Les caractéristiques de Serval : entrée en premier, rapidité de réponse, coordination avec les forces africaines

La première chose que l’on peut dire est que la France a fait une opération d’entrée en premier seule ou quasi-seule, la participation alliée ayant principalement consisté en une contribution en transport logistique de la part de certains de nos partenaires (C17 notamment). L’autre caractéristique de cette opération a été la rapidité de la réponse et de sa mise en place, rendue possible par trois facteurs :

  • Le premier est que le système décisionnel politico-militaire français est particulièrement rapide en comparaison d’autres systèmes décisionnels dans nos démocraties occidentales : le Président de la République a donc pu prendre sa décision rapidement ;
  • Le second facteur est que le président a été en mesure de prendre cette décision sur la base d’informations assez fiables : dans la mesure où nous étions auparavant particulièrement préoccupés de la situation dans cette partie du monde, nous suivions la région sahélienne
  • Le troisième est que nous avions des forces prépositionnées dans la région et avons pu agir très rapidement à partir de ces bases pour apporter une réponse adaptée. Après cette étape initiale de réponse et d’entrée en premier, une phase de consolidation a eu lieu avec la mise en oeuvre de toute une force venant pour l’essentiel de France, car elle ne pouvait bien sûr pas être uniquement constituée de forces pré-positionnées. Cette force fut acheminée pour moitié par voie aérienne, dont 70 % par des vols affrétés, et pour moitié par voie maritime avec débarquement par Dakar, convoi et acheminement jusqu’ici à Bamako. Là encore, le fait de pouvoir disposer de points d’appui dans la région, a été d’une extrême utilité, que ce soit Dakar ou Abidjan comme façades maritimes, ou d’autres points d’appui, tels que N’Djamena, disposant des installations et des capacités d’accueil aéroportuaires. Nous avons pu bénéficier du soutien des États de la région, puisque nous avons eu l’unanimité autour de cette intervention. De fait, ce qu’il faut relever comme autre caractéristique de cette opération est qu’elle s’est faite d’emblée en coordination avec les forces africaines et que très rapidement la CEDAO (Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest) a répondu à l’urgence en commençant à déployer ses troupes rapidement. Il ne faut pas oublier qu’avant la crise, les déclarations étaient que rien ne serait possible avant septembre, or en avril, tout est déployé. Cette crise a ainsi en quelque sorte joué le rôle de catalyseur, en ce sens que Serval a eu deux effets positifs : le premier est l’effet offensif sur les terroristes et la libération du territoire malien ; le second est d’avoir créé une dynamique d’entraînement pour les forces africaines, et en premier lieu maliennes, que nous avons appuyées dans leur déploiement et que nous appuyons toujours, puisque nous faisons beaucoup d’opérations en commun. D’avoir l’appui total de forces françaises largement déployées leur a insufflé confiance.

Une course de vitesse avec les terroristes : contre-offensive, reconquête, consolidation

Les opérations qui ont suivi se sont déroulées grosso modo en trois phases :

