15 février 2012 – Extrait d’un  livre d’André Yché

Publié chez Economica

INTRODUCTION : ENJEUX STRATÉGIQUES, POLITIQUE DE DÉFENSE ET COHÉSION NATIONALE

– « Peut-il exister de cohésion nationale qui ne soit fondée sur une ambition nationale et l’État-Providence pourrait-il atteindre ses fins s’il était privé de son indispensable corollaire, l’esprit de défense ? » (page 8).
– « Depuis une dizaine d’années, la suspension de la conscription a mis un terme à la représentation républicaine du peuple en armes, suscitant maints débats au sein même des grands partis politiques. C’est que dès l’origine, deux notions distinctes ont été confondues : l’esprit de défense, manifesté par le port des armes une année durant ; l’épreuve initiatique à la citoyenneté, étape d’intégration indispensable et apprentissage de valeurs collectives. » (page 8).
– « […] la longue histoire de notre vieux pays enseigne l’attachement constant des Français de toutes époques au territoire inscrit dans nos frontières naturelles ; ni la promotion de valeurs universelles, ni la protection d’intérêts ultramarins n’ont pesé en regard de la conquête, de la défense, de la reconquête du territoire national. Bien plus, nos traditions diplomatiques, notre organisation militaire ont convergé vers cette fin, faisant de la France, pays continental ouvert sur l’océan, une puissance principalement terrestre, car essentiellement terrienne. » (page 9).
– « L’Histoire a basculé au cours de la seconde moitié du XXe siècle, vidant progressivement le territoire national de sa portée réelle et symbolique, sous l’effet de ruptures stratégiques, d’impératifs technologiques, de mutations socio-économiques, de telle sorte que nous avons désormais un ‘‘territoire’’ à réinventer, un ‘‘modèle’’ de puissance à reconstruire. » (page 9).
– « L’invention d’un ‘‘nouveau territoire’’ suppose une redécouverte de l’Histoire et la réintroduction des réalités du monde moderne dans le cours des traditions politiques et diplomatiques qui sont au coeur de notre identité. » (page 10.)
– « L’enjeu de cette entreprise est vital car de la même manière que la préservation de la cohésion sociale constitue un facteur de puissance de premier plan, l’affirmation d’une politique de défense s’avère un déterminant essentiel de la cohésion nationale. » (page 10)


CHAPITRE 1 : LES RESSORTS DE L’ESPRIT DE DÉFENSE

Un engouement épisodique : la promotion des valeurs
– « La diffusion des valeurs chrétiennes au temps des croisades, celles de la République et de la civilisation pendant la colonisation trouvent-elles aujourd’hui un écho ? Celui des Droits de l’Homme et du ‘‘devoir d’ingérence’’, dont il est permis de douter qu’ils mobilisent durablement l’opinion (…). Par rapport au prosélytisme à la fois cynique et naïf, volontiers agressif, professé par nos alliés américains, il est même probable que leur passé colonial a développé, chez les Français et les Britanniques, un profond relativisme quant aux ‘‘valeurs de civilisation’’. Les interventions les plus récentes en Bosnie, au Kosovo, en Lybie traduisent-elles une réelle adhésion à une vision universaliste des droits de l’Homme ? Le public, en s’émouvant devant les images de la barbarie, peut se mobiliser passagèrement en faveur d’une cause humanitaire ; mais deux limites essentielles tempèrent aussitôt la portée d’un éventuel engagement : sa durée, dont il est admis qu’elle ne doit pas excéder quelques mois ; l’absence de troupes au sol. A contrario, l’adhésion décroissante aux opérations en matière d’OPEX (opération extérieure). » (page 25).
– « Ce qu’elles perçoivent confusément, c’est qu’on n’impose pas la démocratie par les armes et que si le rôle des armées est de détruire le potentiel militaire adverse au cours d’engagements aéroterrestres ou aéromaritimes de haute intensité et de courte durée, elles s’épuisent inutilement à poursuivre, des années durant, en subissant des pertes disproportionnées vis-àvis des résultats obtenus, des objectifs politiques que seul, le ‘‘Soft Power’’, c’est-à-dire la capacité d’influence et de séduction, permettait d’atteindre. » (page 25).

Un enjeu négociable : la protection des intérêts
– « De ce rapide survol de l’Histoire de France se dégagent quelques enseignements. En premier lieu, si les Français se sont constamment mobilisés pour la défense du territoire national, s’ils se sont véritablement approprié la notion de ‘‘frontières naturelles’’ comme constitutives du ‘‘précarré’’, leur engagement dans la promotion des valeurs universelles, qu’elles soient spirituelles ou laïques, n’a jamais été durable, ni même profond. Il en va de même de la protection de leurs intérêts ultra-marins vis-à-vis desquels ils ont toujours manifesté un grand détachement pour ne pas dire une grande incompréhension. Sans doute faut-il voir dans cette attitude la marque d’une nation d’agriculteurs, d’un réflexe terrien et casanier qui caractérise un pays d’immigration, et non d’émigration comme l’Angleterre, l’Irlande ou l’Italie. » (pages 32 et 33).


