Par Richard Weitz, Hudson Institute
25 septembre 2012 – Les visites consécutives du secrétaire adjoint à la défense, Ash Carter, et du vice premier ministre Russe en charge du complexe militaro-industriel du pays, Dmitry Rogozin, en Inde l’été mois dernier, montrent la compétition accrue a l’égard du marché d’importation de défense indien, le plus important au monde à l’heure actuelle. Ainsi, l’Inde est responsable de 10% des importations mondiales d’armes en 2011.
La Russie et la Chine amorceront bientôt le dernier volet de leur exercice militaire anti-terroriste annuel commun, dont la Russie se sert d’ailleurs pour souligner l’importance d’une coopération bilatérale en matière de sécurité. L’Inde achète plus d’armes à la Russie qu’à n’importe quel autre pays. De 2007 à 2011, l’Inde a acquis 17,7 millions de dollars d’armement; 80% en provenance de Russie. Cependant, les Russes craignent que divers problèmes récurrents ne les destituent de leur position dominante.
De façon générale, l’Inde achète toujours ses systèmes militaires les plus avancés chez des fournisseurs étrangers et plus particulièrement auprès des compagnies russes. Quelques deux–tiers du budget d’approvisionnement pour la défense est investi dans l’armement et les services fournis par des pays étrangers, faisant de l’Inde le plus grand importateur d’armes au monde. Les entreprises de défense indiennes ont des difficultés à effectuer la transition entre le développent de prototype et la production en série de systèmes d’armement nationaux tels que les sous-marins, les tanks, ou les avions de combat.
Malgré la fin de la Guerre Froide, la coopération Russo-Indienne est restée dense en raison d’impératifs géopolitiques, de questions de sécurité communes, et d’intérêts économiques mutuels. Les deux pays redoutent le terrorisme et l’Islam radical, partagent des inquiétudes similaires concernant l’instabilité régionale en Asie-Centrale, et éprouvent un certain inconfort vis-à-vis de l’hégémonie militaire américaine et de l’émergence de la Chine.
Dans les deux pays, plusieurs groupes influents ont eux aussi un intérêt commun au maintien de la vente d’armes russes vers l’Inde. L’industrie russe de défense a besoin des ventes étrangères pour parvenir à une économie d’envergure dans certains cycles de production, ainsi que pour maintenir une base de production en excès de façon à répondre à la demande domestique Russe. L’Inde a un immense héritage d’armes soviétiques qu’elle doit moderniser, mettre à jour et remplacer. De plus, l’équipement russe offre toujours un bon rapport qualité-prix.
Cependant, des problèmes récurrents avec les achats indiens associés à des changements d’orientation géopolitiques indiens tels qu’un rapprochement avec l’occident, et en particulier avec les Etats Unis, pourraient dégrader le statut de la Russie en tant que fournisseur militaire privilégié de l’Inde.
Dans les années 1990, les Indiens se sont plaints du mauvais entretien et du manque de pièces de rechange pour leurs avions construits en Russie, y compris pour les avions intercepteurs de type Sukhoi. Plus récemment, en Septembre 2007, le gouvernement Indien a suspendu le payement d’un contrat de 150 millions de dollars signé avec le Bureau d’Etudes Lliouchine, pour la mise à jour de cinq avions de patrouille anti sous-marin II-38SD. Les experts de défense indiens ont conclu, après avoir effectué des tests de vol, que les avions n’étaient pas conformes aux standards techniques.
Le désaccord le plus notoire en matière de défense bilatérale concerne un accord Indo-Russe pour la rénovation de l’Amiral Gorshkov, datant de l’aire soviétique, et son transfert à la Marine indienne. Il s’est avéré que le chantier naval Sevmash ne pouvait pas se soumettre aux termes initiaux du contrat, qui prévoyait la livraison pour Aout 2008. Après de longs mois de compromis, la Russie et l’Inde ont renégocié les termes du contrat. L’Inde a fini par payer bien plus, pour ne recevoir le vaisseau que plusieurs années plus tard.
L’administration militaire indienne a aussi exprimé son inquiétude à l’égard de la qualité et de la ponctualité de la livraison d’autres achats navals russes. Par exemple, les Indiens ont dénoncé le temps qu’il a fallu aux armateurs russes pour livrer plusieurs frégates multi-rôles et pour mettre à jour la flotte de sous-marins diesel de classe Kilo de la Marine indienne.