  • Une première phase a consisté en une contre-attaque décisive où la rapidité de l’intervention a totalement surpris les groupes terroristes ; ils ont donc reflué plus ou moins en bon ordre en un premier temps jusqu’aux villes du fleuve qu’ils tenaient auparavant puisqu’ils étaient descendu très au sud, leur objectif étant d’atteindre Bamako. Puis, considérant qu’ils n’étaient pas en sécurité de par nos frappes, ils ont continué à refluer par petits groupes vers le nord jusqu’à leurs sanctuaires. Cette première phase qui a duré un mois a consisté à maintenir une pression constante à leur encontre en engageant une course de vitesse avec eux, afin qu’ils ne puissent pas se réorganiser : maintenir cette pression consistait à prendre des villes et des points d’appuis successifs et à continuer de les affaiblir par nos frappes aériennes autant que l’on pouvait. L’intervention a débuté le 11 janvier, et le 9 février, nos forces spéciales prenaient Tessalit : nous avons consolidé ensuite, mais nous avons en un mois effectué la reconquête du pays jusqu’aux confins du Mali.
  • La deuxième phase a consisté à démanteler l’organisation des terroristes en attaquant leurs sanctuaires : elle s’est étendue de début février à fin mars. Il s’agit des fameux combats dans l’Adrar où nous avons dû faire face à un ennemi beaucoup mieux installé et beaucoup plus déterminé ainsi que vous pouvez l’imaginer. Jusqu’à présent, il nous échappait un peu dans le combat terrestre, en ce sens qu’il refluait et abandonnait ses positions au fur et à mesure que nous arrivions. On aurait pu penser qu’il continuerait à esquiver comme cela jusqu’aux frontières qui sont assez poreuses. Mais en fait, ils ont cherché à défendre leurs sanctuaires : eux seuls pourraient vous donner la raison, mais ce que je sais est que la vallée de l’Amettetaï est un lieu mythique où le Mali n’avait pas été en mesure  d’exercer sa souveraineté depuis dix ans et que nos forces ont fait face à des combattants prêts pour beaucoup à se battre jusqu’à la mort. Lorsque nous avons nettoyé et conquis ces endroits, nous avons découvert un véritable “trésor de guerre”, à savoir toute une industrie du terrorisme – des imprimeries pour faire de faux-papiers, des ateliers de fabrication d’IED, des stocks de munitions vertigineux (une centaine de tonnes). Toute leur vie était là sous la forme de pick-ups, de mitrailleuses, tout un arsenal résiduel de ce que nos frappes n’avaient pas déjà détruit. Il est certes difficile de déterminer l’origine de ce dernier, mais une partie vient de Libye et une autre, volée ou acquise au marché noir, est originaire des stocks de l’armée malienne.
  • La troisième phase, qui se déroule actuellement, consiste pour nous à essayer de consolider les acquis : nous continuons à monter des opérations, moins dans l’Adrar, mais un peu plus dans l’Est sur le confluent du Niger, à savoir Gao et Tombouctou. L’objet de cette phase est d’assurer l’arrivée dans ses positions définitives de déploiement des bataillons de la MISMA (mission internationale de soutien au Mali), c’est-à-dire dans les zones à stabiliser sur le fleuve depuis Léré jusqu’à Ménaka. Nous devons permettre à la MISMA en tant que force de stabilisation de se déployer dans les meilleures conditions et de les accompagner, ce qui est un des volets de notre action actuelle. Mais, si Serval, l’armée malienne et la MISMA sont toutes des forces militaires qui, par essence peuvent être considérées comme identiques, la mission de chacune est différente : celle de la force Serval est de réduire les potentiels offensifs des groupes armés terroristes par le biais d’actions offensives, afin de créer les conditions d’application de la résolution 2085 et donc de déploiement de la MISMA. Si l’on se remémore la situation au 10 janvier dernier, aucune des conditions permettant l’application de cette résolution n’était remplie, tandis qu’une armée terroriste descendait vers le sud et visait des objectifs militaires. L’action de Serval s’est donc orientée pour restaurer un statu quo ante, et c’est concrètement ce qui est en train de se passer. La capacité de nuisance des terroristes est aujourd’hui bien atténuée, et la force Serval sera donc en mesure, si l’ONU le demande, d’agir en appui au profit de la MINUSMA qui elle va agir en tant que force de stabilisation. En ce qui concerne Kidal, il ne s’agit pas pour moi d’une préoccupation d’ordre sécuritaire immédiate, ou de même nature que notre combat avec AQMI : il s’agit plus d’un dialogue interne incluant le MNLA et on ne peut qu’encourager les Maliens à résoudre ce problème. Je constate que l’unité du Mali n’est pas remise en cause ni chez les uns ni chez les autres. La meilleure façon de rentrer dans une coexistence est d’y rentrer de façon pacifique.

