1er mai 2012 – FOCUS DU MOIS

Par le Capitaine de Corvette Boris Bernard, 19ème promotion de l’Ecole de guerre

*** Officier supérieur de la Marine de spécialité « Energie Aéronautique », le Capitaine de corvette Bernard a tenu, au cours des six dernières années et dans le cadre de l’entrée en service du NH90,  nouvel hélicoptère de la Marine et de l’armée de Terre,  diverses fonctions dans le soutien technico-logistique et son financement, au sein de l’équipe de programme interarmées puis de l’organisme central (SIMMAD) qui en ont la charge.

 

 

Le groupe suédois Saab est également disposé à revoir à la baisse le prix de ses avions de combat Gripen qu'il doit livrer à la Suisse.

« Le 30 novembre 2011, le Conseil fédéral suisse annonçait sa décision de remplacer ses chasseurs F5-Tiger obsolètes par des avions Saab-Gripen face au Rafale et à l’Eurofighter, technologiquement supérieurs. Le seul choix considéré «financièrement supportable» en termes  de coûts d’acquisition, mais aussi de coûts d’entretien, illustrant ainsi les limites de l’inexorable croissance de ces derniers. »

Crédit photo : Avion de combat Gripen, Archives/Keystone, Le Matin, 8 février 2012

La hausse des coûts des matériels militaires constatée ces dix dernières années en France atteint des niveaux alarmants. Mais cette hausse n’est pas inexorable. En complément des recommandations adressées au client étatique par la Cour des Comptes en 2005, trois voies de réduction possibles se dessinent : investir davantage en matière de recherche et développement dans le domaine de la maîtrise des coûts de possession, accroître la transparence quant au coût réel du soutien en facilitant le dialogue public-privé, tirer les enseignements des externalisations réalisées au cours de ces dernières années.

Un constat …

Le 30 novembre 2011, le Conseil fédéral suisse annonçait sa décision de remplacer ses chasseurs F5-Tiger obsolètes par des avions Saab-Gripen face au Rafale et à l’Eurofighter, technologiquement supérieurs. Le seul choix considéré « financièrement supportable » en termes  de coûts d’acquisition, mais aussi de coûts d’entretien, illustrant ainsi les limites de l’inexorable croissance de ces derniers.

Le constat est le même en France pour tous les matériels de dernière génération livrés ou en cours d’acquisition. Cette progression continue et ouvertement subie par le monde militaire a été décriée à différents niveaux de l’Etat. Comme le prix d’un matériel exporté est généralement supérieur à celui pratiqué sur le marché national, on conçoit que le niveau d’acceptabilité financière des clients étrangers puisse limiter nos succès à l’ exportation.

Face à cette situation, la France a pris un certain nombre de mesures pour maîtriser les coûts d’acquisition et de possession de ses équipements telles que, pour les nouveaux matériels, le respect de la cible initiale du nombre de matériels à produire, une meilleure consolidation des hypothèses d’exportation et un vrai pragmatisme quant aux performances technologiques recherchées. Pour les matériels déjà livrés, seront recherchées la stabilisation des flux de ressources budgétaires (réduction des reports de paiement induits par des coupes budgétaires) et la rationalisation des organisations de maintenance.

Cependant, cette démarche de réduction des coûts du côté du client peut être renforcée par trois pistes complémentaires déjà timidement amorcées et à poursuivre en collaboration avec les fournisseurs et industriels de l’armement.

 

… mais pas une fatalité

Investir davantage en R&D au niveau de la maîtrise des coûts de possession

La première repose sur une évidence : un matériel dont la fiabilité augmente, ou dont la charge de maintenance diminue, voit son coût de possession décroître. Un effort particulier peut ainsi être porté sur ces deux facteurs, en particulier lorsque le produit final n’atteint pas les niveaux d’exigences fixés dans les contrats de développement, générant ainsi des coûts de possession plus élevés que ceux attendus pour des matériels déjà forts chers à l’achat.

