre en danger les unités combattantes et d’alourdir les opérations. Pendant l’exercice, le manque d’hommes s’est fait sentir à un moment donné sur ce terrain-là ;
– Le soutien santé : accéder aux blessés et les rapatrier en lieu sûr représentent un autre défi en lui-même. Pendant Satorex, le personnel de santé dut intervenir non pas dans le cadre fictionnel du scénario, mais en réalité, en raison de la fermeture d’une porte de VAB sur le doigt d’un de ses occupants.
La question des ROE
Derrière un tel exercice se profile plus généralement le lourd débat sur les ROE («rules of engagement» : règles d’engagement en français), lesquelles s’avèrent d’autant plus complexes que les opérations sont réalisées en coalition : « en Afghanistan, la gendarmerie opère sous multiples commandements : ceux propres à la Gendarmerie, mais aussi la Task Force Lafayette, l’ISAF et la FGE [2]», rappelle le Colonel Noailles.
Au-delà de ces ROE bien établies et des SOP («Standard Operational Procedure»), la marge de manœuvre individuelle de tout chef sur le terrain doit répondre, indépendamment des contraintes de nature politique, aux deux exigences majeures d’un chef militaire, à savoir : « (1) remplir sa mission ; (2) ramener ses hommes à la maison », souligne le Commandant du GBGM, dont la devise est « ne pas craindre le pire, mais se préparer à le surmonter »…
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Notes de bas de page
[1] Une vidéo retraçant ce dépannage en opération sera diffusée dans la dernière partie de ce reportage.
[2] Créée en 2004, la Force de Gendarmerie Européenne est représentée en Afghanistan par trente personnels ainsi répartis : France : 5 officiers et 2 sous/officiers ; Italie : 5 officiers et 6 sous/officiers ; Espagne : 2 officiers et 3 sous/officiers ; Portugal : 2 officiers et 1 sous/officier ; Pays-Bas : 2 officiers et 2 sous/officiers (hors les POMLT de la gendarmerie )
Références