Par Clara Tanielian (compte rendu) – En juin dernier, l’Institut de Recherches Stratégiques de l’Ecole Militaire organisait un colloque sur le thème « La France et l’OTAN (2009-2017) ». L’Institut de la place Joffre a vu se succéder 15 conférenciers, organisés en trois tables rondes. Au sujet : la réintégration progressive de la France dans le commandement intégré de l’OTAN et, depuis 2009, son rôle à tenir au sein de l’alliance transatlantique.
Si la France évoque une rupture forte avec l’OTAN, elle incarne également une certaine continuité. Sa sortie du commandement intégré en 1966 n’avait en effet altéré ni son gage de défense collective, ni sa volonté de peser sur les politiques stratégiques occidentales. En 2009, le président Sarkozy avait souhaité mettre en valeur cette continuité en prenant soin d’éviter le terme « réintégration » : officiellement, il était question d’un retour à « la pleine participation ». Huit ans plus tard, le titre même du colloque, « La France et l’OTAN », est un avant-propos de l’actuelle position française au sein de l’alliance, que l’on ne saurait donc définir comme « dans » l’OTAN. La France fait face à un dilemme fondamental : bien qu’elle rejette le domptage américain et aspire à conserver son autonomie stratégique, elle souhaite néanmoins accroître son influence sur la scène internationale en s’imposant comme un pilier de l’OTAN.
Son rôle historique de gardien de l’ordre libéral a valu à la France un surnom « d’allié pas aligné ». La France s’est en effet souvent illustrée par ses oppositions aux résolutions collectives, créant l’hostilité de ses partenaires, comme à Londres en 2010 où elle met un véritable frein au projet de défense européenne qu’elle soutenait jusqu’alors. Cette exception française se révèle également dans son ambition de ne pas se limiter aux décisions otaniennes, qui ne représentent « qu’un seul outil parmi d’autres » de l’avis de Camille Grand, pour arriver à ses fins stratégiques en matière de défense. D’après Pernille Rieker, le modèle d’intégration français relève d’une logique « pratique » plus que « théorique » : si son engagement militaire au titre de l’Alliance est parfois jugé insuffisant, à l’image de sa non-adhésion à la Standing Naval Force, il reste indéniable et largement reconnu par ceux, comme les pays Baltes, qui en bénéficient.
Charles-Edouard de Coriolis, représentant de la France à l’OTAN, confirme notre poids déterminant dans l’alliance. La France dans l’OTAN, c’est non seulement un budget d’opérations extérieures de 1,2 milliard d’euros, mais aussi une industrie technologique florissante et une puissance nucléaire. Le Baltic Air Policing dénote également une force militaire mobile, réactive et de qualité : en 2016, quatre mois d’opérations de dissuasion et pas moins 23 décollages sur alerte ont été effectués par la France en Lituanie et Estonie. Pourtant, les fractures grandissantes au sein de l’Europe posent la question de la faisabilité d’une politique de défense commune dans un contexte où les besoins sécuritaires des états membres, aussi bien que leur perception de la menace, divergent. Cette multipolarité peut remettre en question la logique d’intégration au sein de l’OTAN au profit d’une approche plus flexible, qui permettrait notamment une autonomie accrue quant aux décisions des nations à s’engager dans la résolution d’un conflit.
De Coriolis prévient néanmoins du danger d’une telle approche. Selon lui et les autres membres du panel, il faut savoir, d’après la logique Rousseauiste, se lier une main pour acquérir a posteriori une plus grande liberté stratégique. « L’OTAN, c’est un endroit où s’exprime la solidarité, (…) notamment la fraternité d’armes ». Elle n’est pas seulement une alliance militaire, mais aussi la mise en commun d’un budget et de forces capable de prévenir l’escalade des conflits au sein même de ses frontières, à l’image des relations Grèce-Turquie. Une politique isolée serait donc regrettable. Enfin, associée à une « gigantesque machine d’interopérabilité », l’OTAN reste une véritable matrice pour le projet de défense européenne qui ne saurait se réaliser en marge de l’alliance transatlantique. A ce propos, l’intervenant Américain Diego Ruiz-Palmer, membre du quartier général de l’OTAN, assure même que « L’OTAN est le point départ ; l’Europe de la Défense le point d’arrivée ». Aux yeux des conférenciers et sur le modèle nouveau du Framework Nation Concept, il semble donc que la combinaison entre les concepts de « flexibilité » et d’«intégration» entre les membres de l’OTAN, n’est pas antagoniste, mais plutôt complémentaire, et surtout nécessaire dans ce contexte d’instabilité.
Le communiqué de Varsovie met en avant un « moment clé » pour les membres de l’OTAN. Hubert Védrine, se pose en faveur d’une France leader dans la réflexion plus poussée sur le désarmement. Il évoque également la mise en place d’un partenariat différent avec la Turquie et reste sceptique quant à la conception « civilisatrice » des missions de l’OTAN dans le conflit irako-syrien et la capacité de l’Alliance à résoudre le terrorisme. Diego Ruiz Palmer considère que la France, en particulier, n’a plus le droit à l’erreur : elle doit gommer les ambiguïtés liées à sa position et assumer « un rôle critique, (… ) [et] non de critique ». Ce rôle doit s’acquérir notamment à travers des coopérations bilatérales au sein des organisations internationales, telles l’UE et l’ONU, mais aussi avec ses partenaires principaux notamment la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Erwan Lagadec juge que « les grandes lignes de la relation France/US persisteront » malgré les tendances protectionistes du nouveau président américain. Devenue l’un des seuls partenaires militaires des Etats-Unis, la France devra cependant mettre à profit la « valeur ajoutée » que la France a acquise avec eux durant les années précédentes, en assumant notamment le rôle d’intermédiaire entre les US et l’Europe concernant les garanties nucléaires.
Participants au colloque La France et l’OTAN (2009-2017) du vendredi 9 juin 2017
Programme
9h30 – 9h45 : Ouverture
• Guillaume LASCONJARIAS, (Collège de défense de l’OTAN)
• Pierre RAZOUX, (IRSEM)
9h45 – 10h15 : Propos introductifs
• Hubert VÉDRINE (Ancien ministre des Affaires étrangères)
10h15 – 12h00 : 1er panel – Du rapprochement à la réintégration (1995-2009)
• Bruno TERTRAIS (Fondation pour la recherche stratégique)
• Jenny RAFLIK (Université de Cergy-Pontoise)
• Guillaume DE ROUGÉ (Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3)
14h00 – 16h00 : 2ème panel – De l’autre côté de la colline : Perspective des Alliés et partenaires
• Diego RUIZ-PALMER (Quartier général de l’OTAN)
• Erwan LAGADEC (George Washington University)
• Jean-Pierre DARNIS (Institut des Affaires Internationales)
16h15 – 18h00 : 3ème panel – Quelle place pour la France dans les structures de l’OTAN ?
• Vice-amiral d’escadre Charles-Edouard de CORIOLIS (Représentant de la France à l’OTAN)
• Pernille RIEKER (Institut norvégien des affaires internationales)
• Beatrice HEUSER (Université de Reading)
18h00 – 18h15 : Conclusion
• Camille GRAND (Secrétariat général de l’OTAN)