Deux pistes apparaissent pour financer le traitement de ces non-qualités en réduisant les coûts de possession pour les utilisateurs et sans engager de ressources supplémentaires:

– d’une part, réorienter une  plus grande partie du financement public de la recherche et développement (R&D) vers ces problèmes concrets et immédiats ;

– d’autre part, faire supporter temporairement par la Délégation générale de l’armement (DGA, responsable des développements) plutôt que par les militaires – comme c’est le cas aujourd’hui -, les surcoûts de possession induits durant la résolution de ces non-qualités. Les militaires seraient alors confrontés à des coûts de possession plus conformes aux prévisions étatiques. La DGA disposerait, quant à elle, de moyens et d’une légitimité accrus pour orienter la recherche nationale sur l’augmentation effective de la qualité des matériels produits. Les industriels, enfin, verraient l’image et la valeur concurrentielle de leurs matériels renforcées, à l’export et dans leurs déclinaisons civiles.


Continuer à renforcer le dialogue public-privé et la transparence au niveau des coûts de soutien

Une seconde façon de maîtriser la dérive des coûts de possession consiste à avoir une analyse plus critique des prix proposés par les industriels de défense pour les biens et services de soutien (fourniture de rechanges, réalisation de réparations complexes par les ateliers de ces industriels, régénération de potentiel lors de grandes visites ou soutien technique centralisé s’appuyant sur les ressources des bureaux d’études industriels).

En effet, les contrats de soutien d’un programme sont souvent signés bien après le contrat d’acquisition, parfois juste avant la phase d’utilisation. Aussi est-il tentant, pour un industriel, de compenser les surcoûts qu’il rencontre lors des phases de développement et de production en augmentant corrélativement le prix des activités de soutien. Il peut être également tentant,  pour cet industriel, de forcer sur le coût du soutien pour atténuer les baisses de rentabilité d’autres produits en service ou en développement, sur les marchés domestique ou export.  Ces coûts peuvent être acceptable pour le client étatique français dans le cadre d’une politique de soutien au secteur de l’armement, sous réserve que la DGA puisse effectuer un réel contrôle des coûts pratiqués, ce qui fait partie de ses attributions.

Dans la pratique, cependant, les contrôles des coûts ordonnés par l’Etat restent difficiles à réaliser et peu bénéfiques pour ce dernier, comme le relèvent messieurs Kirat et Bayon dans leur rapport à l’Observatoire Economique de la Défense [1].


Analyser les retours d’expérience eût égard aux externalisations réalisées au cours de ces dernières années

Enfin, une troisième voie de maîtrise des coûts consiste à réétudier la pertinence des solutions d’externalisation mises en œuvre ces dernières années par les armées de manière massive pour leurs activités de maintenance et de soutien logistique. Il s’en est suivi une augmentation du nombre d’interlocuteurs et d’intermédiaires (agences, primo-contractants, consortium) avec le développement de coûts jusque là non pris en compte par l’institution militaire, car cachés par des activités connexes ou des spécificités structurelles : code du travail différent entre le personnel militaire et le personnel civil ; infrastructure partagée pour la formation, le remisage et l’entretien des matériels ; délais et blocages induits par la dissémination des responsabilités et le manque de souplesse des relations contractuelles.

Les armées connaissent aujourd’hui les capacités et les prix demandés par les industriels pour assurer les tâches transférées. La majorité des contraintes afférentes à l’externalisation ont été relevées. Il serait ainsi fructueux de poursuivre, avec le nouveau recul offert par le temps, l’analyse de la valeur de cette politique d’externalisation et de ses mises en application et de continuer à tirer les enseignements les plus pertinents.


Il ne faut pas craindre la mise en application de ces solutions pour lutter contre l’augmentation des coûts du matériel militaire. Les trois pistes évoquées en plus des efforts des clients étatiques doivent contribuer à l’amélioration de la compétitivité de nos industriels à l’export. De surcroît, de tels efforts ne peuvent que contribuer sans conteste  au maintien des capacités de nos armées et repousser d’autant le spectre du désarmement structurel qui les guette.



[1] « Les conditions de convenance des prix et de contrôle des coûts dans les marchés publics sont source, pour les services de l’Etat, de difficultés notables compte tenu de la propension de l’industrie à contester, avec succès, les tentatives de la DGA ou du ministre de rendre les mécanismes contractuels plus favorables aux intérêts de l’Etat » in Rapport Kirat-Bayon – Rapport final à l’Observatoire économique de la Défense de juin 2004 – Marché étude DAF/SDRI OED/2002/2.1 – Contrats d’acquisition, maintenance et coût global de possession : comparaisons dans le domaine aéronautique entre la France, le Royaume-Uni, les Etats-Unis et l’OTAN, page 140. http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/03/42/66/PDF/rapportKirat-Bayon.OED.juin04.pdf