Deux facteurs dimensionnants : la logistique et la résistance ennemie

Si la logistique n’a pas été une difficulté pour la conduite des opérations dans la mesure où cela s’est bien passé, ce fut la préoccupation première. Au moment du combat dans l’Adrar, le niveau de notre engagement était déterminé par notre capacité à le soutenir. Ce n’était pas «L’intendance suivra», c’était : «Que peut faire la logistique ?». Un choix savant devait alors être fait pour conserver un équilibre entre le niveau de moyens nécessaires pour combattre l’ennemi et le niveau de moyens en mesure d’être soutenus par la logistique. Pour vous donner quelques chiffres, Bamako-Tessalit, c’est 1 800 kilomètres, soit plus de trois heures de vol pour atterrir sur une piste uniquement accessible en C130 et C160, et ce sont quatre jours minimum de convoi aller-retour entre Gao et Tessalit sans parler de la boucle arrière Gao-Bamako. Donc plus vous déployez de moyens en base avancée, plus vous augmentez vos difficultés logistiques. Nous nous sommes en pratique appuyés pour moitié sur la voie terrestre et pour l’autre sur la voie aérienne. À cet égard, il nous a fallu surveiller de très près la disponibilité de nos ATT, et en particulier de nos bons vieux Transall, et nous avons été très heureux de la participation de ceux qui se sont engagés à nos côtés, des équipages belges, danois, etc, formidables. L’exemple que j’ai coutume de donner concerne l’eau : 2 000 hommes dans l’Adrar au plus fort des combats, cela représente un besoin de 10 litres d’eau par jour par homme caparaçonné derrière leur casque et gilet pare-balle, soit 20 tonnes, donc au moins deux C130 dans la mesure où la capacité d’emport diminue avec la chaleur. L’autre difficulté concerne bien sûr la nature de l’ennemi, lequel s’est avéré très déterminé. Si l’on compare avec l’Afghanistan, ce que nos hommes nous disent c’est que sur ce théâtre, l’ennemi attendait le moment favorable pour poser un IED et attaquer avec un groupe de combat armé de RPG ou de RPK [kalachnikov], il faisait feu pendant cinq minutes, puis partait. Sur le théâtre malien, l’ennemi ne s’en allait pas. Le scénario est le même, sauf qu’ici l’ennemi ne part pas et c’est cela qui a surpris nos hommes. Non seulement l’ennemi dispose d’un armement conséquent, mais il s’est avéré très installé et très organisé.

« Les terroristes ont cherché à défendre leurs sanctuaires : (…) la vallée de l’Ametataï est un lieu mythique où le Mali n’avait pas été en mesure d’exercer sa souveraineté depuis dix ans et nos forces ont fait face à des combattants prêts pour beaucoup à se battre jusqu’à la mort. »

AQMI et le MUJAO disposent du même type d’armement et pratiquent des tactiques similaires. Ce qui les différencie est la nature du terrain et leurs origines : AQMI est constitué de terroristes internationaux avec un encadrement nord-africain très entraîné et très dur, tandis que le MUJAO est plus enraciné localement, mais tout aussi déterminé.

Pour mener à bien Serval, nous n’avons à la fois rien inventé et avons dû inventer. À titre personnel, je pense que j’ai fait appel à trente ans d’expérience militaire. De tous les théâtres que j’ai connus y compris africains, celui-ci est multidimensionnel à bien des égards : en raison du type d’adversaire, des élongations, de l’environnement qui est quand même très compliqué, mais aussi de la rapidité des opérations et de notre marche à plein régime. En plus de l’application intrinsèque de nos acquis  d’expérience, nous avons utilisé toute la gamme de moyens à disposition, et c’est peut-être cela qui différencie ce théâtre. Cela fait en effet longtemps que nous n’avions pas fait d’opérations aéroportées ou encore du tir d’artillerie de cette façon : nous avons dû faire appel à un éventail de  savoir faires opérationnels très vaste et beaucoup plus varié que pendant l’autre grande opération de référence que représente pour nous l’Afghanistan en faisant face à des élongations logistiques énormes. Ce qui a contribué au succès des premières phases de Serval est que l’armée française a su conserver ses savoir faire, tels qu’en matière d’opérations aéroportées, domaine dans lequel elle a toujours été leader en Europe. Nos anciens s’y retrouveraient, car rien n’est vraiment nouveau, mais ce qui caractérise notre action est le pragmatisme : nous avons adapté le style de l’action à l’effet que nous voulions obtenir, ce qui, là non plus n’est pas nouveau, sauf que, dans ce cas précis, l’effet à obtenir était d’aller au plus vite et de maintenir la pression pour ne pas lâcher l’ennemi – notamment avec le soutien au sol des hélicoptères de combat – dans un théâtre ouvert aux dimensions particulièrement imposantes. C’était quand même l’imagination au pouvoir…

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