CHAPITRE 2 : LES FONDEMENTS TERRITORIAUX DE LA DÉFENSE

Stratégies diplomatiques et politiques d’alliance : la préservation du pré-carré
– « L’inventaire des stratégies diplomatiques poursuivies par la France depuis le XVIe siècle conduit à distinguer deux grandes familles : les unes, inspirées de logiques territoriales, consistent dans la création de ‘‘glacis’’ protecteurs et dans la conclusion d’ ‘‘alliances de
revers’’ ; les autres, essentiellement politiques, tendent à la constitution ou à l’insertion dans des ‘‘blocs’’ selon une logique pouvant conduire à la tentation impériale. » (pages 35 et 36).
– « C’est, in fine, la culture d’alliances et de revers qui apparaît, dans la tradition diplomatique française, comme la marque la plus caractéristique d’une stratégie continentale. » (page 37).
– « […] la constitution ou l’adhésion à des ‘‘blocs’’ a toujours abouti à sacrifier tous nos intérêts ultramarins pour la défense prioritaire de nos positions sur le continent. » (page 40).
– « C’est bien, en définitive, l’incapacité de la France à choisir le ‘‘Grand large’’ qui a provoqué la coalition de l’Europe contre la démesure de ses visées continentales. » (page 40)
– « L’histoire comparée de la France et de l’Angleterre enseigne qu’il est plus facile d’acquérir, par la domination des mers, l’empire du monde, que de préserver la prééminence d’une nation sur un seul continent. » (page 42).

La doctrine d’emploi des forces : une armée continentale
– « Ainsi la pertinence d’une stratégie diplomatique ne peut-elle s’apprécier qu’en regard de la configuration de l’outil militaire et de la doctrine d’emploi des forces. Celle-ci peut être rangée, pour l’essentiel, sous trois rubriques : la relation au territoire, l’action extérieure et la conduite des opérations. » (page 43).
– « Ce tour d’horizon succinct met en évidence la centralité du territoire dans la définition de la doctrine d’emploi des forces, qu’il s’agisse d’en faire l’enjeu principal, voire unique d’un possible affrontement, d’y trouver une ressource nourricière ou tactique ou d’y voir un risque spatial. Il souligne en contre-point la faiblesse de la pensée géostratégique dans la culture de défense française, qui explique bon nombre de nos revers. En effet, la vision géopolitique constitue le cadre indispensable de toute stratégie indirecte. S’en priver revient à s’inscrire nécessairement dans une stratégie directe, toujours coûteuse, souvent infructueuse. […] Enfin se trouve mise en exergue la grande difficulté à concilier la coordination des armes, indispensables dans la conduite tactique d’un affrontement aéroterrestre, et l’autonomie stratégique des moyens aéromaritimes et aérospatiaux, nécessaire à l’atteinte d’objectifs militaires déterminants, dans la profondeur du dispositif adverse, mais aussi à l’obtention d’effets économiques, politiques, psychologiques décisifs, dans le cadre de stratégies indirectes concourant à la gestion globale de la guerre. » (page 55).

La configuration de l’outil militaire : priorité au Centre-Europe
– « Que retenir de cette présentation succincte de l’organisation de l’outil de défense et de ses logiques d’évolution ? Tout d’abord, l’armée française a toujours été conçue, prioritairement, comme une armée continentale et l’histoire ‘‘à éclipse’’ de la marine découle, plus que de l’insuffisance de moyens, de la faible adhésion de l’esprit public et, souvent, des dirigeants, aux projets dont elle pouvait constituer le principal vecteur. Ensuite l’insuffisante culture géopolitique de l’ensemble des élites du pays explique, pour partie, une absence de vision mondiale qui a profondément influencé la doctrine et les programmes militaires : de ces deux traits résulte l’inclination constante de la France en faveur de stratégies directes, auxquelles elle n’a su renoncer que sous la contrainte de faiblesses passagères. Enfin, le lien au territoire, très fort en termes d’organisation tout comme au niveau de la doctrine tout comme au niveau de la doctrine d’emploi, tend désormais à se distendre, sur le territoire métropolitain, tout comme outre-mer.
En même temps émergent de nouveaux champs d’actions stratégiques, hors nucléaire, mais leur mobilisation exige des systèmes d’armes sophistiqués et onéreux dont l’efficacité suppose une parfaite cohérence : avec l’opportunité d’une redécouverte des stratégies indirectes, ils apportent le risque, pour une nation moyenne, de se trouver exclue de leur exploitation. » (pages 63 et 64).


CHAPITRE 3 : L’ÈRE DES RUPTURES

– « Le choix constant en faveur des priorités continentales, l’omniprésence de la dimension territoriale dans la culture de défense, la relative faiblesse de la vision géographique des intérêts français, l’intégration au bloc ‘‘atlantique’’, le legs structurant de la force de dissuasion caractérisent, aujourd’hui, l’état des lieux de notre posture de défense. » (page 65).
– « […] s’inscrivant dans la continuité de traditions solidement établies, elle [cette description] n’intègre pas un ensemble de ruptures stratégiques, technologiques et socio-économiques qui se sont conjuguées depuis deux décennies. » (page 65).