Le «Nerpa », le sous-marin nucléaire d’attaque, que L’Inde loue à la Russie s’est également montré problématique. Pendant le contrat de location, l’Inde a du payer des centaines de millions de dollars pour finir la construction du « Nerpa » au chantier naval d’Amur, en échange de dix ans d’utilisation du navire et de la formation de l’équipage Indien par la Russie. Le Nerpa devait initialement rejoindre la Marine Indienne en même temps que l’INS Chakra en 2008, mais la production a pris du retard avec le rejet accidentel de gaz toxiques Freon par le système par-feu automatique du navire en Novembre 2008, repoussant le transfert jusqu’à 2010.
L’Inde a aussi rencontré des problèmes avec les mille tanks de combat T-90 que New Delhi a acheté sous licence Russe en 2001. En décembre 2011, l’usine n’avait produit que 150 des milles tanks T-90 désirés. Des sources Indiennes font part des difficultés russes au niveau du transfert de technologie ainsi qu’au niveau de l’assemblage des tanks.
Au 11ème meeting de la commission intergouvernementale Indo-russe sur les technologies militaires, co-présidé par les ministres de la défense Serdyukov et AK Antony, le Ministre indien s’est plaint des retards dans la réception d’autorisations d’importation d’équipements vitaux nécessaires à la réparation des systèmes d’armes russes que l’Inde avait déjà acheté.
Les constructeurs de défense russes ont été profondément déçus par l’échec du MiG-25 lors de la première partie d’une compétition de plusieurs milliards de dollars pour vendre 126 avions de combat polyvalents de taille moyenne (MMRCA) à l’Inde. Cet appel d’offre, surnommé «l’affaire du siècle » en matière d’aviation de combat, a été l’un des contrats d’approvisionnement d’aviation les plus lucratifs de l’histoire, d’une valeur approximative de 15 milliards de dollars. En Janvier 2012, le gouvernement indien a annoncé que le « Rafale » de Dassault avait remporté la compétition pour remplacer les avions de combat MiG-21 russes vieillissants, jusque là utilisés par l’aviation indienne.
Les annalistes Indiens ont interprété la décision russe ultérieure d’annuler à la dernière minute les exercices navals joints INDRA d’avril 2011 comme une preuve de mécontentement de la part des russes. Néanmoins, le ministre indien de la défense a par la suite acheté des hélicoptères américains AH-64D de type Apache Longbow au lieu des hélicoptères d’attaque russes rivaux Mi-28M Night Hunter.
Dans une tentative de soutien de la part de marché, la Russie a cherché à satisfaire la demande indienne de transfert de plus de technologies vers l’Inde et, en accord avec la volonté grandissante de Moscou d’importer des armes et de les coproduire, a souhaiter collaborer avec l’Inde sur plus de recherche, de développement et de production en commun pour de nouveaux systèmes militaires.
Lors de sa visite, Rogozin a insisté sur le fait que: « Nous (le gouvernement russe) voulons passer d’un simple commerce à des projets de co-développement de défense avec l’Inde. » Alors à new Delhi, Rogozin a exprimé un grand intérêt pour des projets communs impliquant la production et la vente d’avions cargo et passagers. Par exemple, les deux pays sont engagés dans le co-développement d’une cinquième génération polyvalente d’avions de combat furtifs. Ils ont complété la première étape du contrat pour la conception préliminaire et la seconde étape est prévue pour septembre 2012.
La Russie devrait rester le plus grand partenaire de défense pour l’Inde pour les quelques années à venir, étant donné que les deux pays ont déjà signé des accords d’armement d’une valeur de 11 milliards de dollars pour des transactions à venir et ont déjà mis au point d’importantes co-entreprises. Près de la moitié de l’inventaire des forces aériennes indiennes est considérée comme obsolète et doit être remplacée par de nouvelles acquisitions. Les liens géopolitiques sont aussi restés forts, notamment avec la revalorisation de leur relation au stade de « Partenariat Stratégique Spécial et Privilégié » en 2011.
Néanmoins, la compétition croissante des compagnies occidentales, les problèmes de ventes russes, la possibilité de restrictions budgétaires et la sophistication grandissante de l’industrie domestique indienne en terme de défense pourraient amener New Delhi à acheter moins d’armes Russes dans les années à venir.