Les ruptures stratégiques : redéfinition des enjeux et recomposition des espaces
– « Trois axes d’observation majeurs sont à privilégier :
• l’unification du champ stratégique européen ;
• l’émergence de zones de tensions exacerbées dans un contexte de bipolarisation du monde ;
• le développement de stratégies indirectes, sur fond de mondialisation des flux d’échange. » (page 65).
– « […] pacifier un territoire revient toujours à déporter la guerre au-delà de ses frontières. » (page 68).
– « Le dernier aspect des ruptures stratégiques qui doivent être prises en considération porte sur
l’émergence de stratégies indirectes, sur fond de mondialisation des flux d’échange. » (page 69).
– « L’ensemble des ruptures intervenues survenues depuis une vingtaine d’années, au premier rang desquelles vient l’unification stratégique de l’espace européen, démontrent l’obsolescence du modèle d’armées continentales, au profit de la puissance aérospatiale et aéromaritime, ainsi que des ‘‘forces spéciales’’, entrainées au combat dans les conflits non conventionnels. Les effets de ces ruptures stratégiques sont amplifiés par les mutations technologiques et socioéconomiques qui les accompagnent. » (page 70).
– « L’irruption massive des technologies de l’information dans les systèmes de défense est à l’origine du concept de ‘‘Révolution dans les affaires militaires’’ ou RMA, à partir de trois principes fondamentaux :
• la maîtrise de l’information ;
• l’intégration aérospatiale, aéroterrestre, aéromaritime ;
• la projection de puissance, c’est-à-dire le combat sans contact, à distance. » (page 73).

Les mutations socio-économiques : flux d’échange, équilibres démographiques, diffusion des idées et des technologies
– « Il est donc singulier, à travers un renversement de perspective saisissant, de voir les États- Unis, détenteurs d’un ‘‘Soft Power ‘’ inédit dans l’Histoire, prétendre instaurer la démocratie en Irak, en Afghanistan, par la force militaire, négligeant et dévalorisant ainsi, à grand frais de surcroît, le principal atout en leur possession : leur capacité d’influence et de séduction. » (page 82).
– « Une intervention armée massive et brève, destinée à détruire le potentiel adverse et à installer des capacités de projection utiles pour l’avenir aurait été pertinente et justifiée. Prétendre conquérir les esprits et les coeurs par plusieurs années de présence militaire, fût-ce à travers une doctrine et des méthodes de contre-insurrection conçues par l’armée française et largement éprouvées, traduit une méconnaissance délibérée des précédents historiques dont la France, au même titre que les États-Unis, a déjà fait, en maintes occasions, l’amère expérience. » (pages 82 et 83).
– « Un enseignement de grande portée peut être tiré de tous ces précédents : l’entretien et l’emploi du ‘‘Soft Power’’ ne sont guère compatibles avec la projection de forces dans le cadre d’opérations extérieures de longue durée. En fait, le seul concept militaire complémentaire du ‘‘Soft Power’’, c’est la projection de puissance, c’est-à-dire un engagement bref dans une action de haute intensité, incluant des frappes exercées ‘‘à distance’’ ainsi que l’interdiction d’accès aux espaces aéroterrestre et aéromaritime. » (page 83).

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TABLE DES MATIÈRES

Préface du Général d’Armée Henri Bentégeat…………………………………………………

Avant-propos d’Alexandre Adler………………………………………………………………….page 1

Introduction : Enjeux stratégiques, politique de défense et cohésion nationale………..page 7

Chapitre 1 : Les ressorts de l’esprit de défense……………………………………………….page 11
Une motivation constante : la défense du territoire……………………………………………….page 13
Un engouement épisodique : la promotion des valeurs………………………………………….page 17
Un enjeu négociable : la protection des intérêts…………………………………………………..page 26

Chapitre 2 : Les fondements territoriaux de la défense………………………………………page 35
Stratégies diplomatiques et politique d’alliance : la préservation du pré carré………………..page 35
La doctrine d’emploi des forces : une armée continentale………………………………………page 42
La configuration de l’outil militaire : priorité au Centre-Europe………………………………….page 55

Chapitre 3 : L’ère des ruptures……………………………………………………………………page 65
Les ruptures stratégiques : redéfinition des enjeux et recomposition des espaces…………..page 65
L’impératif technologique : l’accès à l’espace informationnel global……………………………page 70
Les mutations socio-économiques : flux d’échanges, équilibres démographiques,
diffusion des idées et des technologies…………………………………………………………….page 75

Chapitre 4 : L’invention d’un nouveau territoire………………………………………………..page 85
Réaffirmer « la voie classique » : alliances de « revers » et politique de puissance……………page 87
Inventer une « voie nouvelle » : Soft Power et stratégies indirectes……………………………..page 95
L’outil militaire du XXIe siècle : projection de puissance et union franco-britannique………….page 105

Conclusion……………………………………………………………………………………………..page 125